mardi 18 mai 2010

CINÉMA - Entre quotas et censure, le long périple chinois des films français

Le Monde - Culture, lundi, 17 mai 2010, p. 16 CULTURE Festival de Cannes 2010

Ce marché titanesque s'ouvre très lentement aux productions étrangères. En 2009, seules quatre oeuvres hexagonales ont réussi à s'y faufiler.

La Chine aime le cinéma français. Enfin, un certain cinéma. Ses films de répertoire comme La Grande Vadrouille (1966). Ses blockbusters : Astérix aux Jeux olympiques (2008), Le Transporteur 3 (2008). Ses stars : Sophie Marceau, Alain Delon.

Envoyée spéciale sur la Croisette, la chaîne de télévision chinoise CCTV6 est venue délivrer le message aux médias, jeudi 13 mai : celle qui se présente comme le « Canal chinois » achète 400 films internationaux par an, en grande majorité des américains et une soixantaine de productions françaises. Ses 900 millions de téléspectateurs en redemandent.

Le marché du cinéma, lui, s'ouvre lentement. Certes, les films français ne représentent pour l'instant que 1,7 % des 248 millions d'entrées sur le territoire chinois (en 2009). Mais ils montent en puissance depuis cinq ans et ont attiré 4,27 millions de spectateurs en 2009. Le secteur est en pleine expansion. « La Chine comptera 20 000 écrans dans cinq ans [contre 4 800 en 2009]. Il faut nourrir les multiplexes », souligne Régine Hatchondo, directrice générale d'Unifrance, organisme chargé de promouvoir le cinéma français à l'étranger. Les comédies populaires hexagonales et leur « French touch » sont très attendues.

Mais comment alimenter la machine, tandis que la Chine impose des quotas à l'importation ? Une cinquantaine de films étrangers seulement arrivent dans le pays chaque année. Une vingtaine d'entre eux sont achetés en partage des recettes; une trentaine au forfait, comme Les Femmes de l'ombre (2008). Les 2,18 millions d'euros de recettes générés par le film de Jean-Paul Salomé ont ainsi bénéficié aux professionnels chinois.

Quant aux recettes des DVD, « ce n'est pas la peine d'y compter. Les DVD piratés circulent avant même la sortie en salles ! », indique-t-on à Unifrance. Au final, seuls quatre films français ont réussi à se faufiler sur le marché chinois en 2009 : outre Les Femmes de l'ombre, La Doublure de Francis Veber, Les Deux Mondes de Daniel Cohen et Le Transporteur 3 d'Olivier Megaton.

Coproduction

Un accord de coproduction signé le 29 avril entre la France et la Chine vise à ouvrir un peu les vannes : « L'enjeu principal de cet accord est de conférer la double nationalité - dont la nationalité chinoise - aux films coproduits, et d'échapper ainsi aux quotas », explique Julien Ezanno, du Centre national de la cinématographie (CNC).

Revers de la médaille, les scénarios des films ainsi coproduits devront être soumis au bureau de la censure chinoise, la Sarft (State Administration of Radio, Film and Television) : la violence, le sexe, la contestation de l'autorité, le dénigrement d'un pays tiers, etc., peuvent entraîner le rejet d'un film.

Parmi les refusés, citons Banlieue 13, de Pierre Morel (2004), Le Serpent, d'Eric Barbier (2007), Entre les murs, de Laurent Cantet (2008). L'accord de coproduction franco-chinois ne va-t-il pas accentuer le formatage des oeuvres ? Quelques projets seraient déjà dans les tuyaux, telle l'adaptation à l'écran de La Joueuse de go, de l'écrivain Shan Sa, par Monique Guerrier. Il est possible aussi que la Chine comprenne l'intérêt économique d'une plus grande ouverture.

Christine Pernin, qui pilote le bureau d'Unifrance à Pékin, mise, elle, sur le dialogue. Dans le festival qu'elle organise chaque année au mois d'avril, Le Panorama du film français en Chine, elle arrive désormais à « programmer des films qui ne pourraient pas sortir en salles ni à la télévision ». Quitte à limiter certaines séances en soirée, ou à adapter le sous-titrage d'un film jugé trop cru - ce fut le cas pour Stella, de Sylvie Verheyde (2008).

« En Chine, il n'y a pas de système de classification des films. Résultat, le bureau de la censure estime que toute oeuvre doit pouvoir être vue par un enfant de 3 ans », résume Christine Pernin. Elle se félicite d'avoir pu programmer quelques films d'auteur, comme Mademoiselle Chambon de Stéphane Brizé (2009), ou Une semaine sur deux, d'Ivan Calbérac (2009), qui traite d'un sujet sensible en Chine, la garde des enfants de divorcés. Bientôt, Le Mépris de Jean-Luc Godard, sans les fesses de Brigitte Bardot ?

Clarisse Fabre

PHOTO - BEIJING - MARCH 08: French actress Sophie Marceau promotes her movie 'Nete Retourne Pas' at Westin Hotel on March 8, 2010 in Beijing of China.

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