mercredi 19 mai 2010

Huang Guangyu, la chute de l'homme le plus riche de Chine

Le Figaro, no. 20464 - Le Figaro, mercredi, 19 mai 2010, p. 18

Parti de rien, Huang Guangyu, à la tête de 1 100 magasins de matériel électronique, avait amassé une fortune colossale.

Il vient d'être condamné pour fraude à quatorze ans de prison et 70 millions d'euros d'amende.

Un jour de novembre 2008, à Hongkong, la cotation du numéro un chinois de la distribution de matériel électronique, Gome, est brusquement interrompue. Une étrange rumeur vient de se diffuser. Son patron a disparu depuis quatre ou cinq jours. Ce qui, en clair, signifie qu'il a été escamoté par la police. Trois jours plus tard, l'agence Chine nouvelle confirme que des policiers ont arrêté Huang Guangyu, suspecté de « crimes économiques ». Dans la nomenklatura politico-économique chinoise, la nouvelle fait l'effet d'une bombe. Le mois précédent, le jeune magnat chinois a été intronisé « homme le plus riche de Chine » dans le classement annuel Hurun. Plus modestement, le magazine américain Forbes ne le classe qu'en deuxième position sur sa liste des milliardaires chinois, avec une fortune estimée à 5 milliards d'euros... Il n'a alors pas 40 ans. L'homme a été condamné hier à quatorze années de prison, plus une amende de 70 millions d'euros et la saisie de 24 millions d'euros d'actifs. L'ascension et la chute de Huang Guangyu sont une fascinante allégorie de la marche forcée de la Chine vers le socialisme de marché. On est habitué aux histoires de fulgurante ascension des nouveaux pionniers chinois. Il n'empêche, la trajectoire de l'ex-patron de Gome, le « Darty chinois », reste exceptionnelle.

Huang Guangyu est véritablement issu de ce qu'on appelle ici la « racine de l'herbe », pour signifier un homme parti de rien. Ses parents sont de petits cultivateurs de riz du Guangdong, dans le sud de la Chine. Pauvre parmi les pauvres, le garçonnet est même moqué par les autres enfants du village. Mais son enfance est baignée des récits bibliques que lui font ses catholiques de parents, ainsi que par l'histoire magnifiée d'ancêtres ayant commercé à travers toute l'Asie. À l'âge de 16 ans, Huang quitte l'école et part avec son frère pour l'extrême nord du pays, en Mongolie-Intérieure. Dans leur baluchon, de fols espoirs et des brassées de petits gadgets électroniques, comme des radios à vendre à la volée. Nous sommes en 1985, les magasins sont encore bien vides et les tickets de rationnement de rigueur. Puis ils gagnent Pékin, pour monter un petit étal à deux pas de la place Tiananmen. Par un bel instinct capitaliste, les jeunes gens ont saisi tout l'intérêt d'être les premiers à vendre les produits sortis des nouvelles usines fleurissant dans le Sud.

Quelques années plus tard, Huang est à la tête d'un géant aux 1 100 magasins, déployés dans plus de 200 villes et employant 300 000 personnes. On l'appelle le « Sam Walton chinois », en référence au fondateur du monstre américain de la distribution Wal-Mart. Le jeune entrepreneur a un autre surnom, celui de « boucher des prix », allusion aux conditions imbattables qu'il arrive à offrir aux nouveaux consommateurs chinois. Au faîte de sa gloire, il est célébré comme le symbole de la réussite privée dans la Chine de l'ouverture.

Un avertissement général?

Tout s'effondre donc à l'automne 2008. Huang est accusé de manipulation boursière, de délits d'initiés et de corruption d'officiels chinois. Ses réseaux, aussi, sont sérieusement bousculés. L'affaire serait ainsi à l'origine de la chute, entre autres, du puissant maire de Shenzhen, Xu Zongheng, à l'été 2009. Ainsi que d'un ancien ministre adjoint de la Sécurité publique. Une brochette de grands patrons chinois avait déjà été lourdement condamnée pour corruption, mais il s'agissait d'entreprises d'État. Le patron de Gome est le premier entrepreneur privé de ce niveau à être mis à terre. Dans un contexte de justice très politisée et un climat détérioré pour le secteur privé, certains observateurs se demandent quelle est la véritable raison de la chute du patron de Gome. Le groupe était-il devenu trop gros, son patron trop incontournable? Pékin a-t-il voulu lancer un avertissement général? Après Sam Walton, voilà Huang comparé à Mikhaïl Khodorkovski, l'oligarque russe croupissant dans une prison sibérienne pour avoir voulu jouer sur le terrain politique.

