Marianne, no. 684 - France, samedi, 29 mai 2010, p. 34
Par Denis Jeambar
L'ancien héraut de l'humanitaire adulé des Français a décroché le Quai d'Orsay en ralliant Nicolas Sarkozy. Trois ans après, un bilan s'impose : c'est un ministre fantôme qui a naufragé son image. " Marianne " l'appelle à en tirer les conclusions.
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères,
Il y a quarante-sept ans, en février 1963, dans un long article, intitulé " Aux confins de l'hérédité ", publié par Clarté, le journal de l'Union des étudiants communistes, vous écriviez : " Pourra-t-on transformer l'homme à loisir ? " Curieux et visionnaire, vous imaginiez déjà les inquiétants miracles de la génétique et, d'une certaine manière, vous posiez la question qui résume votre vie depuis un demi-siècle. Au cours de ces cinquante années, en effet, vous avez transformé votre propre personnage à l'infini. Vous avez pris tant et tant de visages différents que votre biographe officiel et ami, Michel-Antoine Burnier, n'a pu faire autrement que de trouver sept vies dans votre vie*. Joli compliment. Qui ne voudrait pas d'une existence digne de Shiva, divinité complexe et contradictoire ? Ces deux traits définissent bien votre caractère et votre carrière. De l'homme de coeur à l'homme de cour, que d'équivoques dans le labyrinthe de votre biographie !
Que vous le vouliez ou non, le crépuscule de votre vie publique approche et, avec lui, l'heure des bilans. Depuis le 1er novembre 2009, vous avez franchi le cap des 70 ans. Difficile à croire tant votre silhouette semble indifférente aux malveillances du temps.
Trop de compliments ambigus et de critiques transparentes, vous diriez-vous, sans doute, en découvrant, s'il vous venait à les lire, les premières lignes de cette lettre ouverte. In cauda venenum, pensez-vous déjà. Vous avez le cuir trop épais pour redouter quelques piqûres de rappel et vous savez mieux que tous les observateurs réunis ce que vous avez fait de votre existence et comment vous avez choisi de la couronner dans ce Quai d'Orsay qui vous accueille depuis plus de trois ans. Ah, les ors de la République ! Vous avez emprunté bien des chemins de traverse pour vous y installer sous la tutelle de Nicolas Sarkozy, président d'un camp qui n'a jamais été le vôtre. Le sera-t-il un jour, d'ailleurs ? Malgré toutes vos concessions au podestat qui nous gouverne et les petites humiliations que vous acceptez jour après jour, la droite ne vous aime pas. La rumeur court qu'Edouard Balladur demande même votre tête pour installer à votre place Alain Juppé. Vous donnez le change devant toutes ces avanies. Il est vrai que le remords, ce n'est pas votre genre. Dès l'âge de 24 ans, vous fixiez le tempo de votre ambition ambivalente. Dans un journal communiste qui plus est ! Vous faisiez dans le militantisme rouge, mais vous distribuiez sans vergogne des conseils pour " arriver ". Vous étiez certes un carabin, néanmoins vous saviez parfaitement ce que vous faisiez en publiant dans Clarté cette " Lettre à un moderne Rastignac " : " Peut-être nous rencontrerons-nous dans vingt ans, au coin d'une cheminée, un verre de whisky à la main, avec un sourire entendu qui fera dans ce salon fort bel effet, car on y goûte les mauvais sujets repentis. Enfin, pour le moment, nous nous en défendons... "
Vous voyiez loin. Vingt ans plus tard, vous étiez devenu une institution, un monument national même. Notre fierté dans un monde qui ne plaçait plus la France au premier rang. Vous étiez notre french doctor, le porte-drapeau de ce droit d'ingérence que Jean-François Revel théorisa en 1979. Vous aviez, bien sûr, des détracteurs, qui dénonçaient votre star system. Vous aviez, en fait, tout compris des ressorts médiatiques et mis du people avant tout le monde dans votre stratégie de communication pour faire triompher vos causes. Qu'importe ces écarts, nous avons tant aimé et admiré ce Kouchner-là qu'on le croyait éternel. Vous redonniez des couleurs d'universalité à notre pays dont le pavillon ne battait plus guère sur le terrain des grands principes. Vous étiez notre Robin des mers du Sud depuis que vous vous étiez porté au secours des boat people vietnamiens à bord de ce navire au nom miraculeux trouvé en février 1979 en Nouvelle-Calédonie : l'Ile-de-Lumière.
