Liliane Maury Pasquier, conseillère aux Etats (PS/GE), évoque le prochain Congrès mondial sur la peine capitale à Genève: l'occasion de dresser un état des lieux et de parler des droits de l'homme.
Du 24 au 26 février prochain se tiendra à Genève le 4e Congrès mondial contre la peine de mort. Cet événement, organisé par une coalition d'ONG avec le soutien de la Confédération, permettra de dresser un bilan du combat qui vise à garantir un des droits humains les plus fondamentaux - le droit à la vie, fût-il d'un-e condamné-e - et d'évoquer la persistance néfaste d'une pratique qui n'est pas l'apanage des seuls régimes autoritaires.
Pour ce faire, il réunira un large panel d'expert-e-s qui oeuvrent pour l'abolition définitive et universelle de la peine de mort et donnera la parole à des activistes (journalistes, politicien-ne-s ou juristes) qui se battent pour cette cause au sein de sociétés qui y sont réfractaires. Dans une perspective suisse, le Congrès sera l'occasion de mettre en avant les efforts de notre pays pour la défense des droits humains et les actions concrètes qu'il nous faut poursuivre pour promouvoir un Etat de droit moral et crédible.
Le débat sur la peine de mort empreint les consciences depuis plusieurs siècles. Lancé et dynamisé en Europe par des esprits éclairés tels que Beccaria ou Montesquieu, le mouvement abolitionniste s'est inscrit dans une dynamique plus large de réformisme juridique qui devait consacrer les droits des accusés: droit à un procès équitable par un tribunal indépendant et impartial, droit à la protection contre les supplices et contre l'arbitraire et, enfin, interdiction de la mise à mort «légale» pour quelque motif que ce soit. Inscrit dans le temps long, ce processus s'est intégralement réalisé dans de nombreux cas, puisque ce ne sont aujourd'hui pas moins de 139 Etats qui ont, de jure ou de facto, aboli la peine de mort et reconnu par-là même le principe fondamental qui sous-tend la posture abolitionniste: pour des raisons morales, nul - pas même la puissance publique - ne peut invoquer la légalité de la mise à mort forcée d'un membre de sa communauté.
Ces conceptions morales ne sont hélas pas universelles puisque de nombreux pays envoient encore chaque année un certain nombre de leurs condamnés à l'échafaud, souvent après les avoir détenus des mois voire des années dans l'intolérable des «couloirs de la mort». Si tel est le cas d'Etats qui ne sont pas des modèles de démocratie - Iran, Chine ou Algérie - cette situation concerne également le Japon ou les Etats-Unis, preuve que la peine de mort est une problématique qui dépasse largement une prétendue opposition entre «civilisations» ou cultures politiques. Malgré la réticence de certains Etats, la cause abolitionniste a été portée par l'activisme des ONG et des institutions multilatérales. L'ONU a par exemple lancé il y a vingt ans un Protocole d'abolition de la peine de mort, texte qui n'a hélas pour l'heure été ratifié que par 72 pays. Cet exemple démontre les efforts qu'il reste à accomplir pour faire avancer l'abolitionnisme sur le plan international ainsi que la nécessité de trouver des relais pour promouvoir l'abolition de la peine de mort au sein de chaque Etat qui l'applique. Tout en étant conscient que l'abolitionnisme ne peut qu'avancer à petits pas, le 4e Congrès mondial contre la peine de mort se doit de donner une forte impulsion dans cette direction.
Pour la Suisse, cet événement est d'une importance symbolique particulière puisqu'il s'inscrit dans un contexte d'intense activité pour la défense des droits humains et la promotion d'une pratique judiciaire moralement juste. En effet, notre pays préside actuellement le comité des ministres du Conseil de l'Europe (CdE), dont l'opposition à la peine de mort constitue une des valeurs cardinales; il s'agit même d'un critère d'adhésion au CdE en même temps qu'un catalyseur important de son action politique, à témoin les efforts de Strasbourg pour faire avancer la cause abolitionniste auprès du dernier Etat européen à appliquer encore la peine de mort, la Biélorussie.
En outre, le Congrès de Genève est là pour rappeler l'engagement de la Suisse pour la promotion de pratiques de justice et de police défendables sur un plan moral et qui ne se rabaissent pas au niveau des «ennemis» qu'elles combattent - je pense ici aux dérapages de la fameuse «guerre contre le terrorisme».
En effet, notre pays a récemment envoyé un signal fort dans ce sens avec la dénonciation, par le Conseil des Etats, de la liste noire du Conseil de sécurité de l'ONU; pour rappel, cette dernière permet d'emprisonner de façon arbitraire (et, dans la pratique, de manière tout à fait abusive) des individus suspectés de liens avec des organisations terroristes. Et, n'en déplaise aux isolationnistes de tout poil, le projet de certains cantons suisses d'accueillir des ex-détenus de Guantanamo s'inscrit exactement dans la même logique: il s'agit de proclamer que les accusés, quels que soient les crimes qu'ils ont commis ou qu'on leur prête, ont droit à des conditions de jugement et de détention ainsi qu'à une peine qui respectent les droits humains fondamentaux. Tout ordre politico-judiciaire qui les bafoue par des jugements arbitraires, des prisons secrètes, l'usage de la torture, l'enfermement interminable dans les couloirs de la mort ou le recours à la peine capitale perd une bonne part de légitimité et vide de leur sens les valeurs qu'il prétend défendre.
L'abolition de la peine de mort revêt ainsi la même importance que la suppression des pratiques arbitraires ou de la torture: elle constitue un impératif pour la sauvegarde de l'Etat de droit et la crédibilité des valeurs qu'il s'attache à promouvoir.
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