Pari. Henri Giscard d'Estaing, le « GO en chef », entame sa campagne en Mandchourie. Reportage.
Henri Giscard d'Estaing n'a même pas l'air fatigué. La soirée fut pourtant longue et bien remplie. Il a présidé le dîner de gala (dress code : costume noir, écharpe blanche et toque en fourrure sur la tête), tremblé au numéro d'acrobatie des gymnastes russes, trinqué gaiement au champagne et gesticulé en mesure dans la lumière électrique du Long Bar. En somme, il a fait son boulot de PDG du Club Med. Quelques (maigres) heures de sommeil plus tard, le fils de l'ex-président de la République française chausse ses skis Atomic, remonte la fermeture Eclair de son blouson jaune et ajuste ses lunettes de soleil. Il s'agit maintenant de goûter la neige. Très vite, le verdict du patron (excellent skieur) tombe : « Les vents sibériens créent une neige légère, à la texture agréable et douce. Les pistes sont belles et ne sont pas verglacées. Il fait beau. C'est formidable ! » Ouf ! C'est que la qualité des flocons est une question éminemment stratégique. A partir du 13 novembre 2010, au bout de cette piste bleue plutôt fastoche, on pourra contempler le premier village du Club Med de Chine ! Henri Giscard d'Estaing part à la conquête de l'empire du Milieu en plantant son trident en Mandchourie, dans la plus grande station de ski du pays. Son nom : Yabuli.
La campagne de Chine de Giscard commence donc ici, au pied de ces jolis monts enneigés. Mais elle ne s'arrêtera pas là. Il entend ouvrir cinq villages haut de gamme sur le territoire (ski, soleil et campagne) d'ici à 2015 et séduire 200 000 clients.« La Chine pourrait rapidement devenir notre deuxième marché après la France », avance le PDG du groupe de loisirs.
C'est que l'homme est pressé. Il lui reste toujours à prouver que sa stratégie de repositionnement du Club Med - lancée en 2004 - en produit « haut de gamme et multiculturel » est pertinente. Il le sait, les critiques - sur les prix prohibitifs, par exemple - ne s'éteindront que le jour où le Club Med baignera enfin dans une piscine de bénéfices. Recherche profits désespérément. Il sait que son salut pourrait venir de cette nation-continent et de son armée de nouveaux riches.« Le Club Med n'a pas besoin de la Chine pour être rentable, tient à préciser Giscard.Mais ce pays représente un relais de croissance incroyable. » Bel euphémisme. Le Club Med a dramatiquement besoin de la superpuissance asiatique.
Hermès, Chanel et Club Med. Maggie Gao et ses 88 poissons rouges - le 8 est un chiffre porte-bonheur en Chine - sont à la manoeuvre du haut du 44e étage d'une tour ultramoderne de Shanghai. Cette jeune femme de 40 ans, originaire du nord de la Chine, qui a étudié à HEC et parle français, dirige le Club Med dans la patrie de Mao. C'est elle qui l'a lancé il y a sept ans.« J'ai immédiatement positionné le Club comme un produit de grand luxe pour les Chinois qui réussissent financièrement, dit-elle.S'ils achètent un sac, c'est forcément un sac Hermès. S'ils achètent un costume, c'est un Chanel. S'ils partent en vacances, c'est avec le Club Med. » A ses débuts, Maggie Gao passe sa vie à expliquer le concept d'hôtel-club (inconnu en Chine) aux agents de voyages et aux clients potentiels : le tout-compris, les animations, le sport, le miniclub, etc.« Ce qui impressionne le plus les Chinois, c'est la profusion des buffets, dit-elle.La nourriture, c'est très important dans notre culture. » Les riches Chinois vont donc séjourner dans les Club Med de la zone : Malaisie, Maldives, Thaïlande, Japon et Bali. En 2010, ils seront 30 000 à partir au pays des GO. Portrait-robot : le client est jeune (entre 25 et 40 ans), riche (forcément, il paie en moyenne 143 euros la nuit au Club Med), entrepreneur et habitant d'une mégalopole (Shanghai, Pékin ou Chengdu). Le Club Med vise le top, 0,4 % de la population, ce qui représentera tout de même 4 millions de personnes en 2015...« Il faut ouvrir des villages en Chine, dit Caroline Puechoultres, directrice générale de l'Asie, du marketing et du développement pour le Club Med.Pour les Chinois fortunés, il est bien vu de rester dans son pays pour les vacances. Ils n'ont pas de problème de visa... Et puis, on participe ainsi au développement de la Chine, en pionniers. »
Yabuli, un parfum de bout du monde. Le pilote annonce la couleur : il fait - 5° C à Harbin (2 h 50 de vol depuis Shanghai). Franchement, ça aurait pu être pire. Dans cette contrée, non loin de la frontière russe, le thermomètre dégringole jusqu'à - 40 au coeur de l'hiver. Au XIXe siècle, cette région était le terrain de chasse des empereurs de la dynastie Qing. Il a ensuite été transformé en parc national. Niveau décorum, ce n'est pas (du tout) les Alpes. Pas de glaciers qui chatouillent le ciel et pas de routes sinueuses bordant des précipices. La route est longue et monotone, et les montagnes culminent à 1000 mètres. Bon, ce n'est pas Val-d'Isère. Mais c'est la Chine et c'est tout nouveau !« Yabuli, avec ses dix-huit pistes, est la destination numéro un pour le ski en Chine », annonce Grégory Lanter, directeur du développement du Club Méditerranée dans le monde. C'est d'ailleurs là que s'entraîne l'équipe olympique chinoise - rentrée bredouille de Vancouver. Elle partage le domaine avec des vacanciers plutôt adeptes du chasse-neige que du slalom géant...
