lundi 28 juin 2010

La Chine s'éveille au calcul intensif - Pierre Le Hir

Le Monde - Sciences, samedi, 26 juin 2010, p. 18

L'empire du Milieu se hisse à la seconde place mondiale, derrière les Etats-Unis, en puissance cumulée de superordinateurs stratégiques pour la recherche et l'industrie.

Mao aurait parlé d'un « grand bond en avant ». A juste raison. La Chine vient de se propulser à la seconde place du « Top 500 », le classement des supercalculateurs les plus puissants de la planète, actualisé tous les six mois (www.top500.org). Une performance qui reflète le renforcement très rapide de son potentiel d'innovation scientifique et technologique.

« Nébuleuse » (Xingyun en chinois), construit par la compagnie nationale Dawning, possède une puissance effective de 1,27 pétaflop. C'est-à-dire qu'il peut effectuer 1,27 million de milliards d'opérations par seconde. Il n'est surclassé que par le « Jaguar » américain, une machine de 1,75 pétaflop, installée à l'Oak Ridge National Laboratory (Tennessee) du département à l'énergie. Mais sa puissance théorique - différente de celle mesurée en test réel - est supérieure à celle du système américain : 2,98 contre 2,33 pétaflops.

Pour la nation dont les manuels retiennent, au chapitre du calcul, qu'elle a inventé le boulier, il ne s'agit pas d'une percée isolée. Certes, les Etats-Unis continuent de dominer la scène mondiale du calcul intensif, avec 282 des 500 premières machines, devant l'Europe qui en compte 144. La Chine n'en place que 24 dans ce palmarès, derrière le Royaume-Uni et la France, à égalité avec l'Allemagne et devant le Japon.

Mais, en puissance cumulée, elle arrive désormais au second rang, avec plus de 9 % des capacités mondiales de calcul. Très loin derrière les Etats-Unis (55 %), mais devant l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France et le Japon. « Les Chinois ne s'affirment pas seulement comme utilisateurs de supercalculateurs, mais aussi comme constructeurs, Dawning étant une entreprise d'Etat », commente Gérard Roucairol, président de l'association Teratec. Signe de l'engouement pour le calcul à haute performance, celle-ci vient d'y consacrer, à l'Ecole polytechnique de Palaiseau (Essonne), un forum international qui a réuni 700 experts.

Quel usage la Chine va-t-elle faire de ce cerveau de silicium, destiné au Centre national de calcul de Shenzhen, au sud du pays ? Selon une note du service de veille technologique de l'ambassade de France, reprenant les informations lapidaires données par Pékin, il sera utilisé « en calcul scientifique, en séquençage génétique et en recherche intelligente sur Internet ». Plus largement, suppose M. Roucairol, « dans des domaines stratégiques touchant à la souveraineté nationale ».

L'une des premières missions dévolues au calcul intensif relève en effet de la défense. Ainsi, le superordinateur Tera-100 dont vient de se doter, à Bruyères-le-Châtel (Essonne), la direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), est voué à la simulation des armes nucléaires. Conçu par le groupe français Bull - seul constructeur européen à jouer dans la cour des grands -, il affiche une puissance théorique de 1,25 pétaflop qui, une fois passé les tests, devrait le placer dans le peloton de tête du « Top 500 ».

La climatologie et la météorologie sont, elles aussi, gourmandes en calculs de pointe. « Ils permettent désormais de s'attaquer à la modélisation de systèmes naturels de très grande taille », indique Patrick Mascart, du Laboratoire d'aérologie de Toulouse (CNRS-université Paul-Sabatier).

La biologie et la pharmacologie en sont également de grandes consommatrices. « Pour comprendre et moduler le fonctionnement des molécules du vivant, il faut simuler leur comportement à l'échelle atomique », explique Richard Lavery, de l'Institut de biologie et chimie des protéines (CNRS-université de Lyon).

C'est encore le cas des sciences de la Terre, pour modéliser la dynamique interne du globe ou simuler l'aléa sismique. Les géophysiciens sont aujourd'hui capables de « prédire en temps réel les secousses secondaires après un séisme, comme celui de L'Aquila », relate Dimitri Komatitsch, du Laboratoire de modélisation et imagerie en géosciences (CNRS-université de Pau et des pays de l'Adour).

« Le champ des applications du calcul intensif ne cesse de s'élargir », observe Gérard Roucairol. Dans l'industrie : aéronautique, automobile, prospection pétrolière, centrales nucléaires, conception de matériaux... Mais aussi dans l'imagerie médicale, la prévention des risques (par exemple pour la modélisation des feux de forêt), la finance (calcul de risques de placements), l'agriculture (simulation de l'évolution de plantes), l'urbanisme et le développement durable (étude de mouvements de population ou de flux de pollution), ou encore la création artistique (images virtuelles).

Longtemps à la traîne, l'Europe met les bouchées doubles. Une quinzaine de pays, dont la France, se sont associés pour financer plusieurs machines pétaflopiques. L'une d'elles devrait rejoindre le Très Grand Centre de calcul (TGCC) de l'Essonne, où va sortir de terre une technopole d'un millier de chercheurs et d'ingénieurs, consacrée à la conception et à la simulation numériques à hautes performances.

La course est sans fin. L'Américain Intel, numéro un mondial des microprocesseurs, l'Institut belge de recherche en microélectronique et composants (IMEC) et cinq universités flamandes annoncent la création, à Louvain, d'un laboratoire dédié à la prochaine génération de supercalculateurs, qui devrait voir le jour à l'horizon 2020. Celle de l'exaflop : un milliard de milliards d'opérations par seconde.

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