Comme la vie est étrange ! Vous rencontrez à cette époque un homme dont l'écoute vous bluffe, le conseiller diplomatique de Valéry Giscard d'Estaing, Jean-David Levitte, le curateur élyséen auquel vous êtes à présent si soumis dans le gouvernement Sarkozy qu'on se demande pourquoi vous restez en place, vous qui avez vécu si longtemps en homme libre. Levitte est plus jeune que vous de sept ans, il est diplomate et clairement à droite. Il amorce à la fin des années 70 une carrière aussi éblouissante que rectiligne. De lui, vous direz plus tard qu'" il est l'un des meilleurs ambassadeurs que nous ayons eus, surtout à l'ONU ". Regrettez-vous ce compliment alors qu'aujourd'hui il vous pilote, vous double, vous tire le tapis sous les pieds, aussi discret d'ailleurs que vous êtes médiatisé ? Levitte, c'est une ombre, un muet du sérail, un bras armé talentueux qui sert ses maîtres politiques sans états d'âme, Giscard à la fin des années 70, puis Chirac et Sarkozy désormais. En 2007, quand vous avez franchi la ligne jaune de " l'ouverture " en acceptant le portefeuille des Affaires étrangères, sans doute avez-vous été rassuré par sa présence. Vous êtes, dites-vous, " un pessimiste actif ", vous êtes aussi un séducteur. Probablement, pensiez-vous mettre une fois de plus ce grand serviteur de l'Etat dans votre poche et en faire votre allié comme en 1978 quand, revenant de l'Erythrée en révolte contre l'Ethiopie, où vous meniez l'un de vos premiers grands combats humanitaires, vous l'aviez ébranlé en lui tenant ce discours : " Je ne vous demande pas de soutenir politiquement et militairement les Erythréens, mais j'en suis sûr : bientôt, ils seront indépendants. C'est une guerre de pauvres, des pauvres bien équipés, merveilleusement encadrés, extraordinairement dégourdis, ils vont gagner. Pour la première fois, les frontières héritées de la colonisation vont sauter, et ce ne sera pas la dernière. Voyez loin, envoyez des médicaments, ils ont juste besoin qu'on leur témoigne un peu de considération... La France y gagnera l'accès à 1 000 km sur la mer Rouge, jusqu'à Djibouti, qu'elle entend protéger. " Certes, votre interlocuteur n'avait pas fait grand-chose, mais l'histoire devait ensuite lui montrer combien vous étiez perspicace : en 1993, l'Erythrée obtint cette indépendance que vous pronostiquiez !
Quelques mois plus tard, en février 1979, Jean-David Levitte vous écouta avec plus d'attention encore et fit en sorte qu'on facilite votre opération de sauvetage des boat people au large des côtes vietnamiennes et sur l'île malaise de Poulo Bidong. Un coup d'éclat qui vous propulse définitivement sur le devant de la scène publique, mais aussi un coup de poignard dans vos convictions de jeunesse. Vous en conviendrez avec honnêteté en 2004 dans Quand tu seras président..., un livre que vous cosignez avec Daniel Cohn-Bendit : " Que dire de la honte qui me saisit [...], que dire de mes ferveurs anciennes jamais entièrement éteintes, des certitudes enfouies qui ont modelé mes exigences de justice, que dire si l'on refuse de s'avouer ici, sur un caillou infect où s'accrochent les vaincus de l'histoire, que l'oppression socialiste est pire que les autres par son existence même, parce qu'elle est imposée au nom du bonheur des hommes ? " Votre honnêteté intellectuelle, sur ce sujet au moins, vous honore. On aimerait que bien d'autres la partagent et reconnaissent aussi ouvertement leurs erreurs ou leurs désillusions. Cet aveu de honte éclaire la sympathie que vous suscitez depuis si longtemps dans l'opinion. Les Français vous ont aimé pour votre authenticité, malgré la manière toujours affectée que vous avez de parler et qui vous vaut tant de railleries des imitateurs.
