Malgré l'apparition, ces derniers jours, de plusieurs grandes grèves dans des sociétés étrangères du sud de la Chine, les investisseurs ne croient pas à une épidémie des conflits salariaux dans le pays. Tous notent toutefois une accélération naturelle de la poussée des salaires et une redistribution des zones de croissance.
Les questions provocantes sur la fin du modèle chinois feraient presque sourire Cai Kang. « Rassurez-vous ! Ici, tout va bien. La situation est stable », insiste le vice-directeur du bureau des investissements étrangers de Dongguan, une ville industrielle du coeur de la province du Guangdong. Le cadre reconnaît qu'il a toutefois bien perçu les interrogations des investisseurs occidentaux et asiatiques, inquiets de la récente médiatisation de plusieurs conflits sociaux dans la région.
Depuis quelques semaines, plusieurs grandes multinationales ont dû céder des hausses de salaires spectaculaires pour mettre un terme à des grèves paralysant leurs productions ou à un malaise social détériorant leur image sur la scène internationale. Hier, les cadres de Toyota négociaient ainsi toujours une sortie de crise dans une usine de Canton, en partie contrôlée par leur filiale Denso, après avoir déjà dû résoudre des conflits salariaux dans des usines du nord et du sud du pays.
« Il est vrai qu'ily a eu des discussions sur les salaires dans les usines après le retour du nouvel an chinois et qu'ici et là quelques pénuries de main-d'oeuvre sont apparues du fait des cycles de production mais globalement les problèmes ont été résolus », assure Cai Kang. « Les cas de grèves restent rares et on n'assiste pas à une épidémie de conflits salariaux après la mise en lumière de ces quelques affaires emblématiques », confirme David Abrahamson, l'un des directeurs du China Center for Labor and Environment, qui suit depuis Shenzhen l'évolution des droits des travailleurs en Chine. « Aucune des 22 PME du parc industriel européen de Xiaolan n'a enregistré le moindre mouvement social ces derniers mois », insiste l'homme d'affaires français Joël Pujol, l'un des fondateurs du parc, avant de remarquer que les récentes grèves ont surtout touché des groupes asiatiques réputés pour la dureté de leur management et la faiblesse de leurs rémunérations. « Cela fait longtemps que les PME étrangères donnent plus que le salaire minimum dans la région », pointe-t-il.
Pas de remise en cause profonde
Si les investisseurs étrangers ne croient pas à une soudaine révolte de la main-d'oeuvre chinoise, tous pointent la naturelle accélération de la poussée des salaires dans le pays et la redistribution des bassins de croissance. « Un mouvement de fond affecte la Chine. Les travailleurs migrants qui touchaient jusqu'ici de faibles salaires dans les villes de la cote est, où la vie est très chère, ont découvert qu'ils pouvaient désormais travailler presque pour les mêmes montants dans des zones plus proches de leurs familles. Ces deux dernières années, cette relocalisation de la main-d'oeuvre s'est accélérée avec le déplacement, sous l'impulsion des autorités locales, d'usines produisant des marchandises de faible valeur ajoutée vers l'intérieur du pays », analyse Antoine Loubier, un avocat du cabinet UGGC à Canton. « Pour conserver sa main-d'oeuvre dans le Guangdong, les entreprises vont donc devoir accepter de payer plus », prévient le juriste. Selon Tao Wang, l'économiste en chef d'UBS en Chine, le salaire moyen pourrait d'ailleurs croître de 15 % dans le pays cette année. Stephen Green, de la Standard Chartered Bank, parie, lui, sur une poussée moyenne de 10 % à 15 % des plus bas salaires dans les prochaines années.
Pour l'instant, les autorités centrales estiment que ces hausses ne vont pas remettre en cause la compétitivité prix qui a fait le succès de leur pays depuis les années 1980. Selon les calculs des économistes, les salaires ne constitueraient pour l'instant, en moyenne, que 5 % de l'ensemble des coûts de production des entreprises du pays et les gains de productivité dans une économie à forte croissance devraient permettre d'éviter une érosion des profits ou une poussée de l'inflation. « Et ces hausses de salaires vont globalement profiter aux ménages et permettre de doper la consommation. C'est très exactement en ligne avec l'objectif de rééquilibrage de l'économie domestique », souligne Wang Tao.
Pékin qui veut voir ses entreprises monter en gamme pour réduire leur dépendance à l'exportation de produits bon marché a d'ailleurs accéléré, notamment dans le cadre de son plan de relance, le développement des régions du centre et de l'ouest. « Finalement, on pourrait enfin voir émerger ce marché domestique dont on a tant parlé », souffle Joël Pujol.
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