Pour la majeure partie de l'opinion chinoise, toutes les grosses fortunes sont sulfureuses. Mais nombre d'internautes estimaient hier qu'il faut surtout punir leur « parapluie de protection », soit les « fonctionnaires corrompus ». Comme ce post d'un habitant de Tianjin qui fait remarquer que « Huang, lui au moins, a travaillé dur depuis l'âge de 16 ans, à la différence des fonctionnaires parasites ». Avocat de Shenzhen ayant publié une étude sur la corruption des entrepreneurs, Wang Rongli estime que ces derniers ne sont en général pas inquiétés pour leur « pêché originel », les libertés prises avec la loi lors de la constitution de leur fortune, mais pour des « crimes plus récents commis quand ils sont très riches ». À leur décharge, il explique qu'ils sont souvent pris dans le tourbillon économique chinois et qu'ils connaissent encore très mal un environnement juridique assez flou. Facteur aggravant, ils « s'entourent souvent de leur famille et de proches », qui ne sont pas forcément les conseillers les plus compétents.

Il semble en tout cas qu'il ne soit guère aisé de se maintenir au rang de première fortune chinoise. En témoigne la folle et récente histoire de Li Li, désigné homme le plus riche de Chine par Hurun le 6 mai dernier. Ce chercheur en pharmacie de 46 ans affiche un nouveau profil de milliardaire chinois, issu des nouvelles technologies. Il avait bénéficié de l'introduction à la Bourse de Shenzhen de son groupe, Hepalink, dont la banque américaine Goldman Sachs est actionnaire, et qui fournit notamment des produits à base d'héparine, un anticoagulant, à Sanofi-Aventis. En quelques jours, la chute de l'action lui a fait perdre plus d'un milliard d'euros. Et par là même, un titre qu'il n'aura gardé qu'une semaine...

Li Li avait adopté un profil bas, visiblement gêné par son podium médiatisé de la richesse. Comme si la leçon de Gome avait été bien reçue. Comme si les nouveaux riches chinois avaient conscience que les listes de Hurun ou de Forbes pouvaient aussi servir de feuille de route à la police.

Arnaud de la Grange

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La malédiction des milliardaires chinois - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20680
- Dernière, mercredi, 19 mai 2010, p. 18

La malédiction de « Forbes » a encore frappé. Hier matin, Huang Guangyu, le fondateur et patron de la chaîne de magasins d'électroménager Gome, désigné depuis plusieurs années comme l'une des plus grandes fortunes de Chine par le magazine « Forbes » et même comme l'homme le plus riche du pays en 2008 par les experts de l'« Hurun Report », a été condamné à quatorze ans de prison pour délit d'initié et corruption. A quarante et un ans, il rejoint la liste des 19 milliardaires du pays ayant brièvement imposé leurs noms aux premières places de la liste « Hurun » avant d'être appréhendés ou condamnés pour des délits économiques.

Si certains hommes d'affaires ou officiels disparaissent en silence des palmarès et des clubs privés chinois, la chute de Huang Guangyu a eu un écho considérable dans le pays, tant il avait incarné, un temps, le « chinese dream ». Quittant à seize ans, sans aucun diplôme, sa bourgade de Shantou, près de Hong Kong, pour tenter, avec son frère, sa chance dans la capitale, le jeune homme avait emmené, avec lui, un sac de transistors et de petits appareils électroniques qu'il comptait vendre aux habitants de Pékin, blasés par la pauvreté des magasins d'Etat. Plus tard, ce sont des conteneurs de réfrigérateurs, de téléviseurs et de machines à laver qu'il fera livrer dans ses échoppes du nord du pays avant d'élargir, dans les années 2000, son réseau national à plus de 1.200 magasins et de s'imposer comme le distributeur incontournable de toutes les grandes marques du pays et d'Occident. En 2008, quelques semaines avant son arrestation, le « boucher des prix » était crédité d'une fortune de 6,3 milliards de dollars.

Malgré son profil bas, les autorités se seraient soudain intéressées en 2007 à l'escalade de sa fortune et auraient découvert qu'il avait construit, une partie de son empire sur un complexe réseau de corruption impliquant de très hauts cadres du pouvoir. Pour certains observateurs, Huang Guangyu aurait surtout négligé certaines factions concurrentes au sein du pouvoir et aurait agacé, par son succès, certains intérêts publics.

D'autres « tycoons » ont récemment été condamnés après avoir pourtant développé pendant des années leurs empires sans jamais être inquiétés. Mou Qizhong, lui aussi présenté un temps comme l'homme le plus riche de Chine, purge ainsi actuellement une peine de prison à vie pour fraude bancaire. Zhou Zhengyi, un puissant développeur immobilier de Shanghai, a, lui, été condamné en 2008 à une peine de seize ans de prison pour de multiples crimes économiques.

YANN ROUSSEAU À PÉKIN

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