Tycoon. Eike Batista est la 8e fortune mondiale. Pour l'instant...
Il n'a pas pris le temps d'attacher les boucles de ses chaussures. Il descend les marches de l'escalier en marbre, le sourire aux lèvres, tout excité à l'idée de montrer son «oeuvre d'art » : une pièce de 500 000 dollars exposée dans son salon, face aux eaux bleu foncé de la baie de Rio de Janeiro. Un Picasso ? Nullement.« Si je veux en voir un, je vais au Louvre, et puis on fait de très bonnes copies », dit-il.
Non, Eike Batista, l'homme le plus riche du Brésil, a garé près de sa vaisselle en cristal et de ses canapés molletonnés une Mercedes SLR McLaren, couleur argent, fabriquée à un millier d'exemplaires.« Elle, au moins, je peux la toucher... » Il en fait le tour. Claque la portière.« Vous entendez ce bruit ? » Soulève le capot.« Moteur en fibre de carbone », dit-il en caressant un boîtier électronique de la main. Puis invite son visiteur à s'installer au volant. Une balade ? Le milliardaire aux dents impeccablement alignées n'a qu'à ouvrir les baies vitrées de sa villa de 3 500 mètres carrés et s'engager dans son jardin où stationnent une dizaine de 4 x 4 de luxe.
Eike Batista, 53 ans, est ici chez lui. A l'abri des voisins, dont il a racheté les propriétés. Au coeur d'une végétation luxuriante et parmi ses objets familiers : des écrans plats géants dans chaque pièce, un piano blanc, un casque de formule 1 dédicacé par Michael Schumacher, une sculpture de félin postée face à la porte d'entrée, deux pinceaux de calligraphie chinoise, des photos de courses de bateaux et sur une table en bois une revue... Le dernier numéro du magazine américain Forbes consacré au classement des plus grandes fortunes mondiales. Un trophée ! Car, cette année, il y figure au 8e rang, fort d'un pactole de 27 milliards de dollars. Du jamais-vu pour un Brésilien ! Et l'intéressé n'entend pas s'arrêter là. Il vise désormais la première place, convaincu de pouvoir distancer l'Américain Bill Gates.« Dans dix ans, je pèserai 100 milliards de dollars », assure-t-il.« C'est devenu l'unique but de sa vie », persifle un proche de la famille.
Gonflé, mais jouable. Car, pour l'heure, ses affaires tournent. Mines d'or, mines de fer, centrales thermiques, équipements portuaires, hôtellerie de luxe... Batista touche à tout. Et rafle chaque fois la mise. Sa dernière lubie ? Le pétrole. Il veut en devenir le roi en participant à l'exploitation des immenses réserves du pays. En novembre 2007, lors d'une mise aux enchères, il souffle 21 champs pétrolifères offshore à Petrobras, la compagnie nationale. Six mois plus tard, il entre en Bourse. Et c'est le jackpot. Sa société pétrolière, composée à l'époque de 30 personnes, affiche aussitôt une performance boursière deux fois supérieure à celle de Google. Aujourd'hui, la pépite vaut 22 milliards de dollars.« Si j'avais de l'argent, j'achèterais des actions ! » s'enthousiasme Julio Bueno, le secrétaire d'Etat à l'Energie du gouvernement de Rio.
Batista, il est vrai, a su profiter de ses atouts. Fils d'une Allemande de Hambourg et, surtout, d'un ancien ministre brésilien des Mines devenu le patron de Vale, le premier exportateur mondial de fer, le jeune Eike part étudier en Europe à l'âge de 12 ans. En 1980, il revient au Brésil titulaire d'un diplôme d'ingénieur et sachant parler cinq langues, dont le français. Il se rend alors en Amazonie, se lie à des chercheurs d'or et lance un négoce de pierres précieuses. A 23 ans, il possède déjà 6 millions de dollars. De quoi racheter sa première mine d'or. C'est le début de l'ascension. Il prend le contrôle de concessions au quatre coins du pays. Mais aussi au Canada et au Chili.
Un empire sur un pari
Au même moment, il se lance dans les courses de bateaux à moteur. Au début des années 90, il décroche même un titre de champion du monde de motonautisme. On parle enfin de lui. Mais pas assez.« Je restais le fils de mon père et le mari de ma femme », dit-il.
Sa femme de l'époque ? Une célébrité : Luma de Oliveira, la reine du Carnaval de Rio. En 1991, Batista en tombe fou amoureux, au point de divorcer d'une riche héritière épousée trois mois plus tôt.« Lorsqu'elle dansait, c'était la lumière », se souvient Hildegard Angel, une chroniqueuse mondaine du Journal du Brésil. La belle défile même avec les initiales de son mari incrustées sous forme de brillants sur son string. Et pose régulièrement nue dans Playboy. Un exhibitionnisme qui agace Batista. En 1999, il paie le magazine pour obtenir l'annulation d'une séance de photos.« Il m'offrait du chocolat pour me faire grossir », prétendra l'étoile de la samba.« Ces clichés n'avaient plus de sens », rétorque aujourd'hui l'homme d'affaires. Le divorce a lieu après treize années de vie commune, la naissance de deux enfants et une rumeur : Luma se serait entichée d'un capitaine de pompiers lors de prises de vues destinées à la publication d'un calendrier.
