La Chine, plus gros détenteur de réserves de changes au monde, serait-elle inquiète de la crise européenne au point d'envisager de vendre une partie de ses avoirs en euros ? Pékin s'est empressé de démentir cette rumeur, rapportée jeudi 27 mai par le Financial Times, qui a mis en émoi les marchés. La nervosité qu'a suscitée cette indiscrétion, vraie ou fausse, et l'immense soulagement procuré par son démenti, révèlent l'enjeu que représente la Chine, et plus largement l'Asie, dans les fluctuations de la monnaie unique.
S'il est impossible de connaître le montant exact de dettes européennes qui sont dans les coffres de la banque centrale chinoise - un " secret d'Etat " - et de la plupart des autres pays d'Asie, les experts parviennent toutefois à donner quelques estimations. Et quelle que soit la méthode employée, les résultats sont édifiants. Soucieux de diversifier leurs réserves de changes jusqu'ici essentiellement libellées en dollars les pays asiatiques ont, en effet, depuis quelques années, amassé des euros. Et ces achats se sont encore accentués récemment, en 2008, avec la baisse du dollar.
Les banques centrales détiennent en moyenne 27 % de leurs réserves en euros contre 19 % en 2002. Pour la banque centrale chinoise, dotée de 2 400 milliards de dollars (1 943 milliards d'euros) au total, ce ratio porterait à 650 milliards de dollars le montant qu'elle détient en euros, dont un tiers en emprunts d'Etat. A titre de comparaison, la banque centrale chinoise aurait, selon la Réserve fédérale américaine (Fed), 895 milliards de dollars d'emprunts d'Etat américains. Autrement dit, la Chine est un investisseur-clé pour un Etat.
Surtout, la banque centrale de Chine et ses homologues asiatiques ne détiennent pas que des dettes, mais aussi d'autres actifs comme des actions et des dépôts libellés en euros. Selon Patrick Artus, responsable de la recherche chez Natixis, on atteindrait 11 000 milliards d'euros d'actifs européens détenus par ces acteurs asiatiques. " Si l'on "s'amuse" à imaginer l'impact d'une vente de tous ces actifs, l'euro pourrait chuter jusqu'au niveau de 0,60 dollar. " Soit un plongeon de 51 % par rapport au cours actuel de 1,23 dollar.
Prudence
Un scénario extrême balayé par les experts. " La Chine et l'Asie n'ont rien à gagner à se délester massivement de devises européennes. Si elles vendent, ce serait pour racheter quoi ? ", demande Raoul Salomon, spécialiste du marché des dettes souveraines chez Barclays. Toutefois, la chute de la devise européenne semble bel et bien préoccuper Pékin. " La valeur cardinale de la banque centrale chinoise, c'est la stabilité, rappelle Jacques Mistral, membre du Conseil d'analyse économique. Et si l'on ne parle pas d'une défiance de l'euro à Pékin, il est question de prudence. "
Si la Chine n'a pas récemment vendu massivement ses euros, elle a pu faire des arbitrages en cédant les dettes des pays d'Europe du Sud, comme les emprunts d'Etat grecs, espagnols, ou portugais, au profit d'obligations du Trésor allemandes ou françaises, jugées plus sûres. Pour Xu Wei Hong, chef économiste chez Guodu à Shanghaï, si la Banque de Chine n'envisage " pas encore " de se délester de ses avoirs en euro, ses homologues en Thaïlande, en Malaisie ou au Vietnam, elles, ont peut-être déjà sauté le pas. " Ils ne comprennent pas bien comment fonctionne la zone euro et s'inquiètent ", rapporte-t-il.
Claire Gatinois
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