lundi 22 février 2010

ÉDITORIAL - Le Tibet, encore

Le Monde - Analyses, lundi, 22 février 2010, p. 2

Le président américain a reçu le dalaï-lama, jeudi 18 février, à Washington. La Chine a protesté le lendemain. Elle a assuré que cette première rencontre entre le chef spirituel des Tibétains et Barack Obama ne manquerait pas de porter " gravement préjudice " aux relations entre la Chine et les Etats-Unis.

A priori, rien de très grave. Les relations entre ces deux puissances sont si importantes, leurs intérêts si interdépendants, qu'elles ne sauraient être durablement affectées par la visite que le dalaï-lama a faite à la Maison Blanche. Il y a beau temps que les présidents américains reçoivent régulièrement ce chef bouddhiste aussi sage que réfléchi. Et, à chaque fois, cela suscite l'ire des dirigeants chinois. Mais il était particulièrement important que M. Obama reçoive cette année, en ce moment précis, le dalaï-lama. Pourquoi ?

Parce que le traitement réservé à cet homme en Europe et aux Etats-Unis est un marqueur de l'attachement que les Occidentaux éprouvent encore à l'égard des droits de l'homme. Or, en la matière, la Chine flirte avec la provocation. Qu'il s'agisse de l'exécution d'un arriéré mental britannique, il y a quelques semaines, piégé par des trafiquants de drogue; qu'il s'agisse des attaques de hackers chinois contre les sites des défenseurs des libertés publiques; qu'il s'agisse du traitement réservé à quelques-uns des dissidents les plus légalistes, Pékin paraît n'avoir qu'un message à adresser à l'extérieur : pas d'ingérence dans ses affaires intérieures.

Le dalaï-lama ne remet pas en cause la souveraineté chinoise sur le Tibet. Il réclame plus d'autonomie pour cette région. Il revendique plus de respect pour les droits culturels des Tibétains - leur langue, leurs pratiques religieuses. Il le fait en prônant la non-violence. Où est donc le crime de l'homme à la tunique safran que la propagande chinoise continue à présenter comme un chef de clique malfaisant ? Il pointe du doigt la situation au Tibet : nul doute que la Chine y a apporté un incontestable développement économique; mais nul doute non plus qu'elle cherche à submerger la région sous une vague de peuplement han - l'ethnie majoritaire en Chine -, destinée à faire des Tibétains une minorité chez eux.

La Chine manifeste un remarquable dynamisme. Elle compte plus que jamais. Mais, trop sûre de son importance économique pour le reste du monde, serait-elle en proie ces jours-ci à une crise d'hubris, cette bouffée d'orgueil qui affecte les forts ? Il fallait lui signaler que tout ne sera pas sacrifié sur l'autel des relations économiques.

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