mardi 30 mars 2010

DOSSIER - Les nouvelles guerres des religions - Martine Gozlan

Marianne, no. 675 - Dossier, samedi, 27 mars 2010, p. 94

Ces cléricalismes qui menacent la planète

Partout, le fanatisme religieux ruine le vivre ensemble, minant la vie des pays et sabotant la laïcité. Sidérant retour vers le passé !

Quand est-ce que tout a commencé ? Quelle année, quel jour et en quelle saison les lumières se sont-elles éteintes ? Y a-t-il une datation possible à partir de laquelle pourront travailler les archivistes du futur quand ils tenteront de dégager les faits sous l'épitaphe qui recouvrira notre histoire : " Ci-gît la Raison aux côtés de son fidèle compagnon le Doute. Passant, ne prie pas mais souviens-toi ! "

Ceci est un ultime témoignage. Car à l'aube de la deuxième décennie du XXIe siècle, l'odeur de soufre et d'encens menace nos existences. Pas un mot railleur à l'égard d'une chapelle ne peut s'échapper de nos lèvres sans qu'il soit immédiatement traduit en justice. Les barbus de toutes obédiences tiennent le haut du pavé tandis que les agnostiques - terme sous lequel se dissimulent les athées terrorisés - rasent les murs. Partout, le temps est couvert. Couvert de voiles, franges rituelles, croix, étoiles et croissants divers, breloques en tous genres qui s'accrochent les unes aux autres par mégarde ou incompatibilité dans un vacarme épouvantable propre à rythmer les croisades. De La Haye, où la démission devant l'islamisme conduit à la haine antimusulmane, à Bombay et ses gourous ultrahindous, en passant par Dallas et ses évangélistes (lire l'enquête d'Eric Dior, p. 106), c'est la même cacophonie. Dans les capitales de la raison occidentale, comme dans celles de la passion orientale, les dieux, ou leurs représentants, se livrent une furieuse bataille. C'est peu dire que le cléricalisme, dont ils veulent assurer la revanche, ruine le vivre ensemble. Etape malodorante sur la route défoncée du fanatisme, il mine les bases de la vie collective autant qu'il empoisonne les choix individuels : surtout n'épouse pas le fils ou la fille de ton voisin copte au Caire, chiite à Damas, sunnite à Bagdad ! Surtout ne partage pas le pain de ton voisin intouchable à Delhi, musulman à Ahmedabad ! Danger pour la paix intérieure entre communautés qui vivent sur le même sol, la loi des popes, imams, mollahs, brahmanes et rabbins souffle sur les braises des conflits extérieurs qui flambent en des territoires lointains. Ah, le Proche-Orient embrasant les préaux de l'Hexagone...

Ce nouveau cléricalisme va jusqu'à narguer la France des tribunes républicaines. Ainsi, le roi d'Arabie saoudite sera l'invité d'honneur de notre prochain 14 Juillet !

Il est vrai que le président français avait déjà salué naguère, en janvier 2008 à Riyad, " la sagesse " du roi Abdallah, miraculeusement transformé en apôtre d'une " modernité apprivoisée, mise au service d'une certaine idée de l'homme ". Il y aura donc de quoi déprimer cet été en France. D'autant que les cathos ultras ne sont pas en reste : le 21 mars, ils ont caillassé les militants d'Act Up, venus protester à Notre-Dame contre les propos du pape sur le préservatif et le sida.

Une époque idolâtre

On ne pourra pas se consoler en prenant des nouvelles des démocraties voisines : il y a quelques jours encore, un journal danois a fait amende honorable en s'excusant d'avoir publié en 2006 les fameuses caricatures de Mahomet. L'avocat, grassement payé par une pléiade d'organisations islamiques du Golfe, a fini par gagner. Voilà l'irrespect à genoux alors qu'on organise par ailleurs à Paris des banquets pour fêter les bonnes oeuvres oecuméniques d'un prince saoudien. Leurs Majestés wahhabites nous excuseront, mais il est des fêtes dont on ne peut se réjouir !

