Le sud-est du continent est un marché fabuleux pour les grands vins. Encore faut-il s'y prendre avec intelligence et doigté.
Dans la morosité qui gangrène actuellement la France du vin, il est difficile d'imaginer comment les grands vins de France attirent les foules à Singapour, Hongkong ou ailleurs. Pierre Lurton, le patron d'Yquem et Cheval Blanc, l'a bien compris : « J'adore l'Asie du Sud-Est avec ses amateurs enthousiastes, son dynamisme et une incroyable foi en l'avenir. Ils ont une telle envie de découvrir les grands vins! »
Les grands vins français attirent les foules : quatre cents amateurs passionnés la semaine dernière à Singapour, autant à Hongkong deux jours avant. Le tout à guichets fermés et sûrement autant en liste d'attente. De quoi faire rougir les organisateurs parisiens qui ont tant de peine à remplir une petite salle. Ce n'est pas un hasard car les organisateurs avaient bien fait les choses : « des grands vins à leur apogée à couper le souffle » titrait le célèbre critique N K Yong dans le Business Times de Singapour.
Il faut dire qu'il avait de quoi déplacer les foules. Pierre Lurton avait à chaque fois sorti une verticale de sept millésimes d'Yquem, tous servis en impériale, qui allait de 2002 à 1988, tous plus beaux les uns que les autres. D'ailleurs, étonnement, beaucoup de dégustateurs sont revenus plusieurs fois pour tenter d'en percer le mystère, pour finalement déclarer que le 1988 était peut-être le plus parfait, mais que le moins parfait était plus que parfait...
La dégustation comprenait autant de Châteaux Cheval Blanc, toujours en grands formats, dont un 1978 fabuleux, au sommet de sa gloire, et un 2005 incroyablement enchanteur dans sa folle jeunesse. Rares sont les crus dans le monde capables d'une telle performance, superbes jeunes, exceptionnels à leur maturité et profonds lorsqu'ils vieillissent, une remarque qui dépasse le vin.
Pour que ce genre de manifestations soit une réussite totale, il faut que la logistique soit à la hauteur et les Français n'ont pas toujours bonne réputation en la matière. Heureusement, il existe une société française, Ficofi, spécialisée dans l'événementiel qui est capable d'organiser ce type de manifestations à Londres, New York ou Singapour : « Nous en organisons plus de deux cents dans le monde, dont l'essentiel à l'étranger », précise Philippe Capdouze qui la dirige.
Pour qu'un tel événement soit un succès, il faut « dépasser le cadre bordelais ». Dans la même dégustation cohabitaient une série fabuleuse de grands bourgognes tant en blanc qu'en rouge avec tous les grands noms, Bouchard, Coche-Dury et autres Leflaive. Un jéroboam de La Tâche 1998 et un mathusalem de la Romanée-Saint-Vivant 1988 comblaient les aficionados. Dans le Rhône, figuraient tous les grands Guigal tant recherchés, mais aussi Chapoutier et Jaboulet, dans les plus grands vins et les plus grands millésimes.
Un nouvel Eldorado
Pour démontrer que les « Français n'avaient pas l'esprit étroit », tous les grands italiens (Sassicaia, Solaia) figuraient aux côtés des grands espagnols (Vega Sicilia), des grands australiens et américains, entre autres. Pour ceux qui étaient attentifs, il n'en manquait pas, les vieux millésimes étaient de sortie : un hermitage de Jaboulet 1991 faisait se pâmer plus d'un, un pommard 1966 de Bouchard était absolument remarquable. Quant au pommard-rugiens 1929 de Bouchard, le grand critique N K Yong en a fait une colonne spéciale dans son journal.
La clé du succès tient à la fois du grand professionnalisme dans l'organisation et de la large palette des crus présentés. Ficofi n'avait pas fait dans le détail, sachant que tous ces crus sont particulièrement recherchés dans le monde : il en faut, de la diplomatie pour convaincre tous ces producteurs, tellement sollicités, de lâcher quelques-uns de leurs joyaux. Cerise sur le gâteau, Pierre Lurton avec ses verticales d'yquem et de Cheval Blanc.
Mais le marché de l'Asie du Sud-Est vaut bien tous ces efforts. D'abord, contrairement au reste du monde, la région n'est pas en crise : la Chine a fait + 9 % de croissance l'année dernière. La complexité de la cuisine asiatique s'accorde comme un gant à celle du vin français. Les grands crus, avec leurs longs vieillissements, se sentent bien mieux avec les plats de la Chine millénaire qu'avec celle du Nouveau Monde.
Ce n'est pas un hasard si les grands bordeaux, qui vont devoir placer leur millésime 2009 dans un marché mondial atone, font des yeux de Chimène à ce nouvel Eldorado.
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