La semaine prochaine se tiendra à Genève le 4e Congrès mondial contre la peine de mort. Etat des lieux avec Robert Badinter. Entretien réalisé par Caroline Stevan.
«Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.» Le 17 septembre 1981, le garde des Sceaux, Robert Badinter, prononçait le discours d'abolition de la peine de mort devant l'Assemblée nationale française. Trois décennies plus tard, l'homme poursuit son engagement. Il sera à Genève dans le cadre du 4e Congrès mondial contre la peine de mort.
Le Temps: Quel bilan dressez-vous du combat abolitionniste?
Robert Badinter: Il a progressé au-delà de nos espérances. Quand j'ai présenté la loi sur l'abolition en France, nous étions le 35e Etat du monde à renoncer à la peine de mort. Moins de trente ans après, 138 pays ont franchi ce pas. L'Europe entière est abolitionniste, le continent américain également, à l'exception des Etats-Unis. La marche se poursuivra, elle est irréversible. Le monde, cependant, compte encore trois grands foyers où l'on pratique la peine de mort.
- Lesquels?
- La Chine, d'abord. Les chiffres sont incertains mais l'on parle de 8000 à 10?000 exécutions par année. Le contrôle exercé par la Cour suprême tend à réduire les champs d'application de la peine de mort et les conditions dans lesquelles on exécute. Cela a un effet positif sur les mentalités. A partir du moment où l'on s'interroge sur les conditions de la peine de mort, la question de l'abolition est posée. La culture confucianiste devrait fournir un renfort aux partisans de l'abolition. Les Etats-Unis ensuite. Les dix dernières années y ont été marquées par un mouvement de reflux de la peine de mort, qui se concentre au sud du pays. Les sondages montrent que la population américaine est moins favorable aujourd'hui à la peine capitale que ne l'étaient les Français en 1981. La question du coût de la peine capitale, avec ses procédures interminables et les détentions très longues dans les couloirs de la mort, amène les Américains à s'interroger sur l'utilité de la peine capitale - le seul argument que je n'ai jamais utilisé. Barack Obama, cependant, ne s'est pas prononcé en faveur de l'abolition au cours de sa campagne. Le troisième foyer est le plus difficile, il s'agit des Etats intégristes islamistes. En Iran, en Arabie saoudite, au Pakistan ou en Irak, les exécutions augmentent. En Iran, les femmes et les opposants politiques y ont leur part. Le problème est que ces sociétés considèrent les droits humains comme un cadeau de Dieu et estiment qu'il faut les interpréter selon la charia. Le dialogue, dès lors, est impossible car il ne s'agit plus d'une discussion de portée morale sur la barbarie de la peine de mort et son inutilité, il s'agit seulement de savoir si la charia l'impose ou non. Selon certains théologiens musulmans, la charia prévoit la peine capitale, mais ne la rend pas obligatoire. Nous comptons sur les musulmans abolitionnistes pour faire passer ce message. Après tout, l'Ancien Testament n'est pas exempt de références à la peine de mort. Or, nous nous en sommes affranchis. La présence de nos amis musulmans au congrès de Genève sera primordiale et le prochain congrès pourrait d'ailleurs se tenir dans un Etat musulman.
- Que répondez-vous à ceux qui justifient la peine capitale en s'appuyant sur un texte religieux ou l'argument de la dissuasion?
- L'évolution de la criminalité sanglante et la peine capitale sont totalement indépendantes; la peine de mort ne sert à rien. Les fondements de l'abolition sont permanents et universels, ils tiennent du respect du premier des droits de l'homme, qui est le droit à la vie. Il est du devoir de l'Etat de respecter la vie des concitoyens. C'est un principe universel, de la même façon que l'on ne doit torturer nulle part. Selon le mythe fondateur, dans la Bible, le premier homme a tué son frère et pourtant Dieu lui a laissé la vie sauve. Tous les hommes portent en eux, comme Caïn, l'instinct de mort.
- Est-ce cela qui les pousse à défendre la peine de mort?
- Lorsqu'un crime atroce est commis, l'angoisse est si forte qu'elle réveille cet instinct. On parle au nom de la justice, mais il s'agit en réalité d'un défoulement, d'une volonté de vengeance.
- Et pour ce qui est des Etats?
- Partout où se trouvent des régimes totalitaires, il y a la peine de mort. Les dictatures méprisent les droits de l'homme, elles n'ont aucune raison de respecter le droit à la vie.
- Craignez-vous que l'on puisse un jour, en France ou ailleurs, voir rétablir la peine capitale?
- Non, car l'abolition a été accompagnée d'un certain nombre de conventions et accords internationaux interdisant la peine de mort. Le Conseil de l'Europe, par exemple, l'a posée comme condition d'adhésion. L'opinion publique française a, comme partout, changé; une majorité est hostile au rétablissement de la peine de mort.
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