A toute allure. Dans l'usine L'Oréal de Suzhou (Est), les petits tubes de gel nettoyant pour la peau, estampillés Garnier Men et destinés à une clientèle masculine sont remplis par une drôle de machine en Inox à la cadence impressionnante de 120 tubes par minute. A toute allure aussi, le marché des produits de beauté pour hommes décolle en Chine. De façon spectaculaire. Estimé entre 300 et 400 millions d'euros, ce micromarché ne représente guère qu'environ 5 % du total des ventes des cosmétiques dans le pays. Mais il a augmenté de 27 % en 2009. Et de 40 % au cours des premiers mois de 2010, selon Nielsen.
Parce qu'ils le valent bien ? L'Oréal, le numéro deux des cosmétiques en Chine après l'américain Procter & Gamble, attaque en tout cas cette nouvelle cible avec détermination. Les linéaires des hypermarchés regorgent de produits destinés à choyer la peau des hommes chinois. Et des petits pots de crème en tout genre pour ces messieurs, il y en a presque autant que pour les femmes dans le Carrefour du centre de Shanghaï.
" Les Chinois ont beaucoup moins de préjugés que les Français sur les produits de beauté, explique Paolo Gasparrini, directeur PDG de L'Oréal China, qui préside aux destinées de cette filiale depuis sa création voilà quatorze ans. Le boom de ce marché a constitué pour nous une véritable surprise. "
Depuis 2004, L'Oréal y décline toutes ses marques au masculin, de Biotherm à Lancôme, Vichy ou Garnier. " On dit toujours qu'il y a 1,33 milliard de Chinois, il n'y a donc qu'à leur vendre à chacun une crème de beauté, et le tour est joué, ajoute M. Gasparrini. Il n'en est rien. En fait, les consommateurs ne sont que les urbains, soit 611 millions de personnes potentielles. Sur ce total, on compte 225 millions d'hommes âgés de 15 à 64 ans et 221 millions de femmes du même âge. "
Pour le groupe français, dont l'ambition est de gagner 650 millions de nouveaux consommateurs en Asie dans les dix ans à venir - dont la moitié en Chine -, le recours à la gente masculine peut être une aubaine. " Depuis des années, les garçons comme les filles ont le visage tartiné de crème protectrice hydratante avant d'aller à l'école. Ce geste pratiqué par toutes les mères a même un nom, chez les enfants, c'est le "chung-chung" ", raconte Lin Xin Rong, directeur du département soins de la peau, au centre de recherche et d'innovation de L'Oréal, situé dans la banlieue de Shanghaï. C'est là que le groupe a étudié à la loupe les caractéristiques dermatologiques de 220 Chinois âgés de 18 à 80 ans.
Un " atlas " des différents types de peau a été créé voilà cinq ans, afin d'étudier notamment leur texture, leur couleur, les signes de vieillissement. Ce qui permet de constater que les rides apparaissent plus tardivement que chez les Occidentaux. De nombreuses visites dans des familles chinoises ont permis de mieux définir les attentes des consommateurs. " Comme pour les femmes, l'apparence physique est considérée comme l'une des clés de la réussite professionnelle et sociale ", souligne Jochen Zaumseil, directeur général de la zone Asie-Pacifique de L'Oréal.
Prendre soin de soi est aussi un signe de modernité. Plus que les Indiens et les Thaïlandais, qui recherchent surtout des produits blanchissants, les Chinois sont les plus gros consommateurs de baume à lèvres au monde, et plébiscitent gels nettoyants et crèmes hydratantes. Ils savent mieux que personne à quel point l'effet des UV sur la peau peut être néfaste. Et ils ont pour habitude de se teindre les cheveux dès qu'ils blanchissent. Autre spécificité, la majorité des produits de beauté pour hommes sont achetés par des femmes.
L'Oréal China, qui se donne pour ambition d'atteindre 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires cette année, a bien traversé la crise. En 2009, la filiale avait réalisé 861 millions d'euros, soit une croissance de 17,6 % - deux fois mieux que la progression du marché. Les hommes y sont pour quelque chose. Le groupe compte ouvrir à terme une troisième usine en Chine; sa sixième en Asie. " Un jour nous vendrons du mascara pour les hommes au Japon ", prédit M. Zaumseil. Vers une inexorable équité des genres dans le paraître ?
Nicole Vulser
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