jeudi 27 mai 2010

En Chine, même l'ail peut devenir un objet de spéculation massive - Wei Gu

Le Monde - Vendredi, 28 mai 2010, p. 18

La Chine est actuellement le théâtre d'un engouement pour l'ail qui n'a rien à envier à la " tulipomanie ", la fameuse bulle spéculative du XVIIe siècle qui avait provoqué aux Pays-Bas une envolée démesurée des cours de la tulipe.

En 2009, l'ail a sans doute constitué le meilleur des placements : son cours a augmenté de 560 %. Le gingembre et le haricot vert ont aussi connu de spectaculaires flambées. Tout ce qui peut prêter à investissement, qu'il s'agisse de denrées alimentaires ou de produits financiers, peut donner naissance à des bulles.

La dynamique de l'offre influence beaucoup l'évolution des prix. Le coût de la viande de porc, ingrédient de base de l'alimentation en Chine, était parti en flèche fin 2007 à la suite d'un abattage excessif d'animaux. Pékin avait alors décidé d'intervenir pour enrayer les effets de cette hausse des prix, qui avait porté l'inflation à 8 %. Le cours a aujourd'hui baissé de 35 %.

Un phénomène similaire d'insuffisance de l'offre a fait s'envoler le prix de l'ail dans un pays à l'origine des trois quarts de la production mondiale.

Des rumeurs faisant état de vertus curatives contre la grippe A(H1N1) ont, de surcroît, stimulé la demande. Les effets bénéfiques de la consommation d'ail ne sauraient toutefois justifier une hausse de cette ampleur. Elle doit beaucoup à l'excès de liquidités en circulation. L'augmentation de 30 % du volume des prêts bancaires en 2009 a soutenu l'économie, mais une partie de ces capitaux se sont placés sur toutes sortes d'actifs. Au cours de la même année, les actions ont bondi de 80 % tandis que le marché des biens immobiliers a augmenté de 25 %. Les petits marchés opaques, où se négocient l'ail et le haricot, étaient des cibles alléchantes pour les spéculateurs.

Brutale correction

Les acheteurs d'ail n'ont toutefois pas réussi à échapper aux politiques gouvernementales. La vigilance des pouvoirs publics a fait baisser le cours de 35 % en mai. La Commission nationale pour le développement et la réforme s'est inquiétée de l'ascension fulgurante du prix de l'ail et du haricot vert, et a ouvert une enquête. La brutale correction intervenue par ailleurs sur les marchés d'actions a aussi émoussé le goût du risque chez les spéculateurs. Ladite commission a annoncé que le prix des légumes continuerait de baisser au cours des prochains mois.

Mais de même qu'il est difficile d'éliminer l'odeur de l'ail, ce n'est pas une mince affaire que de vouloir éteindre une fièvre spéculative alimentée par l'abondance de liquidités. A l'instar de la tulipe ou des subprimes, le cours de cette simple gousse permet désormais de mesurer la surabondance de capitaux.

Sur breakingviews.com

Wei Gu

(Traduction de Christine Lahuec)

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