samedi 22 mai 2010

OPINION - Le joueur nord-coréen - Yoon Young-Kwan

Le Figaro, no. 20467 - Le Figaro, samedi, 22 mai 2010, p. 14




L'ancien ministre des Affaires étrangères de Corée du Sud analyse les raisons de l'attitude provocatrice de la Corée du Nord.

Après une enquête minutieuse, la Corée du Sud est à même de pointer du doigt la Corée du Nord pour le naufrage de son navire de guerre, le Cheonan, le 26 mars dernier. La suite à donner à cet incident semble bien constituer un des aspects du changement d'attitude de la Corée du Nord. Celle-ci semble en effet montrer plus d'audace et d'impétuosité depuis août 2008 et l'annonce de la dégradation de l'état de santé de Kim Jong-il.

Les hauts dirigeants nord-coréens avaient coutume de bien peser le pour et le contre avant d'envisager une action destinée à faire pression sur le monde extérieur. Et ils avaient tendance à ne jouer qu'une seule de leurs cartes « menace » à la fois. Mais en avril et mai 2009, ils ont abandonné la prudence diplomatique en procédant au tir d'un missile de longue portée (et à quelques autres) et à un second essai nucléaire.

À l'annonce de la réaction de la communauté internationale, qui s'est traduite par la résolution 1874 du Conseil de sécurité des Nations unies, la Corée du Nord a rapidement préféré opter pour une offensive de charme auprès des États-Unis et de la Corée du Sud. Les autorités nord-coréennes ont alors relâché deux journalistes américains et un ouvrier sud-coréen, interpellés en août 2009 pour violation de la loi nord-coréenne.

Mais lorsqu'ils ont réalisé que la diplomatie du sourire ne les menait nulle part, les dirigeants nord-coréens sont revenus à l'hostilité. Les autorités ont donc procédé au gel des biens immobiliers détenus par des Sud-Coréens dans la zone touristique de la montagne Geumgang, et, plus sérieusement, ont lancé une attaque sur le Cheonan. Le régime nord-coréen a même envoyé deux espions à Séoul pour assassiner Hwang Jang-yop, le plus haut gradé nord-coréen à n'être jamais passé à l'ouest.

Je pense que ce changement d'attitude de la Corée du Nord est profondément lié à des changements fondamentaux récents dans le pays. Tout d'abord, Kim Jong-il et son troisième fils, Kim Jong-un, sont rassurés par l'émergence de la Corée du Nord en tant qu'État nucléaire de facto. Ils estiment peut-être que le fait de posséder l'arme nucléaire leur donne bien plus d'aisance pour exprimer plus clairement leur hardiesse stratégique et tactique.

Le second changement concerne la succession de Kim Jong-il. La nouvelle audace de la Corée du Nord est peut-être le reflet du désir de Kim Jong-il de polir un peu plus l'image de son fils Kim Jong-un, âgé de 26 ans, comme leader fort et incontestable. Il est aussi possible que toutes les provocations qui ont suivi l'annonce de l'état de santé de Kim Jong-il aient été l'oeuvre de Kim Jong-un lui-même.

Finalement, des années de mauvaise gestion et les sanctions internationales ont terriblement fragilisé l'économie nord-coréenne. En réaction, le régime tente peut-être de détourner l'attention de son peuple des difficultés intérieures et de l'encourager à s'unir derrière le nouveau leader émergeant.

Le problème est que ces trois facteurs continueront à influer sur l'attitude de la Corée du Nord. La Corée du Sud et la communauté internationale doivent donc apporter une réponse ferme. Un exercice militaire commun avec les Américains et les Sud-Coréens aux abords de la zone démilitarisée ou un exercice sous-marin commun aux abords de la ligne de limite nord devraient être envisagés. Toute réponse diplomatique internationale devra impérativement comprendre une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU dénonçant la violente attaque du Cheonan. Il faudrait aussi envisager de faire payer un prix économique élevé à la Corée du Nord pour son attitude irréfléchie.

Toutes ces options seront probablement insuffisantes pour générer un véritable changement en Corée du Nord. Une stratégie plus fondamentale et à plus long terme doit ramener enfin la paix sur la péninsule coréenne. Jusqu'à présent, la communauté internationale ne s'était concentrée que sur l'urgence de la dénucléarisation de la Corée du Nord. Mais ce serait se concentrer sur les symptômes, et non le mal. Il est temps pour la communauté internationale - surtout la Chine, la Russie, les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud - de faire pression sur la Corée du Nord afin qu'elle entreprenne les réformes et ouvre son économie.

Les actions envisagées envers la Corée du Nord doivent être judicieusement réfléchies, en mettant en oeuvre simultanément la dénucléarisation et la réforme économique. La valeur ajoutée d'une telle approche est qu'elle est mieux susceptible de rallier le soutien de la Chine que la seule exigence de dénucléarisation.

Copyright : Project Syndicate, 2010.www.project-syndicate.org. Traduit de l'anglais par Frédérique Destribats.

PHOTO - North Korean leader Kim Jong-il (front C) visits the Hamheung Chemical Industry University at an undisclosed place in North Korea in this undated picture released by North Korea's official news agency KCNA May 22, 2010. KCNA did not state when the picture was taken.

© 2010 Le Figaro. Tous droits réservés.

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