jeudi 27 mai 2010

PORTRAIT - Li Shufu, le Chinois qui s'est payé Volvo

Valeurs Actuelles, no. 3835 - Portrait, jeudi, 27 mai 2010, p. 50

Asie. Qui est Li Shufu ? Ce patron inconnu vient de racheter la filiale suédoise de Ford.

A 47 ans, Li Shufu est emblématique d'une génération qui a su tirer parti de l'ouverture économique lancée par Deng Xiaoping dans les années 1970. Le 28 mars, il rachetait le suédois Volvo Cars, l'un des plus beaux constructeurs automobiles européens, filiale de Ford depuis 1999. Montant du contrat : 1,8 milliard de dollars. Le parcours de Geely, son entreprise, est un peu l'histoire de l'indien Tata rachetant les britanniques Jaguar et Land Rover en 2008.

Les modèles de Geely ont déjà envahi la Chine, premier marché mondial de l'automobile, grâce au génie des affaires de Li Shufu, archétype du selfmade-man à la chinoise. Issu d'une famille de paysans, dans le Zhejiang, au sud de Shanghaï (l'une des régions les plus riches et les plus dynamiques du pays), Li Shufu quitta sa province à 18 ans, avec les 2 000 yuans (un peu plus de 200 euros) confiés par son père.

Ingénieux, il décide de photographier les touristes dans les plus beaux sites chinois : en six mois, il multiplie son capital par dix. Ce succès- le premier d'une longue série - lui permet d'ouvrir un studio de photographie. En 1986, il crée sa société : Geely vend alors des pièces détachées de réfrigérateur. Il a vu juste: le marché est porteur en pleine démocratisation de la consommation. Le réfrigérateur individuel se répand. En un an, les pièces Geely se distribuent dans tout le pays.

Li Shufu décide de faire évoluer sa société et de l'orienter, à partir de 1997, vers l'automobile. Nouveau coup gagnant à l'aube de «l'auto-boum» chinois, quand chacun veut sa voiture individuelle. En 2009, la Chine est devenue le premier marché mondial de l'automobile, devant les États-Unis. La fortune de Li Shufu est faite.

Ce parcours exemplaire s'explique aussi par une personnalité atypique. Cet entrepreneur pense «pourquoi pas ?» quand le reste du monde se demande seulement «pourquoi ?». Ses collaborateurs le disent futé, mais aussi amical, passionné,doté d'une grande humanité et d'un sens aigu des relations. Ceux qui négocient avec lui redoutent à l'avance d'être dépassés. Li Shufu est aussi un manipulateur : lors d'une réunion chez Volvo en Belgique, on lui demanda de résumer en trois mots sa motivation. Il répondit: « I love you. »

Geely a connu un essor extraordinaire depuis 1986. Sa première voiture sortit des chaînes en 1998 : il s'en vend aujourd'hui 300 000 en Chine, presque autant que Volvo dans le monde. La prévision porte sur une production de 2millions en 2015. À la quantité Geely, Li Shufu va ajouter la qualité Volvo.

Il a aussi su s'adapter au modèle capitaliste chinois. Après s'être battu pour obtenir- fait inédit pour une entreprise privée- l'autorisation de produire des voitures, chasse gardée jusqu'alors des entreprises d'État, Geely s'est imposé au premier rang des producteurs privés d'automobiles. Cette position de force lui a attiré les faveurs de l'État, qui devrait participer à l'acquisition de Volvo, à hauteur de un milliard de dollars.

À ceux qui s'inquiètent de futures Volvo «made in China», Li Shufu a promis de conserver les usines du groupe en Belgique et en Suède et même d'injecter 900 millions de dollars pour permettre à la marque de renouer avec les bénéfices.

Desjoyaux Raphaëlle; Pons Frédéric

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