Vos plaidoyers " pro domo " ne marchent plus
Votre culot explique, également, votre popularité jamais démentie. Votre courage devenait le nôtre par procuration. Dans les multiples combats que vous avez menés, vous avez toujours donné le sentiment que vous pouviez déplacer des montagnes et que vous n'aviez peur de rien, pas même du ridicule quand il vous guette en train de porter un sac de riz le temps d'une photo sur une plage somalienne en décembre 1992. Pour vous défendre d'avoir participé à ce barnum qui occultait la justesse de votre entreprise, vous direz : " En France, aucun succès ne saurait rester impuni. " C'est alors que vous construisez un système personnel de défense qui va vous permettre de justifier tous vos actes : vous ne cesserez plus d'opposer votre bonne conscience à tous vos détracteurs, votre passé de french doctor sera votre passeport pour traverser les frontières de la critique.
Longtemps, cette posture vous a servi d'armure. On vous moquait, mais on vous pardonnait parce qu'on se disait que vous agissiez pour une bonne cause. Le cynisme que vous affectez parfois n'efface pas le sillon humanitaire que vous avez tracé, depuis vos voyages en 1969 dans un Biafra dévasté par la guerre - alors que vous veniez d'obtenir votre diplôme de gastro-entérologue à votre poste de représentant des Nations unies au Kosovo en 1999, en passant par la création de Médecins sans frontières en 1971 ou de Médecins du monde en 1980.
Vous n'avez pas eu sept vies, mais une vraie vie et personne ne comprend que vous en gâchiez maintenant l'image dans ce Quai d'Orsay où vous errez comme un ministre fantôme. Car vos plaidoyers pro domo ne marchent plus. On se frotte les yeux pour y croire quand on vous découvre, souriant et heureux, en train de serrer la main de ce tyran de Bachar el-Assad, le président syrien, chez qui vous vous êtes rendu le 23 mai dernier, jour de la Pentecôte. Ne vous racontez pas d'histoires : de voyage inutiles qui vous sont imposés en sales besognes contraires à vos engagements d'hier, vous n'êtes, depuis trois ans, qu'un second rôle ministériel et l'ombre de vous-même. Où est passé votre courage de dire non ? Quelles sont vraiment vos convictions ? Qui est le Kouchner authentique ?
Vous n'osez même plus forcer les portes, surtout pas celle de Jean-Daniel Levitte. En 1999, vous saviez encore le bousculer en plein sommet franco-britannique et obtenir un entretien téléphonique avec Jacques Chirac pour qu'il convainque Tony Blair de vous laisser démilitariser les milices du Kosovo. Vous étiez alors au sommet de votre forme, vous expérimentiez le droit d'ingérence en grand format et votre prédiction de 1969 allait se vérifier. De retour du Biafra, vous disiez alors à vos potes : " Ce que nous faisons là, ça finira par un prix Nobel. " Quand Médecins sans frontières reçoit cette récompense en 1999, personne ne peut s'empêcher de penser que vous avez joué un rôle déterminant dans cette épopée. Certes, il y a eu tous les autres, compagnons devenus parfois adversaires, les Récamier, Borel, Bernier, Emmanuelli, Malhuret, Brauman, Rufin, mais vous restez dans l'imaginaire français comme l'inventeur et l'acteur vedette de cette grande saga de l'humanitaire que vous avez transformée parfois en spectacle hollywoodien pour réveiller la compassion des peuples nantis. On peut vous reprocher votre côté aventurier de l'arche perdue et préférer la discrétion du bon Dr Schweitzer, on peut aussi vous accuser d'avoir fait de l'ingérence une nouvelle forme de colonialisme, mais faut-il vous condamner pour autant ? Au fond, vous avez agi dans votre époque en utilisant toutes les ficelles qu'on peut y tirer : l'émotion, les médias, l'image.
