jeudi 18 février 2010

INTERVIEW - Lampton : « La Chine vers une réévaluation progressive de sa monnaie... »

Les Echos, no. 20618 - International, jeudi, 18 février 2010, p. 8

Professeur et directeur du Centre des études chinoises à la Johns Hopkins University, David Lampton est l'auteur de « Three Faces of Chinese Power » (UC Press).

Dans quelle mesure la visite du dalaï-lama peut-elle dégrader sérieusement la relation sino-américaine ? Pourquoi Barack Obama a-t-il pris cette intiative aujourd'hui ?

On peut aussi se demander pourquoi les Chinois ont mis tant d'ardeur à combattre des décisions qu'ils savaient inéluctables. Cette opposition féroce les expose à perdre encore davantage la face. Les dirigeants de Pékin le font en raison de la montée d'une forme de nationalisme dans l'opinion publique chinoise, de leur sentiment croissant de puissance et de leur conviction que les Etats-Unis ont « besoin » de l'aide chinoise sur des questions clefs, des frustrations des forces armées chinoises et aussi pour des raisons liées à la succession de Hu Jintao en 2012. Le président Obama avait initialement gelé la rencontre avec le dalaï-lama et la vente d'armes à Taiwan, en partie pour aborder son premier voyage en Chine de novembre dans un bon climat et pour se donner la chance de construire une confiance commune avec Pékin. Il ne pouvait plus repousser éternellement ces décisions, vu l'échéance prochaine des élections de mi-mandat et le fait que la Chine continue à déployer des missiles dans la région de Taiwan.

Peut-on dire que les relations sino-américaines se sont déjà sérieusement détériorées ?

Après un an de discours sur la coopération, il s'agit de prendre des mesures tangibles. Et c'est beaucoup moins facile, compte tenu des intérêts contradictoires. Les Chinois estiment qu'ils ont relativement surfé sur la crise financière globale et qu'ils n'ont pas de leçons à recevoir de ceux qui ont eu moins de succès. La communauté des affaires américaine s'alarme du protectionnisme rampant de Pékin lié à ses consignes sur l'« innovation locale » qui ressemblent à une tactique pour forcer les multinationales à transférer leurs technologies propriétaires à la Chine. Il y a aussi un regain d'inquiétude concernant la cybersécurité, les entreprises étant désormais prêtes à exprimer leur mécontentement. Plus fondamentalement, il y a un fort courant de pensée chinois en faveur d'une politique de représailles si l'on touche aux « intérêts cruciaux » de Pékin. Certains Chinois commencent à suggérer qu'il peut y avoir moins de coopération sur la Corée du Nord, l'Iran ou d'autres sujets de sanctions chers à l'Ouest.

Comment expliquer le récent durcissement de ton de Barack Obama sur les manipulations de la monnaie chinoise ?

Les pressions croissantes de Washington sur la question des taux de change sont le résultat de l'augmentation annuelle stupéfiante des avoirs chinois en devises étrangères en dépit de la crise financière. Pour la première fois depuis longtemps, l'Europe et le reste de l'Asie sont sur la même longueur d'onde que Washington en matière de taux de change. Mes conversations récentes en Chine me laissent penser que la pression croissante du monde extérieur, en même temps que les propres craintes chinoises sur l'inflation interne, vont conduire Pékin à reprendre le chemin d'une réévaluation progressive du renminbi dans un futur proche, probablement au second semestre. Ils l'ont fait en 2005-2008 de manière significative, je pense qu'ils vont le refaire.

Voyez-vous des changements majeurs à venir dans l'attitude de la Chine vis-à-vis des Etats-Unis après la crise financière ?

Le changement majeur est que la crise a renforcé le sentiment des Chinois que leur propre approche (marché encadré et libéralisation limitée) est solide. Quelle que soit la considération qu'ils aient pu avoir pour le modèle américain, elle est bel et bien révolue. Cela dit, les deux pays savent qu'ils ont besoin l'un de l'autre - comme deux scorpions dans une bouteille, ils n'ont droit chacun qu'à une piqûre, et après ? L'interdépendance mutuelle est devenue une véritable contrainte dans les deux capitales.

PROPOS RECUEILLIS PAR P. DE G. (À NEW YORK)

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