« Le ski est un sport radicalement nouveau en Chine, continue-t-il.Mais c'est un marqueur social. Il faut skier pour afficher son succès. » Les Chinois, ne sachant (pour la plupart) pas tenir debout sur ces étranges spatules, éprouvent un mélange d'attirance et de crainte.« Il faudra être très pédagogue, explique Mathieu, le futur responsable du ski pour le village Club Med.La neige, ça doit être ludique. » La station est équipée d'un tapis roulant géant, bien pratique pour les novices (moins casse-gueule que les tire-fesses à la française). A part ça, on compte cent canons à neige, un télésiège chauffé et une télécabine toute neuve de fabrication française (Poma).« Tout a changé, dit Patrick Fournier, de Melco China Resort, le groupe chinois qui possède les murs du futur village.Il y a seulement deux ans, on utilisait un vétuste télésiège à deux places très lent. Et une centaine de paysans, armés de leurs pelles, recouvraient de neige les pistes tous les matins... » Il n'existe pas (pour l'instant) d'école de ski officielle en Chine. Un jeune Chinois peut s'improviser moniteur de ski du jour au lendemain. Et apprendre à skier en même temps que ses élèves... Le gouvernement l'a promis, le domaine devrait s'étendre rapidement et gagner en notoriété. C'est déjà ici qu'a lieu tous les ans le Davos chinois... Et les autorités évoquent une candidature de Yabuli aux Jeux olympiques de 2022 !
Henri Giscard d'Estaing s'était rendu à Harbin en... 1976 (invité par les Jeunesses communistes) pour admirer les champs pétrolifères, en compagnie de son ami Jean-Pierre Raffarin. Il revient dans la région pour la première fois en août 2009. Fonce à Yabuli visiter deux hôtels - reliés entre eux - de 284 chambres au total, le spa, la piscine, la salle de fitness. Tout est flambant neuf mais... vide. La crise est passée par là.« Il y a de l'espace, de belles chambres, tout est nickel, dit-il.J'ai immédiatement pensé qu'on pouvait transformer ces hôtels en villages de ski du club. » Le Club Med n'est propriétaire de rien. Il assurera la gestion et la commercialisation du village, via un contrat de management conclu pour dix ans (renouvelables). Giscard met tout de même 3 millions de dollars sur la table pour « club-médiser » les lieux. En clair, réchauffer l'ambiance. C'est Margaux Lhermitte (oui, oui, elle est de la famille du bronzé, c'est sa nièce !), designeuse d'intérieur et de talent, domiciliée à Shanghai, qui s'en charge.« Pour l'instant, la déco est froide et monotone, sans âme, dit-elle.Il faut des couleurs vives et fortes, pour amener joie et bonne humeur. »
Raclette et tofu. A l'automne, les GO - une centaine - vont commencer à déferler sur Yabuli. Ils viendront de partout et la plupart parleront le mandarin. Ben, le chef de village, est néo-zélandais et juste usiné comme il faut. Musclé, jeune, beau. Sympa aussi. Tout pour plaire aux jeunes filles chinoises et aux autres.« L'erreur serait de créer un village chinois pour les Chinois, dit Olivier Horps, directeur de la zone Asie Pacifique pour le Club Med.Il faut rester international et multiculturel, c'est ce que recherche l'élite chinoise. Elle veut s'ouvrir sur le monde. » Alors, dans le village, on pourra manger aussi bien de la raclette, du saucisson, du porc à la sauce aigre-douce que du tofu. Quelques incontournables pour la clientèle chinoise tout de même : soupes de nouilles dans le mini-bar, tables de mahjong, salles de karaoké et folles soirées.« Les Chinois aiment participer, danser, chanter, jouer, continue Olivier Horps.Quand il ne se passe rien, ça leur fait peur. Et puis, ils se lâchent beaucoup plus que les Européens, qui sont parfois un peu blasés... »
Henri Giscard d'Estaing est resté quarante-huit heures chrono à Yabuli. Il est déjà reparti vers Pékin, pour fureter vers la Grande Muraille. Le Club Med songe - outre un village grand luxe au soleil, dans l'île de Hainan - à s'implanter non loin d'une mégalopole chinoise ou même carrément en pleine campagne - le Yunnan est à l'étude. C'est clair, l'avenir du Club sera asiatique ou ne sera pas
Encadré(s) :
Le Club Med en chiffres
En 2009, ce sont 76 villages, dont 34 villages 4 tridents et 3 villages 5 tridents (La Plantation d'Albion, Marrakech le Riad, Club Med 2).
- Chiffre d'affaires : 1,3 milliard d'euros, soit une baisse de 8 %.
- Résultat net : 53 millions d'euros.
- Nombre d'employés : 15 000 GO de 100 nationalités différentes.
- Nombre de clients : 1,22 million, dont 23 000 Chinois l'an dernier.
- Projets d'ouverture de villages : Yabuli (novembre 2010) en Chine, Sinai Bay à Taba en Egypte (Novembre 2010), Salalah Beach à Oman, Valmorel en France.
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