En dépit de ces réserves, vous crouleriez, à présent, sous les honneurs et figureriez parmi les grandes figures de la fin du XXe siècle si vous vous en étiez tenu à votre seule ambition de french doctor. Il vous en fallait plus. Vous avez voulu goûter à l'alcool fort de la politique.
Naturellement, vous vous êtes lancé à gauche, votre famille naturelle, et l'on vous y a accueilli à bras ouverts en vous nommant secrétaire d'Etat chargé de l'Action humanitaire dès 1988 dans le gouvernement Rocard. Mais l'échec électoral vous guette. A répétition : en juin 1988, en mars 1993, puis en 1996. A votre crédit, une vraie-fausse victoire sur la liste socialiste conduite par Michel Rocard, aux élections européennes de 1994. Vous auriez dû vous en tenir là : popularité ne rime pas avec bulletins de vote, humanitaire avec carrière. Certes, il y avait eu le précédent de l'abbé Pierre mais, très vite, il était revenu à sa vocation première de prêtre aumônier. Vous, vous vous êtes obstiné. La lassitude, peut-être, de bourlinguer de guerre en cloaque à travers le monde. On peut comprendre. Mais aussi l'ivresse du pouvoir, l'aspiration à un confort matériel qui vous a valu, ces dernières années, de rudes assauts : ces honoraires de consultant délivrés par des autocrates africains qu'en d'autres temps vous dénonciez ; ou ce rapport écrit pour Total dans lequel vous exonériez la compagnie pétrolière de tout recours au travail forcé en Birmanie, un pays que vous aviez auparavant dénoncé avec raison pour ses atteintes aux droits de l'homme. Ce furent plus que des coups de canif dans votre image, même si vous avez su organiser une riposte diabolique, en suggérant que le Monde selon K., l'ouvrage de votre principal accusateur, Pierre Péan, avait des relents d'antisémitisme. Aux grands " maux ", les grands moyens. Quand il s'agit de défendre votre honneur, vous faites peu de cas de l'honneur de vos contempteurs.
Vous avez résisté à tant de tempêtes que vous vous dites, probablement, que ce que vous vivez à présent ne ternira pas votre long parcours. Après tout, l'opinion vous reste acquise. Au regard de l'histoire, en revanche, rien n'est moins sûr, sauf à ce que vous nous réserviez quelque surprise susceptible d'effacer les humiliations que vous subissez. Que faites-vous ? A quoi servez-vous ? Nul doute que vous travaillez beaucoup. Ministre des Affaires étrangères, même quand on pèse peu sur le cours de la diplomatie, est un métier de chien. La seule gestion des affaires courantes y est épuisante au point d'expliquer quelques-unes de vos colères éruptives, mais quelle est votre utilité réelle ? Tout le monde sait, vous le premier, que l'Elysée vous considère comme une simple prise de guerre, un trophée de l'ouverture posé sur la cheminée gouvernementale. Vous n'êtes que le jouet des tocades du prince. Ainsi vous a-t-on propulsé sur le devant de la scène lors de la libération de Clotilde Reiss, le 16 mai dernier, parce que le chef de l'Etat veut faire croire qu'il porte à présent une ceinture de chasteté médiatique. Mais tout est dit sur cette photo prise à l'Elysée où vous tenez par le bras la jeune femme rendue à la liberté : vous souriez, heureux de ce moment, mais sous le regard sourcilleux de Jean-Daniel Levitte, placé en sentinelle juste derrière vous. Votre coadjuteur ne vous lâche pas. Finie, la complicité d'autrefois, le pouvoir vous sépare. Levitte, comme Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée, c'est l'homme de confiance de Nicolas Sarkozy sur les questions diplomatiques, d'autant plus influent que le président n'était pas formé aux grandes affaires du monde en s'installant à l'Elysée.