Depuis, Batista jouit de la compagnie de Flavia Sampaio, une avocate de 29 ans qu'il voit tous les week-ends. Et qu'il emmène chez Mr Lam, un restaurant chinois haut de gamme dans lequel il a investi. Un lieu où trône l'un de ses anciens moteurs de bateau transformé en table et où il avale des dizaines de brochettes de poulet à la crème de cacahouète. Le reste du temps, Batista sort peu. Regarde parfois des films de Belmondo. Suit le cours de ses actions sur Bloomberg TV jusqu'à 2 heures du matin et grignote dans sa cuisine en discutant avec ses trois femmes de maison.« Ce n'est pas un patron mais un ami », dit Zeni, l'une d'entre elles.
Il voit aussi souvent ses deux fils, Thor et Olin, âgés de 18 et 14 ans. A ses yeux,« très bien éduqués ».« Merci papa, voilà ce qu'ils me disent lorsque je les fais raccompagner avec mon hélicoptère », dit-il. L'aîné afficherait même un goût pour les affaires.« Papa, est-ce que tu as signé ton contrat ? » lui écrit régulièrement son fils dans ses textos.
Les commandes, il est vrai, pleuvent. Comme celle d'une usine sidérurgique conclue le mois dernier avec les Chinois pour 5 milliards de dollars.« Le Brésil aurait bien besoin d'une demi-douzaine de Batista », s'enflamme Jose Luiz Alqueres, président de l'association commerciale de Rio et l'un de ses conseillers. Sauf qu'au fil des mois un doute monte. Et si Batista avait bâti un empire sur du sable ? Un chiffre inquiète : les deux tiers de sa fortune reposent désormais sur un coup boursier : le pari d'une découverte pétrolière.
Or pas une goutte d'hydrocarbure n'a encore été extraite du fond de l'océan.« Il y a un risque, car de grandes compagnies ont déjà exploré la zone sans succès », met en garde Jean-Paul Prates, un avocat, principal auteur de la législation pétrolière du pays.
Fétichiste du X... et du 63
Qu'importe. Batista, lui, y croit.« Vous n'avez pas idée de la richesse sur laquelle je suis assis », lâche-t-il, l'oeil malicieux. Et, pour assurer le lancement de la production prévu l'année prochaine, il s'appuie sur d'anciens managers de Petrobras.« Il a recruté les meilleurs », confirme Ivan Filho, de l'Institut brésilien du pétrole. Des géologues partis avec la cartographie du sous-sol et auxquels il a offert le « kit du bonheur » du groupe. Soit une prime annuelle de 2 à 5 millions de dollars !« Dans tout autre pays, une telle concurrence déloyale déclencherait des procès en cascade, mais pas au Brésil ! » fulmine un proche du dossier. De fait, Batista sait amadouer les autorités. D'abord, en finançant la campagne du président Lula. Puis, en versant 5 millions d'euros au Comité olympique de Rio. Il soigne aussi son image en restaurant l'hôtel Gloria, jadis le plus bel établissement de la ville. Ou en accueillant chez lui Madonna, adulée au Brésil et venue en novembre chercher des fonds pour un centre d'enfants malades.« Vous avez besoin de combien ? » lui lance-t-il au cours du dîner.« 7 millions », répond Madonna.« Je vous les donne ! » s'exclame Batista devant la star émue aux larmes.« Son projet au Burundi m'a convaincu », souligne-t-il, assis dans son bureau et vêtu de son éternel tee-shirt noir. Oubliant déjà qu'il s'agit du Malawi...
Batista est ainsi. Spontané et affable. Parfois à l'excès.« Je sens en vous des énergies positives », confie-t-il en accueillant ses visiteurs... Avant d'évoquer ses superstitions. Sa lettre fétiche ? Le « X », symbole de la multiplication des richesses. Toutes ses sociétés l'intègrent dans leur nom (EBX pour le holding, OGX pour le pétrole, MMX pour les mines, LLX pour la logistique...). La ville portuaire qu'il construit au sud de Rio devrait même s'appeler « City X ». Son chiffre préféré ? Le « 63 », le numéro de son ancien hors-bord de course.« J'ajoute 63 centimes au montant de tous mes contrats », raconte-t-il.« Il voulait même que l'hôtel Gloria comprenne 163 chambres », s'étonne Edouardo Sardinha, responsable de la branche loisirs d'EBX. Quant aux statuettes incas ornant son bureau, elles sont orientées face à la porte afin de « chasser le mauvais oeil ».
Batista croit aux signes. Mais il a aussi une volonté obsessionnelle de vaincre la vieillesse. Un exemple ? Pendant six mois, un jour par semaine, il a travaillé à son bureau, le bras gauche perfusé d'une solution de vitamines.« Quand je me rends aux Etats-Unis, j'adore dévaliser les rayons de pilules énergisantes », avoue-t-il. C'est aussi de là-bas qu'il a rapporté l'une de ses machines de musculation. Un étrange engin, digne d'une invention de Léonard de Vinci, installé dans sa salle de gym, face à la mer.« Regardez comme elle affine bien les muscles », souffle-t-il, une fois juché dessus, le corps plié en deux.« Ça vous tue en quatre minutes ! » Le rêve pour un milliardaire très pressé...
De notre envoyé spécial MarcNexon avec Annie Gasnier à Rio de Janeiro
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