" Ce qui est terrible dans le cléricalisme, c'est le respect que lui vouent les Etats ", résume Jean-Claude Barreau, ancien prêtre, " croyant païen " mais anticlérical. " Il faut peut-être y voir, poursuit-il, l'influence de l'Amérique, pays multiclérical du "In God we trust", mais l'Europe est devenue elle aussi bondieusarde et différentialiste. "

Il faut dire que l'époque y a mis du sien. Elle a aidé avec générosité le cléricalisme à s'offrir un lifting. Il n'est plus ringard mais moderne. Et même progressiste. Il s'est drapé dans des fringues tendance et acoquiné avec des marques chic. Car le cléricalisme s'amalgame avec jouissance à notre XXIe siècle : comme lui, il place l'objet, et non plus l'homme, au centre. Il chérit le fétiche, le gadget. L'époque est idolâtre, elle se prosterne devant les signes. Plus on a de gris-gris, mieux on se porte. Riches et pauvres en font le même usage. D'où le déclin, en France, de la laïcité, qui n'a pas de signes à offrir, pas de gourou, pas de grand-messe. Affreuse inversion de tous les sens et de tous les combats : l'obscurantisme est devenu lumière. Henri Pena-Ruiz, dans sa revigorante Histoire de la laïcité, résume les arrière-pensées de ce renversement : " Les résurgences fondamentalistes constituent une sorte de revanche contre les Lumières et la raison émancipatrice, amalgamées à la déshumanisation mercantiliste de la vie et à l'absurdité apparente d'une modernisation qui s'assortit de nouvelles détresses. Un diagnostic spécieux permet alors aux visions religieuses les plus rétrogrades d'associer laïcisation et naufrage du sens... "

On s'acharnera donc, partout, à dépeindre le vide affreux des existences sans dieu. Sidérant retour vers le passé : vent debout sur l'arche des croyances perdues, on a oublié l'insurgé qui nous apostrophe du fond d'un autre siècle. " Ah, nous vous connaissons ! Nous connaissons le parti clérical. C'est lui qui monte la garde à la porte de l'orthodoxie. C'est lui qui a trouvé pour la vérité ces deux étais merveilleux, l'ignorance et l'erreur ! Tous les pas qu'a faits l'intelligence de l'Europe, elle les a faits malgré lui. Son histoire est écrite dans l'histoire du progrès humain mais elle est écrite au verso. Le parti clérical, conclut l'imprécateur, s'est opposé à tout... "

La bigoterie désintégratrice

Ce rebelle s'appelait Victor Hugo. Mots sublimes à qui les relit aujourd'hui, sous la clarté rétro prêchée au populo ! Mots traduits dans le monde entier, sur les terres où tant d'enfants rêvent de s'arracher au fatalisme d'un ciel de plomb. " Cet air de liberté qui aux peuples étrangers donnait le vertige ! " chantait le déjà regretté Jean Ferrat... Mots trouvés, en arabe, sur le marché aux Livres de Bagdad, rue Mutanabbi, leur Saint-Germain-des-Prés dévasté, alors que les Irakiens sortaient du despotisme de Saddam pour être jetés en pâture au fanatisme des milices de l'âme, sunnites comme chiites. Mots relus à Beyrouth, alors que le Liban ployait sous le fouet des massacres confessionnels. Mots cachés à Alger, chez un libraire traqué par les Groupes islamiques armés hier, par la bien-pensance islamo-conservatrice aujourd'hui. Mots égrenés silencieusement à Téhéran, par une belle étudiante masquée. Shirin Ebadi, le prix Nobel de la paix (lire p. 124), le chuchote de son exil : " Le peuple iranien est de plus en plus athée. " Mots de notre Hugo qui prophétisaient tous les maux d'un monde décomposé par les dieux, au XIXe comme au XXIe siècle. Car la bigoterie n'intègre pas, elle désintègre. Partout, elle pulvérise les processus d'identification à la nation. Au Moyen-Orient islamique comme au Proche-Occident communautariste. Comme dans l'Inde qui voulut s'arracher au prêt-à-porter existentiel dicté par les brahmanes. Héroïne tiers-mondiste de la laïcité, la plus grande démocratie du monde risque aujourd'hui de succomber sous les coups des dévots en robe safran (lire le reportage de Julien Bouissou, p. 114). Comme à Am-sterdam et à Londres, chez ces voisins dont le pseudo-modèle de tolérance se lézarde chaque jour davantage pour révéler la nudité obscène de l'intolérance. Dernier avatar de l'effarant communautarisme britannique, une chaîne de télévision musulmane - concept déjà délirant en soi - lance en mai 2008 un jeu télévisé où vont s'affronter les confessions, catholiques contre protestants, musulmans contre juifs, sikhs contre hindous, hindous contre bouddhistes.