Vous avez la main molle face à l'Elysée
Si le pouvoir a tendance à glisser du Quai d'Orsay vers l'Elysée, le patron de la diplomatie, jusqu'alors, demeurait une courroie de transmission. Nous n'en sommes plus là. Vous n'êtes ministre qu'à la marge. Vous ne niez pas, d'ailleurs, que votre travail soit malaisé. Vous en avez fait l'aveu dans le Parisien du 9 mai dernier. Alors que vos interlocuteurs suggèrent que vous ne supportez plus la tutelle de l'Elysée et que vous seriez prêt à renoncer, vous répondez : " On dit beaucoup de choses, méfiez-vous. C'est un dur et beau ministère, un dur et beau métier. Sous la Ve République, tous les ministres des Affaires étrangères ont été ainsi malmenés. Roland Dumas avant moi, sous François Mitterrand, a eu le même genre de rapports délicats avec la présidence. Je ne vous dis pas que c'est facile, ce serait mentir, je ne vous dis pas que, de temps en temps, je n'enrage pas, mais j'ai l'impression de travailler tout à fait correctement. Certaines décisions me conviennent, d'autres moins. J'argumente, je fais valoir mon point de vue, même avec le président de la République. J'ai regretté de ne pas avoir les mains plus libres à certains moments, mais je suis fier du travail accompli. "
Vous ne pouvez vous en tirer à si bon compte. A la différence de ceux qui ont occupé le poste avant vous, vous n'êtes pas une créature du chef de l'Etat. Vous êtes Bernard Kouchner. Enfin, vous étiez... Plus jamais vous ne faites entendre votre différence, vous dont c'était la spécialité. Il faut, pourtant, avoir la main ferme quand on siège derrière " le bureau de Vergennes ". On dit dans votre administration que la vôtre est trop molle face à l'Elysée. Vous n'avez pas su, par exemple, imposer vos hommes dans les ambassades qui comptent : il y a bien eu Jean-Christophe Rufin à Dakar mais, pour votre ami écrivain Daniel Rondeau, vous n'avez pu obtenir que Malte. Ces derniers jours, vous vouliez, à juste titre, changer notre ambassadeur à Londres, Maurice Gourdault-Montagne, alors que la Grande-Bretagne change de gouvernement. Un mouvement argumenté, évident, que l'Elysée, pour l'heure, refuse. Avec Sarkozy, rien n'a changé : la grande diplomatie reste soumise, parfois, aux renvois d'ascenseur. Directeur de cabinet d'Alain Juppé en 1995, Maurice Gourdault-Montagne avait grandement facilité l'élévation de son ami Brice Hortefeux au rang de préfet. Une contrariété de plus à digérer qui en dit long sur votre liberté d'action face à un président qui décide de tout.
On vous étouffe et ça vous rend nerveux, parfois désagréable avec une administration que vous n'avez pas su séduire. Personne n'osera vous le dire, mais on vous y compare parfois à Philippe Douste-Blazy, ministre de triste mémoire dans la diplomatie française tant il fut incompétent. Il serait injuste, pourtant, de vous traiter d'incapable, vous n'êtes qu'impuissant. Vous avez bien essayé en lançant, le 25 mars 2009, une grande refonte de la politique culturelle extérieure de la France. Votre plan était sérieux, la montagne n'en a pas moins accouché d'une souris. Vous êtes allé de reculade en reculade, car votre administration vous a enlisé. Vous avez sauvé la face en arrachant 40 millions d'euros de rallonge budgétaire sur 2009-2010 pour votre réforme, comme le raconte Franck Renaud dans les Diplomates (à paraître chez Fayard le 3 juin) mais, dans ce dossier, vous avez été placé en permanence sur la défensive. Exemple : à la sénatrice socialiste des Français de l'étranger, Monique Cerisier-ben Guiga, qui comparait votre réforme à " une notice technique du dernier smartphone ", vous n'avez su répondre que par cette pleurnicherie : " Vous êtes méchante ! "
Bernard Kouchner désarmé n'est pas Bernard Kouchner. Or, vous êtes désarmé. On attendait que vous vous envoliez. Vous êtes resté plaqué au sol. On a de la peine à être cruel avec vous mais on est triste de vous voir dans ce rôle de ministre fantoche et de querelleur médiocre quand il s'agit de défendre vos privilèges. Comment avez-vous pu dire, à l'occasion du 60e anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme en décembre 2008, que " votre " idée de créer un secrétariat aux Droits de l'homme était " une erreur " ? Vous avez avancé des raisons de fond pour justifier votre stupéfiante prise de position, expliquant qu'" il y a une contradiction permanente entre les droits de l'homme et la politique étrangère d'un Etat, même en France ". En fait, transformé soudain en politicien pur sucre, patrouillant sur sa zone de pouvoir, vous aviez pour seul objectif de flinguer Rama Yade, embarrassante secrétaire d'Etat à vos côtés. Il est vrai qu'elle n'avait pas mis, comme vous, sa langue dans sa poche et, notamment, pas hésité à faire entendre une autre musique que celle de Nicolas Sarkozy, lors de la visite humiliante pour notre pays du colonel Kadhafi à Paris en décembre 2007. Cette tente bédouine plantée dans la cour d'un des palais de la République hante- t-elle vos nuits ? L'angélisme est interdit dans votre fonction, la Realpolitik est une nécessité, pour autant on peut aussi éviter de se renier en se faisant piétiner.
