Modératrice Pascale Nivelle, «Libération»
Marie Holzman Sinologue
Il y a soixante ans, les Chinois rêvaient d'un monde nouveau, de l'orgueil national retrouvé. Il y a quarante ans, la Révolution culturelle battait son plein, les Gardes rouges rêvaient de secouer la hiérarchie sociale. En fait, depuis cent ans, des penseurs, des hommes politiques ont rêvé d'une Chine démocratique. Ils pensaient voir émerger une Chine sortie du cycle des dynasties, mais elles ont grandi et prospéré pour finalement s'écrouler dans la corruption. Pour sortir de ce mauvais rêve, même d'anciens communistes, enjoignent aujourd'hui les opposants à transformer la société, ce qui réaliserait le «rêve que les Chinois poursuivent sans relâche depuis un siècle».
Le voyageur pressé verra que les Chinois ont des rêves de petits bourgeois : un appartement, une voiture... Les pauvres ne rêvent encore que de survie et s'angoissent à l'idée de tomber malades, et de ne plus pouvoir subvenir à leurs besoins. L'heure n'est de toute façon pas aux rêves d'une société idéale car, comme Deng Xiaoping l'a dit dès le départ, une partie de la population s'enrichira en premier. C'est fait maintenant, et le rêve de ces nouveaux riches est facile à résumer : ne pas perdre ses nouveaux acquis !
Chen Yan Historien, journaliste
La nation chinoise a répondu à cette question à travers le slogan des Jeux à Pékin : «One World One Dream». Mais alors, cette réponse n'avait pas suscité l'adhésion inconditionnelle des Chinois. Un éditorial du Nouveau Journal De Pékin affirmait qu'un seul rêve pour tous n'est possible que quand ce rêve commun n'exclut pas les innombrables rêves individuels. L'article indiquait que les raisons permettant ce rêve commun reposaient sur les valeurs universelles.
Mais, après les JO de Pékin, une campagne idéologique se déclenche contre les valeurs universelles. Des pamphlets affirment que les droits humains, la liberté n'existent pas; seuls, les intérêts représentent une valeur commune. Ils concluent que, quand les Occidentaux prêchent l'universalité des valeurs, c'est pour imposer leurs propres intérêts. Aujourd'hui, les Chinois ne rêvent plus de la même chose que les Occidentaux car ils risquent d'être taxés de traîtres à la nation. Ils n'osent pas non plus rêver aux mêmes choses que leurs concitoyens riches parce qu'on leur fait savoir que revendiquer les mêmes rêves pourrait troubler l'harmonie de la société. Résultat : les Chinois ne savent plus à quoi rêver.
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