David rachète Goliath. Geely, groupe automobile chinois inconnu en Occident, qui n'a produit sa première voiture qu'en 2001, va racheter à Ford, pour 1,8 milliard de dollars (1,2 milliard d'euros), le constructeur suédois Volvo, quatre-vingts ans d'existence et synonyme mondial de la qualité. Car Geely, 11e constructeur national en Chine, mais premier groupe privé du secteur, gagne de l'argent. Avec deux piliers : l'immense et négligé marché des provinces et villes secondaires chinoises d'une part, les exportations d'autre part. Geely, deuxième exportateur de véhicules chinois, réalise 10 % de ses ventes dans la Communauté des Etats indépendants (CEI), groupe d'anciennes Républiques soviétiques, au Moyen-Orient, en Afrique, Asie du Sud-Est et Amérique latine.
" Un constructeur rustique "
La presse économique spécialisée française s'est lamentée sur l'occasion manquée (seize ans plus tôt !) d'un rapprochement entre Renault et Volvo, gratifiant Geely du titre d'un des " plus petits et des plus rustiques constructeurs chinois ". Une réaction à la mesure de l'aveuglement de l'Occident - les précédents ne manquent pourtant pas. Le capitalisme change, non parce que des banques occidentales menacent ruine, mais parce que des entrepreneurs émergents le réinventent !
Car si ce rachat demeure un pari, il y a bel et bien un modèle d'affaires et un modèle technologique - pour Geely comme pour les autres constructeurs automobiles émergents. En effet, il manquait à Geely un troisième pilier de développement : la qualité. Il vient de l'acquérir, consciente de devoir assimiler patiemment la marque suédoise. Le leader de l'automobile chinois Shanghai Automotive Industry Co (SAIC) a longuement intégré des actifs de Land Rover... puis a augmenté ses ventes de 59 % en 2009. Lenovo a su capitaliser sur les actifs achetés à IBM; en Inde, Tata Motors n'a pas terni l'image de marque de Jaguar ou de Rover en les rachetant.
Marque, technologie, fiabilité, seront la courroie de transmission entre la base financière, le marché intérieur qui décolle et le réseau international de Geely. Pour Li Shufu, 46 ans, son patron, entrepreneur à 21 ans dans les réfrigérateurs, puis les cyclomoteurs, une voiture c'est " deux sofas, un moteur et quatre roues ". Sans négliger un partenairiat stratégique avec la banque Goldmann Sachs, qui a injecté une participation de 250 millions de dollars depuis 2009, ou des parts dans la production des taxis londoniens. Qui est " rustique " ? Et il y a d'autres Geely. Beijing Automotive Industry Co (BAIC) vient d'acheter à General Motors, pour 200 millions de dollars, des droits sur la propriété intellectuelle du suédois Saab. Là aussi, l'idée est de sauter une étape technologique. D'autres constructeurs chinois (BYD, Chery ou Chang'An) ont, eux, opté pour un mixte entre développement technologique en propre et internationalisation; cette stratégie peut prendre plus de temps, mais elle porte déjà ses fruits.
Des consolidations sont à prévoir, elles seront orchestrées par le pouvoir politique; pour le gagnant, comme le disait Deng Xiaoping, le dirigeant chinois, au sujet de l'avenir de la Chine dans cinquante ans, " on verra ".
En attendant, David ayant besoin d'argent pour racheter Goliath, Pékin prêtera, via ses banques d'Etat, 1 milliard de dollars à Li Shufu, lui permettant d'apporter à son pays le fleuron technologique et toute la qualité souhaitable. Qui est " petit " ?
Joël Ruet est chercheur CNRS au Centre d'études de la Chine contemporaine à Hongkong. Il préside l'Observatoire des émergents.
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