Les ghettos poisseux de la foi

Le top du communautarisme fou ! Les équipes défendront chacune leur religion à grand renfort de quiz. Petit exemple : " Dans quelle ville d'Angleterre les hindous ont-ils été outragés quand on leur a tué dans un temple une vache sacrée ? " Et encore : " Quel fabricant de vêtements a dû faire ses excuses aux juifs ultraorthodoxes pour avoir mis en vente des costumes d'une étoffe non kasher ? " Mais aussi : " Quelle est la première revendication du groupe de pression sikh défendu par les députés britanniques au Parlement européen ? Le droit des sikhs d'entrer au Parlement avec leur poignard traditionnel, le kirpan ? Un système judiciaire séparé ? Le droit de créer leurs propres écoles ? Le droit de porter leur turban en toute circonstance ? " Tout est à l'avenant. Les honorables organisateurs n'ont bien sûr que de vagues alibis oecuméniques à la bouche. Ils se contrefichent des conséquences dantesques de ce pugilat télévisuel qui risque de se terminer en " Qui veut gagner des gnons ? ". Comme si le pays, de plus en plus tronçonné en ghettos poisseux de la foi au fond desquels clapote l'intégrisme, avait besoin de ça !

Mais quoi d'étonnant ? " Nous vivons dans une société multiconfessionnelle, multiculturelle? Nous voulons nous instruire les uns les autres? ", se gargarise Abrar Hussain, le producteur de ce show très chaud. Un vrai pro : il s'est rodé en organisant le concours de la meilleure mosquée britannique ! C'est dans cette aimable atmosphère que grandissent les jeunes Pakistanais de la deuxième génération dont les parents ont émigré naguère à Londres comme les Algériens ont émigré naguère à Paris. Et c'est, à peu de chose près, dans un climat du même genre, les tulipes et les canaux en plus, que grandissent les jeunes Marocains dont les parents ont émigré naguère à Amsterdam. Aux Pays-Bas, paradis de la " tolérance " où l'on a susurré pendant trente ans que tout le monde était beau et toutes les religions, gentilles. Un pays qui ronronnait de bonne conscience et se réveille avec la gueule de bois le 2 novembre 2004. Ce jour-là, le cinéaste Theo Van Gogh est égorgé en plein jour, à Amsterdam, une fatwa plantée dans le coeur. Il préparait un film très critique vis-à-vis du sort réservé aux femmes par l'islam. Depuis, chacun s'est replié dans ses territoires. Le Titanic de la tolérance s'est brisé sur l'iceberg du fanatisme. En riposte, six ans plus tard, l'extrême droite raciste et islamophobe risque de devenir le second parti du pays aux prochaines législatives. Exit le cher Spinoza (maudit comme herem, " renégat ", par sa communauté juive) qui affirmait : " Dans cette florissante république, des hommes de toutes origines nationales et appartenant à toutes sortes de sectes religieuses vivent dans la concorde la plus parfaite. "

