Un premier ministre en exercice qui prend la plume mérite toujours d'être lu, et en Chine plus qu'ailleurs. Les dirigeants communistes ne sont en effet guère coutumiers des confidences, verbales ou écrites. Voilà pourquoi l'étonnant article dont s'est fendu récemment Wen Jiabao dans le journal officiel du Parti, Le Quotidien du peuple, est au coeur de toutes les exégèses des observateurs de la politique chinoise. Car ce papier insolite est écrit sur un sujet sensible, à une période sensible, celle des grandes manoeuvres pour la succession politique de 2012.
C'est un voyage dans le Sud chinois ravagé par la sécheresse, il y a quelque temps, qui a replongé le premier ministre dans son passé et lui a donné l'envie d'écrire. Le périple lui a rappelé celui effectué avec le secrétaire général du Parti, Hu Yaobang, dans la province sudiste du Guizhou en 1986. Ce patron du PCC « réformateur », qui plaidait pour qu'une libéralisation politique accompagne l'ouverture économique, avait été démis de ses fonctions en 1987. Et c'est sa mort, le 15 avril 1989, qui avait été le déclencheur des manifestations étudiantes et populaires qui allaient se terminer par le bain de sang de la place Tiananmen. Le long récit de Wen Jiabao ressemble à une confession, avec des passages emplis d'émotion. Il rappelle que Hu Yaobang fut son mentor, qu'il lui manque terriblement. Qu'il avait continué à le voir après sa disgrâce, qu'il va toujours rendre visite à ses proches à chaque Nouvel An chinois.
Le message, pour l'essentiel, tourne autour de l'exemplarité d'un homme « totalement dévoué au service du peuple », à « l'immense moralité et ouverture d'esprit ». Sous-entendu que toutes ces qualités n'habitent plus forcément les cadres actuels du Parti. Même d'infatigables critiques de l'immobilisme politique de l'actuel régime chinois ont salué la prose de Wen Jiabao. Ex-bras droit de Zhao Ziyang, l'ancien patron du PC « purgé » en 1989 pour s'être opposé à l'envoi de l'armée sur Tiananmen, Bao Tong juge l'article totalement inattendu. Et y voit « un geste très important, un bon signe ». Après les meurtres dans les écoles, Wen Jiabao vient encore de tenir un discours au ton nouveau, appelant à s'attaquer aux « contradictions sociales » chinoises.
Les questions sont multiples. Wen Jiabao a-t-il pu publier cet article de son propre chef, sans feu vert par exemple du président Hu Jintao? Et ce alors que Le Quotidien du peuple est sous le contrôle direct de Li Changchun, l'un des « neuf » du comité permanent du Bureau politique, et pas le plus libéral. Est-ce le signal d'une volonté de relancer les réformes politiques? Les autres messages envoyés depuis des mois vont plutôt en sens inverse. Dans une note de la Jamestown Foundation, l'un des meilleurs connaisseurs de l'appareil politique chinois, Willy Lam, écrit qu'« au lieu de s'appuyer sur des réformes politiques pour apaiser les contradictions sociopolitiques, les dirigeants du Parti affectent des ressources sans précédent pour renforcer la sécurité et le contrôle de l'appareil ».
Interpréter l'article de Wen Jiabao comme le signe avant-coureur d'un retour aux réformes serait sans doute une erreur. La marche vers la succession de 2010 rend une telle ouverture, potentiellement déstabilisatrice, très improbable, voire impossible. Pour Willy Lam, le papier serait donc plus destiné à apaiser la frange libérale du Parti et l'intelligentsia. Et, dans la perspective des luttes de faction pour 2012, de renforcer la position de celle de la Ligue de la jeunesse, qui fut fondée par Hu Yaobang et dont le président Hu Jintao est l'actuel chef de file. Avec peut-être aussi, chez Wen Jiabao, le souci très personnel de se positionner comme le plus ouvert des dirigeants chinois de notre temps. Pour l'Histoire.
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