Étoile montante de la politique, Bo Xilai a vaincu les triades à Chongqing, une ville de 30 millions d'habitants. Il pourrait entrer au comité du Politburo, le saint des saints. En attendant mieux?
Certains, emportés par leur élan, sont allés jusqu'à le qualifier de « Kennedy chinois ». Pour sa belle allure, sa jolie femme et sa façon moderne de communiquer avec le peuple. D'autres, plus modestes, se sont contentés d'une comparaison avec l'ancien maire de New York, Rudolph Giuliani, en raison de sa populaire croisade contre le crime. Bo Xilai est la grande star politique chinoise du moment. L'étoile montante du Parti... Malgré le Parti. Ces jours-ci, à l'occasion de la session annuelle du Parlement chinois, le flamboyant secrétaire du PCC de Chongqing, la plus folle mégalopole chinoise, est la cible de toutes les caméras. On ne parle que de lui. À 60 ans, on lui prête les plus hautes ambitions, alors qu'une nouvelle génération de dirigeants chinois va entrer en lice en 2012.
L'homme a un étrange profil, sorte d'hybride d'Eliot Ness et de maoïste modernisé. Sa grande affaire, en effet, est la guerre qu'il mène depuis six mois contre les « gangs noirs » de Chongqing, gigantesque ville-province de 30 millions d'habitants, sise dans le Sichuan mais, en termes politiques, directement subordonnée à Pékin. Bo Xilai y a lancé une « tempête antitriades » dont parle toute la Chine. Sur les rives du Yang Tsé, le bilan est sérieux. Plus de 3 300 personnes ont été arrêtées, 63 syndicats du crime démantelés et même une poignée de puissants milliardaires mis à terre.
Surtout, le nettoyeur s'est attaqué aux liens entre mafieux et politiques, coupant l'herbe sous le pied des dirigeants pékinois et leur antienne de lutte anticorruption au sein du Parti. Des douzaines de cadres sont tombés. Avec en tête l'ancien chef de la police de la ville, qui n'était autre que le beau-frère de Xie Caiping, surnommée la « marraine du Chongqing souterrain » avec son réseau de casinos clandestins. Pourquoi une telle opération « mains propres »? Bo Xilai raconte avoir été choqué par ses ouailles se pressant à la porte de ses bureaux munis de sanglantes photos. « Les gangsters tuent les gens avec des couteaux, comme les bouchers des animaux », a-t-il lancé. En confiant qu'il ne s'attendait pas à trouver une tâche de cette ampleur, un crime aussi ramifié. Au passage, il n'a pas hésité à se comparer au célèbre Lin Zexu, qui mena la lutte contre le trafic de l'opium sous la dynastie Qing...
Un rouge très « tendance »
Ces combats contre le crime ne sont-ils pas qu'une bataille dans la guerre qui fait rage pour arriver au faîte de l'État chinois? La question lui a été posée samedi par un insolent journaliste taïwanais, sous les ors du Palais du Peuple. Bo Xilai, visiblement embarrassé, a éludé. Mais la course à la succession est bel et bien ouverte. L'« incorruptible » ne peut a priori menacer les deux héritiers supposés pour les postes de président et de premier ministre, respectivement Xi Jinping et Li Keqiang. Mais il peut prétendre à une place dans le saint des saints, parmi les neuf membres du comité permanent du Politburo du Parti. Le vrai coeur du pouvoir chinois, où toutes les grandes décisions sont prises. Sept de ses neuf membres vont être renouvelés en 2012, ce qui va installer au sommet la sixième génération de dirigeants chinois.
Auparavant, Bo Xilai a fait un parcours complet et exemplaire, maire de la grande ville de Dalian, gouverneur de la province du Liaoning puis ministre du Commerce en 2004. Il est issu du clan politique des « fils de princes », formé par les descendants des fondateurs de la République populaire. Son père, Bo Yibo, est l'un des « huit immortels » de la révolution. Son grand rival n'est autre que son prédécesseur à Chongqing, Wang Yang, aujourd'hui patron du Parti dans la riche province sudiste du Guangdong. Ce dernier, réputé proche du président Hu Jintao, fait partie de son clan politique rival de la Ligue de la jeunesse communiste. En creux, l'actuelle croisade contre le crime de Bo Xilai soulignerait les déficiences du précédent détenteur des clés de Chongqing... La presse officielle a récemment volé au secours de Wang Yang, soulignant ses talents de réformateur économique. Deux faits d'armes s'opposent : l'un contre les chefs mafieux et les officiels corrompus, l'autre contre les bureaucrates et les chefs d'entreprise du passé.
La famille de Bo Xilai, fait le bonheur du « Web people » chinois. Sa seconde épouse, Gu Kailai, est une brillante avocate, riche d'autant de charme que de réussite. Et les internautes sont fous de son fils Bo Guagua, tout aussi photogénique et qui vient d'étudier à Oxford. Mais qui dit glamour ne dit pas forcément libéralisme échevelé, politiquement du moins. Les réformistes politiques chinois s'inquiètent de ses « campagnes de masse » à l'ancienne. L'homme se plaît à remettre les préceptes maoïstes au goût du jour, en appelant à leur valeur morale. Il fait envoyer des « textos rouges » à des millions de ses administrés. Et n'hésite pas à faire chanter en public « Orient rouge », une chanson très en vogue sous la Révolution culturelle.
Bo Xilai est le symbole de nouveaux temps chinois où, même si les décisions sont toujours le fruit d'un consensus entre quelques hiérarques réunis dans un obscur cabinet, l'exposition médiatique prend de l'importance. Il préfigure sans doute un nouveau style de dirigeants avec lequel il faudra compter. Charmeurs, ouverts aux médias et à une opinion publique grandissante. N'hésitant pas à bousculer les lignes et à moderniser le Parti. Mais jouant facilement sur le registre populiste, voire nationaliste. Les chantres d'un rouge très « tendance ».
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