La laïcité, garde-fou

Et pourtant, malgré ses désastreux états de service, c'est toujours l'encens qu'on agite pour diffuser le bon sens ! Nicolas Sarkozy ne s'en est pas privé en saluant l'histoire cléricale, il y a dix ans déjà, dans son livre sur les religions et la République (éditions du Cerf) : " L'Eglise catholique a joué un rôle d'éducateur et d'intégrateur dans la société française. " Alors même que c'est contre cette éducation que se sont constitués, en France, l'esprit des Lumières d'abord, le socle républicain ensuite, l'émancipation féminine enfin ! On songe à Simone Veil, sanglotant à l'Assemblée, lors du débat sur l'avortement, sous les insultes de la droite éduquée par l'Eglise à maudire les prétentions des filles d'Eve à disposer de leur corps. Et dans cette manipulation des faits, juifs et protestants sont appelés par l'écrivain clérical Sarkozy à la rescousse : " Dans les familles juives ou protestantes, les valeurs individuelles et sociales sont en réalité communes avec celles de l'Eglise ; elles ont apporté leurs spécificités à la construction de l'identité nationale : un attachement profond à la République, une volonté exemplaire d'intégration chez les juifs, le souci aigu de la liberté de conscience chez les protestants. "

De l'art de transformer une vérité en mensonge : ce n'est pas leur religion qui a intégré les juifs à la République, mais le besoin ardent de se fondre dans le creuset national, en s'éloignant précisément de l'observance. Car les juifs s'émancipent aussi en s'émancipant d'eux-mêmes : c'est le phénomène de la Haskala, la version juive des Lumières, née au XIXe siècle de leur aspiration à briser les murs du ghetto. Ghettos qui, ironie de l'histoire, sont en train de se reconstituer dans l'Etat hébreu, alors même que la majorité des Israéliens refusent le diktat des ultraorthodoxes (lire le reportage de notre correspondant à Jérusalem, Julien Lacorie, p. 110). Hommes vêtus comme les marchands polonais du XVIIIe siècle, dans la tristesse de leur caftan noir, puisque la " Shekhina ", la présence divine, est en exil même au coeur du sionisme et qu'il convient de porter son deuil. Femmes aussi sombres, jambes et bras camouflés comme ceux de leurs soeurs ennemies palestiniennes. Toutes portant l'affreux béret qui fait la fortune des chapeliers de Jérusalem, cette ville festonnée d'ombres lugubres, en flagrante opposition avec les bosquets émeraude et la pierre blanche étincelante.

Mais le cléricalisme n'aime pas la beauté. Et même s'il se prétend le gardien de l'ordre, il ne fait que pousser au désordre. Désordres religieux qui couvent comme les désordres mentaux : ils sont tapis au fond de chaque individu et chacun peut y succomber. Nos folies remplissent les rues (lire les extraits du nouveau livre entretien de Caroline Fourest et Taslima Nasreen, p. 126) tandis que s'accumulent fétiches et preuves diverses de liaison directe avec le ciel. L'exhibitionnisme religieux fait rage. Impudeur des signes extérieurs de pudeur ! L'autre, qui refuse notre paroisse, voilà l'ennemi. Qui peut désormais nous retenir de le haïr ? Rien dans une société cléricale. Beaucoup de choses dans une société laïque. Car la laïcité retient la pulsion alors que la dévotion affichée la libère. Alors que la religion, gorgée de fanatisme, s'est retournée contre l'homme, son créateur, pour le persuader de tuer ses semblables rendus trop dissemblables par une autre foi, la laïcité reste l'ultime sur-moi. Notre seul et dernier garde-fou au bord du vertige.

Encadré(s) :

IRLANDE

- 4,34 millions d'habitants

- 98 % de catholiques

Le Parlement a décidé de renforcer la loi contre le blasphème Entre deux Guinness, dire " nom de D " peut coûter 25 000 € !

VATICAN

- 826 habitants, 0,44 km2

- Le plus petit Etat du monde

Les régressions de Benoît XVI sont de plus en plus critiquées.

