C'est la saison des " premières fois ", au ministère de la défense de la République populaire de Chine. " Vous êtes la première délégation invitée par notre bureau d'information ", lance son porte-parole, le colonel Huang Xueping, en accueillant de façon très protocolaire à Pékin, ce lundi de mai, une petite délégation de l'Association des journalistes de défense français. " C'est ma première expérience d'un dossier militaire ", répond en écho, deux jours plus tard, Emmanuel Rousseau, le consul général de France à Chengdu, capitale de l'une des sept régions militaires de Chine, dans la province du Sichuan.
L'Armée populaire de libération (APL) communique vers l'extérieur, et c'est nouveau. Le colonel Huang a bien fait les choses : accueil par la fanfare, briefings, jeu des questions-réponses, intermèdes culturels, banquets avec des officiers supérieurs. Il a, après d'âpres négociations, accepté que les journalistes visitent deux unités de l'armée de terre. Un aperçu sommaire, dans des casernes vides de soldats - " c'est l'heure de l'entraînement ", nous dit-on. Une première quand même.
La " transparence " affichée a évité les priorités du moment - la marine, l'aviation de chasse ou le spatial militaire. Mais elle procède d'une volonté politique au plus haut niveau : la Chine inquiète le monde, elle veut le rassurer.
" Il existe une contradiction entre les pratiques de l'establishment militaire chinois, qui entretient un secret excessif, et l'objectif déclaré du pouvoir civil de rassurer ses voisins et les autres puissances sur la nature pacifique du développement de l'influence de la Chine sur la scène internationale ", note le dernier rapport du Pentagone sur la puissance militaire chinoise. Alors que son armée se modernise, ajoute le rapport, les risques d'une mauvaise perception de cette puissance sont réels et pourraient conduire à des crises.
" Nous voulons renforcer la diplomatie militaire, gagner davantage confiance et soutien ", explique le porte-parole dans un sourire hollywoodien. Qui martèle la doxa de la commission militaire centrale du Parti communiste : le " développement pacifique ouvert et harmonieux ", la " stratégie défensive ", le " maintien de la paix mondiale en vue de créer les conditions favorables au développement chinois ".
Depuis " 1990 du siècle passé ", selon l'expression consacrée ici, le pays a participé à 18 opérations de maintien de la paix de l'ONU et engagé des manoeuvres militaires conjointes avec " plus de 20 pays ". En matière de communication, explique encore le colonel Huang, " l'objectif des armées occidentales, c'est leur opinion nationale; l'objectif de l'armée chinoise, c'est la communauté internationale ".
L'exercice est encore loin d'être naturel. Au-delà de la période de froid qui a gelé les relations franco-chinoises en 2009, il a fallu six semaines de travail à l'attaché de défense français, le colonel Loïc Frouart, pour caler la visite. Au quotidien, les demandes françaises restent souvent sans réponse. Malgré la forte progression de ses capacités militaires, la Chine apprend plus des armées étrangères que l'inverse. La dernière visite d'un chef d'état-major des armées français remonte à 2000. Mais, pour le colonel Huang, nul doute : " Nous allons visiter la France, pour des échanges avec le ministère de la défense. "
Le service des relations extérieures de la défense n'a été lancé qu'en 2008. Son porte-parole, parfaitement anglophone, a fait des études de politique comparée à l'université de York, au Royaume-Uni. La carte de visite qu'il donne aux journalistes étrangers comporte maintenant un numéro de téléphone. Encore une première.
Dans les imposants bâtiments de l'Université de défense nationale, depuis dix ans, 800 officiers ont été formés à la communication. Ici, on décortique les conférences de presse des généraux occidentaux, sur les théâtres du moment, Irak, Afghanistan, Afrique. Le colonel supérieur Chen Xuewu est fier de présenter ses équipements, dont une très kitsch salle d'interviews - fauteuils de Skaï blanc cossus, décor de porte-fenêtre donnant sur la campagne : " C'est une partie indispensable de la formation des militaires modernes. "
Quant à l'Agence de presse de la défense, fondée en 1946 à des fins de propagande interne par Mao, elle a de nouvelles missions. En plus de la diffusion du marxisme-léninisme, du maoïsme et des théories de Deng Xiaoping, égrène le général Huang Guozhu, elle doit " diffuser les résultats de la modernisation des armées ". Le site Web fonctionne depuis août 2008. La salle de rédaction en anglais aligne des bureaux alvéoles dignes d'un centre d'appels. " 20 millions de connexions par jour, dont 5 % depuis l'étranger ", dit le général.
L'ouverture, toutefois, mobilise moins l'APL que la réforme titanesque entreprise pour sa modernisation. Les officiers rencontrés n'ont pas caché qu'elle n'avait pas encore atteint le niveau d'une armée moderne. A la 6e division blindée de Pékin, les chars ont plus de vingt ans, et le chef de corps aimerait être doté d'équipements électroniques plus modernes, en matière de contrôle des feux, comme de transmissions.
A Chengdu, le portail du régiment de transport aérien arbore une inscription motivante : " Etablir une armée de l'air forte et renforcer la construction d'une puissance pour faire la guerre. " Dans cette région militaire stratégique, qui compte 7 000 km de frontières avec six pays, l'aéronautique chinoise compte des fleurons, notamment l'usine d'assemblage du chasseur J10, bientôt opérationnel, et des unités d'hélicoptères de combat de dernière génération.
Mais ce régiment de 1 000 soldats, qui a participé aux opérations de secours lors du séisme du Sichuan en 2008, reste sous-équipé. Livrés en 1984, les hélicoptères de transport américains Black Hawks du commandant Li Guo n'ont, officiellement, plus de pièces détachées, embargo sur les ventes d'armes oblige. Et ses pilotes ne volent en moyenne que soixante heures par an, près de trois fois moins que leurs homologues français : " Ce n'est pas assez ", confirme le capitaine Lin Yong, 32 ans.
" Nous allons faire des efforts dans tous les domaines; dans la marine et l'armée de l'air, qui sont des secteurs relativement arriérés, nous avons beaucoup d'écarts à rattraper ", précise le général Jia Xiaoning, directeur adjoint du bureau des affaires étrangères de la défense. Mais, ajoute-t-il, " à vrai dire, nous ne sommes pas pressés. On n'a pas besoin de choses que les autres ne veulent pas nous donner et nous comptons sur nos propres forces pour développer nos technologies ". La modernisation des équipements et des hommes sera achevée en " 2049, pour le 100e anniversaire de la République populaire ", annonce-t-il.
A table, le général, qui parle un français parfait, lève son verre à la compréhension mutuelle. Il garde son sourire pour aborder les sujets qui fâchent. " A Taïwan, les gens qui préconisent l'indépendance sont là, ils obtiennent 40 % des suffrages. La tâche de nos forces armées n'a pas changé : sauvegarder l'intégrité territoriale de la Chine. Nous nous préparons pour le meilleur. Pour le pire, aussi. "
La délégation a le mauvais goût d'évoquer le Tibet. Le banquet se clôt sur un long et enflammé monologue hostile au dalaï-lama. " Les médias étrangers attachent de l'importance à la partie sombre de la Chine, constatera de son côté le colonel Huang. Pourquoi ne nous croyez-vous pas ? "
Nathalie Guibert
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