Vous êtes entré dans un coma politique
Où diable sont passés votre courage et votre caractère ? Vous jouez petit bras comme si vous redoutiez de perdre votre fauteuil doré. Hier, vous bondissiez sur le premier conflit venu, désormais vous restez les bras ballants quand l'urgence vous appelle. Vous plaidez qu'il en a toujours été ainsi, c'est faux. Regardez comme Alain Juppé ou Hubert Védrine ont réussi à exister en période de cohabitation face, ou à côté, de Mitterrand et de Chirac. Le jeu de l'ouverture auquel vous avez accepté de participer s'apparente à la cohabitation. Il repose sur le rapport de force. Jamais vous ne l'avez installé, tant et si bien que vous n'avez plus le moindre levier pour vous imposer. Il ne s'agit pas menacer tous les jours de démissionner, mais de faire entendre sa voix, de dire ses désaccords, de courir le risque de la mise à la porte, pour rester en paix avec soi-même. L'êtes-vous encore ? Au regard de votre histoire, on ne peut le croire. Vous avez plongé tête baissée dans cette aventure en vous disant que, " à [votre] âge, si l'on veut encore agir ou peser, il faut le faire là où c'est possible et que pour [vous], l'occasion parfaite, la gauche idéale, le régime de vos rêves ne se présenteraient plus ". En fait, vous avez peu agi et peu pesé, y compris au Liban en 2007 où vous pensiez pourtant faire des miracles grâce à votre carnet d'adresses. On ne vous reproche pas d'avoir accepté ce poste, vous auriez pu y démontrer avec brio qu'on peut, en France, servir des causes communes avec des sensibilités différentes au nom de l'intérêt général. On vous en veut de vous éteindre à petit feu, de vous flétrir comme une fleur coupée et de terminer en nature morte.
Aussitôt après votre prise de fonction, dans un article publié par le Monde dans son édition du 20-21 mai 2007, vous écriviez : " Je sais que certains de mes amis me reprochent ce nouvel engagement. A ceux-là, je réclame crédit : mes idées et ma volonté restent les mêmes. S'ils me prennent un jour en flagrant délit de renoncement, je leur demande de me réveiller. "
Par métier, je ne suis pas de vos amis et, donc, à l'aune de cette profession de foi de 2007, mon point de vue vous importe peu ou pas : vous n'êtes plus le Bernard Kouchner d'antan. Vous êtes " BK " au Quai Dormant et rien ne semble pouvoir vous réveiller. Vous êtes entré dans un coma politique qu'en secret vous vivez, peut-être, comme un cauchemar. Sans doute vous consolez-vous en vous répétant que vous êtes encore populaire. Le beau fixe des baromètres est une maigre consolation quand l'âme est en cause et surtout pas une justification pour rester plongé dans ce grand sommeil. Vous demandiez en 2007 qu'on vous juge sur vos résultats : on n'y trouve que des flagrants délits de renoncements.
Alors partez vite pendant qu'il est encore temps !
* Les sept vies du docteur Kouchner, de Michel-Antoine Burnier, 979 p., XO Editions.
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