ÉTATS-UNIS

- 305 millions d'habitants

- 78,1 % de chrétiens (catholiques romains : 23,9 % ; autres : 54,2 %)

- 1,7 % de juifs

- 0,6 % de musulmans

- 0,4 % d'hindous

- 16,1 % d'agnostiques et athées

Les 40 millions d'évangélistes rêvent de transformer le pays de Lincoln en théocratie.

LIBAN

- 4 millions d'habitants

- Régime : république parlementaire à démocratie confessionnelle

- 55 % de musulmans

- 45 % de chrétiens

Dix-huit confessions y sont reconnues. Chacune reste maîtresse en son domaine. Un cocktail explosif.

GRÈCE

- 11,3 millions d'habitants

- 98 % de chrétiens orthodoxes

Pas de séparation entre l'Eglise et l'Etat. La Constitution garantit la liberté religieuse. Mais, en ces temps de vaches maigres, un clergé immensément riche qui ne paye pas d'impôt, ça fait désordre

TCHÉTCHÉNIE

- République de la Fédération de Russie

- 1,103 million d'habitants

- 99 % de musulmans

Au nom des " traditions " et pour le plus grand intérêt de Moscou, le jeune autocrate Ramzan Kadyrov plonge le pays dans l'obscurantisme. Les femmes sont les premières à en payer le prix.

RUSSIE

- 142 millions d'habitants

- 55 % de chrétiens orthodoxes

- 17 % de musulmans

- 9 % de protestants

- 2 % de bouddhistes

- 2 % de juifs

Au pays de Lénine, l'opium du peuple se répand à grande vitesse : plus une manifestation publique sans la présence d'un pope. Avec la bénédiction du Kremlin

ISRAËL

- 7,5 millions d'habitants

- 80 % de juifs

- 16 % de musulmans

- 2 % de chrétiens

Parmi les juifs, il y a 7 % d'ultraorthodoxes, selon différentes estimations. Minorité active, ils tentent d'imposer leurs lois religieuses à l'ensemble de la population.

NIGERIA

- 149 millions d'habitants, le Nigeria est le pays le plus peuplé d'Afrique

- 250 ethnies composent le pays

- 45 % de musulmans, majoritaires dans le Nord

- 40 % de chrétiens, majoritaires dans le Sud

Plusieurs milliers de morts dans les affrontements intercommunautaires depuis 2001. Le 7 mars dernier, entre 100 et 500 personnes ont été tuées dans des villages chrétiens, 8 000 ont pris la fuite

IRAN

- 71 millions d'habitants

- 89 % de musulmans chiites

- 9 % de musulmans sunnites

Malgré la répression, l'opposition ne baisse pas la garde contre le régime d'Ahmadinejad. Au pays des mollahs, l'homme ne donne guère d'avenir à la femme. L'avocate Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix, a été contrainte à l'exil.

INDE

- 1 150 millions d'habitants

- 80 % d'hindous, soit 878 millions de personnes, 13,7 % de musulmans, soit 150 millions de fidèles

- L'Inde est le troisième pays musulman au monde après l'Indonésie et le Pakistan

- 2,1 % de sikhs.

Le sikhisme est une religion propre à l'Inde qui comprend 18 millions de fidèles. Les extrémistes hindous veulent reprendre le pouvoir dans la plus grande démocratie du monde. Ils étendent leur influence en infiltrant les différents secteurs de la société.

INDONÉSIE

- 17 500 îles

- 240 millions d'habitants

- 86,1 % de musulmans, soit la plus forte population musulmane au monde

- 8,7 % de chrétiens

- 3 % d'hindous

- 1,8 % de bouddhistes

Depuis 2000, les pogroms antichrétiens se multiplient. Dans l'archipel, l'influence des fondamentalistes musulmans est de plus en plus grande. Le terrorisme a sévèrement touché l'île de Bali

BANGLADESH

- 144 millions d'habitants

- 89,7 % de musulmans (l'islam est religion d'Etat depuis 1988)

- 9,2 % d'hindous

Taslima Nasreen a été obligée de quitter le Bangladesh en 1994, après la publication de son premier roman, " Lajja " (la Honte), menacée par les fondamentalistes islamistes qui ont mis sa tête à prix : 9 000 € pour sa décapitation.

Grèce A la fortune du pope !
Effy Tselikas

Religion dominante aux termes de la Constitution grecque, " l'Eglise orthodoxe tient plus d'une multinationale que d'une institution spirituelle ", accusent aujourd'hui de nombreux observateurs. L'opinion attendait du nouveau gouvernement socialiste une réforme en profondeur des privilèges exorbitants du premier propriétaire foncier du pays, quasiment exonéré d'impôts.

La fortune de l'Eglise grecque ? Forêts, terres agraires, îles et îlots, quartiers entiers d'Athènes et d'autres villes, immeubles, sociétés anonymes, magasins, stations-service, hôtels de luxe, casinos... Sans oublier un portefeuille d'actions et obligations, bien au chaud dans de nombreuses banques, en particulier la Banque nationale de Grèce. Plus de 15 milliards d'euros et non les 15 millions avoués par l'Eglise. Sans compter les richesses inestimées du territoire autonome du mont Athos. Et les 10 000 prêtres étant fonctionnaires, c'est le contribuable qui paie leurs salaires, assurances sociales et retraites. Une puissance qui remonte à loin : l'Eglise " gérait " la vie sociale sous l'Empire ottoman, avant que l'Etat grec n'existe. D'où sa promiscuité avec le pouvoir politique, quelle que soit sa couleur.

Aujourd'hui, un projet de loi promet à l'Eglise une imposition minimale. En échange, celle-ci assouplirait son hostilité à la naturalisation des enfants nés en Grèce de parents immigrés. Car, bien sûr, les popes clament qu'il ne faut pas " diluer l'hellénisme "...

Nigeria
Alain Léauthier

Au-delà d'un héritage empoisonné

La terre derrière l'ethnie et la croyance. Le legs colonial comme fonds historique des massacres. Et l'absence de l'Etat impartial et de l'Etat tout court comme faute contemporaine. Les affrontements réguliers entre chrétiens et musulmans au Nigeria ne peuvent se résumer à une simple guerre de religion. Les experts autoproclamés du continent noir aiment à le répéter lors de chaque décompte macabre et le constat est loin d'être inexact. Tout le monde a ainsi longuement glosé sur les (très modestes) " privilèges " des fermiers sédentaires et christianisés de l'ethnie Berom, dernières victimes du pogrom organisé par leurs voisins majoritairement musulmans des ethnies nomades Haoussa-Fulani. Divisant pour mieux régner, le colon britannique avait accordé aux premiers un statut d'" indigènes " favorisés refusé aux autres. Difficile de nier le poids de cet héritage empoisonné que le Nigeria n'a pas su, pas voulu ou pas pu corriger depuis l'indépendance. Mais comment ignorer aussi l'agressivité croissante des communautés musulmanes dans plusieurs pays africains, le travail de sape des fondamentalistes dont l'influence touche même des nations réputées plus tranquilles, comme le Sénégal. La culture endémique de la corruption et des inégalités sociales abyssales régnant encore dans une bonne partie du continent, les fauteurs de troubles ont encore de " beaux jours " devant eux.

Liban Le pouvoir des communautés
Jean-Marie Quéméner

Le préambule de la Constitution comporte un point souverainement ignoré par la classe politique locale. L'alinéa H stipule que " la suppression du confessionnalisme politique constitue un but national essentiel pour la réalisation duquel il est nécessaire d'oeuvrer suivant un plan par étapes "...Les Libanais n'ont toujours pas entamé le prologue de cette course par " étapes ". La République libanaise demeure une institution confessionnelle balançant entre plusieurs équilibres. D'abord celui du ratio entre chrétiens et musulmans. Puis celui de la distribution des trônes institutionnels : la présidence de la République à un chrétien, la présidence du Parlement à un chiite, la présidence du Conseil des ministres (le Premier ministre) à un sunnite. Le Liban reconnaît jusqu'à 18 confessions sur son sol. Chacune reste maîtresse en son domaine. La Constitution octroie même le pouvoir aux " chefs des communautés reconnues légalement " de saisir le Conseil constitutionnel " en ce qui concerne exclusivement le statut personnel, la liberté de conscience, l'exercice des cultes religieux et la liberté de l'enseignement religieux "... L'ultime repli identitaire reste confessionnel. Un tatouage invisible sur chacun des 4 millions d'habitants du pays.

Irlande 25 000 pour un juron !
Eric Dior

Au cours de votre prochain séjour en Irlande, évitez, si vous vous coincez un doigt dans une porte, d'invoquer rageusement le sacré nom de Dieu. Cédant à la pression des cléricalismes de toutes obédiences, le Parlement a, en effet, décidé de renforcer la loi contre le blasphème, déjà inscrite dans la Constitution. Jusqu'ici, seul le catholicisme, pratiqué par 98 % des Irlandais, était protégé - sanctions à l'appui - des insanités des mécréants. Désormais, le malotru qui tiendra " des propos injurieux ou insultants " contre les postulats " tenus pour sacrés par une croyance " s'exposera à une amende de 25 000 € ! Seule consolation : il s'agit bel et bien d'une " avancée ", bonne à prendre, comparée à l'époque où les sacrilèges étaient condamnés à avoir la langue percée...

Reste qu'une cohorte de littérateurs - de Diderot à Salman Rushdie - endureraient les feux du nouvel édit. Sans parler du Christ ou de Mahomet, pas non plus en reste pour injurier les paroisses concurrentes. L'application de ce texte pose, en tout cas, des difficultés inédites : le policeman, témoin d'une impiété, devra d'abord prouver que son auteur avait bel et bien " l'intention de créer du scandale ". Le délit ne pourra être homologué que s'il a provoqué " une réaction violente " des quidams de passage... Une formulation qui aurait exposé nombre d'écrivains dublinois à avoir, aujourd'hui, maille à partir avec la nouvelle police de la foi. " Pendant combien de temps devrons-nous endurer que les religions s'acharnent à insulter la vie ? " interrogeait, en 1924, le dramaturge Sean O'Casey. Un libre-penseur exposé, sa vie durant, à la hargne des cagots, sûrs de bénéficier, eux, de la protection des juges.

Russie Dieu bénisse le Kremlin
Anne Dastakian

Les pouvoirs céleste et terrestre se seraient-ils donné le mot pour diriger la Russie ? L'idée ne manque pas de sel dans un pays qui, il y a vingt ans à peine, professait l'athéisme et le matérialisme dialectique... Mais les temps changent, à l'image de la foi affichée par Vladimir Poutine, ex-agent du KGB, officiellement touché par la grâce lors de l'incendie de sa datcha, où il faillit perdre ses deux filles. Aujourd'hui, pas une manifestation publique sans la bénédiction d'un pope. Toutes les télés couvrent toutes les fêtes religieuses et rapportent les moindres interventions du patriarche. En août 2008, un pope bénissait les troupes russes partant envahir la Géorgie, pourtant elle aussi orthodoxe ! Le 7 janvier dernier, jour du Noël orthodoxe, le nouveau patriarche russe Kirill assurait le président Dmitri Medvedev du " soutien de Dieu ", le remerciant, au nom du peuple, d'avoir épargné au pays " de reculer au niveau de chute profonde où l'avaient propulsée les turbulences politiques des années 90 ". Simple radotage d'un esprit imprégné d'" opium du peuple " ? Ou intérêt bien compris ? Le Kremlin venait d'offrir un beau cadeau de Noël à la puissante Eglise orthodoxe russe - dont 55 % des Russes se réclament, même si seulement 15 % sont pratiquants -, la restitution du célèbre monastère moscovite de Novodievitchi (dont le cimetière compte toutes les célébrités locales), avec la promesse, par Poutine en personne, du prochain retour de 1 200 lieux de culte confisqués à l'époque soviétique...

Tchétchénie Un voile s'abat sur les femmes
A.D.

Retour aux traditions ? " Nullement. La charia décrétée l'an dernier par le jeune autocrate Ramzan Kadyrov n'a rien à voir avec l'islam soufi, traditionnel en Tchétchénie, sévèrement réprimé par les autorités au temps de l'URSS ", tranchait un représentant tchétchène de l'ONG Memorial, de passage à Paris. Sa collègue Natalia Estemirova, enlevée puis assassinée en juillet dernier, pensait, quant à elle, que " la dictature qui s'installe repose aussi sur l'humiliation des femmes ". L'écrivain Jonathan Littell, bon connaisseur du Caucase, enfonce le clou dans son reportage Tchétchénie an III (Gallimard) : " Ce sont surtout les femmes qui font les frais du "retour à la tradition" de Kadyrov et de ses imams ", juge-t-il. Car, si les caciques du régime affichent en public une piété d'opérette et de beaux principes moraux, ils ne cracheraient pas, en privé, sur les vices occidentaux. Très actives pendant la guerre contre la Russie, les femmes sont contraintes de porter le voile dans les bâtiments publics et à l'université. Elles sont insultées dans la rue si leur tenue est jugée inadéquate, voire impunément tuées pour mauvaise conduite. Les Tchétchènes, plutôt émancipées, ne sont pas à la fête. D'autant que le régime promeut ouvertement la polygamie, pourtant illégale en Russie. Contre une illusoire paix sociale, Moscou a délégué à Kadyrov le soin de " normaliser " la Tchétchénie. A n'importe quel prix...

Indonésie Pogroms antichrétiens
A.Lé.

Heureux comme un chrétien au pays d'Allah ! Cela a été vrai en Indonésie. L'Etat musulman le plus peuplé de la planète a longtemps cultivé une relative tolérance, inconnue sous d'autres cieux proche- et moyen-orientaux. Si près de 90 % des Indonésiens se disent musulmans, presque la moitié d'entre eux pratiquent un islam modéré : en réalité, un syncrétisme typique des contrées asiatiques. Pendant longtemps, ils ont cohabité sans trop de problèmes avec les 9 % de chrétiens éparpillés sur les principales îles du pays. Mais, à partir de 2000, la donne a changé, essentiellement aux Moluques et aux Célèbes sous l'influence du groupe salafiste Laskar Jihad, dirigé par Jaffar Umar Thalib, un ancien d'Afghanistan. Implanté à Java, le poumon économique, mais surpeuplé, de l'archipel indonésien, les fondamentalistes prirent prétexte d'un presque banal conflit de voisinage pour attiser des affrontements qui ont vite basculé en de véritables pogroms antichrétiens. Bilan : des milliers de morts et des dizaines de milliers de déplacés, le tout sous l'oeil complice d'une partie de l'armée. Comme toujours, le nettoyage ethnique et religieux cachait aussi des ambitions territoriales et économiques. Premier président élu au suffrage direct en 2004 puis réélu l'an dernier, Susilo Bambang Yudhoyono ne montre guère de complaisance à l'égard des islamistes. A son actif : la mobilisation des militaires contre le terrorisme salafiste, qui a finalement payé avec la mort, confirmée cette fois, de Noordin Top. D'origine malaisienne, ce dernier était considéré comme l'un des principaux organisateurs des attentats meurtriers perpétrés par la Jemaah Islamiyah au début de la décennie, dont ceux de Bali (202 morts en 2002) et de l'hôtel Marriott de Jakarta (12 morts en 2003).

PHOTO - Greek Orthodox Patriarch of Jerusalem Theophilos III (C) leads the Palm Sunday mass at the Church of the Holy Sepulchre in Jerusalem's old city on March 28, 2010. Palm Sunday marks the triumphant return of Jesus Christ to Jerusalem the week before his crucifixion, when a cheering crowd greeted him waving palm leaves. It also marks the start of the most solemn week in the Christian calendar.

© 2010 Marianne. Tous droits réservés.

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