A Kunshan, vaste zone industrielle aux portes de Shanghaï, la grève, la première semaine de juin, chez KOK, un fabricant taïwanais de valves et de joints, a été en grande partie passée sous silence : les 2 000 ouvriers, qui avaient débrayé pendant cinq jours, ont été accueillis par la police antiémeutes, lundi 7 juin. Plusieurs dizaines d'entre eux ont été blessées, et certains ont été arrêtés, avant d'être relâchés.
L'usine avait connu plusieurs grèves, dont une en janvier : " Le salaire de base offert par la société était inférieur au salaire minimum local - 960 yuans, soit 115 euros - . Et le contrat de travail disait qu'on renonçait à réclamer une compensation ! ", lance une jeune ouvrière de 22 ans, originaire du Hubei. Elle travaille dans l'usine KOK depuis quatre ans - elle y a rejoint son frère - et loge dans l'une de ces cités dont les propriétaires louent les appartements aux migrants. Des détritus jonchent les allées. Par endroits, des mares d'eau viciées se sont formées, tandis que des sacs poubelles éventrés sont suspendus aux fils électriques. Des familles ont installé des réchauds dans des garages. Ces bidonvilles à la chinoise sont un spectacle récurrent en bordure des zones industrielles.
Le loyer de l'appartement, se plaint la jeune fille, qui le partage avec quatre collègues, est passé de 650 à 900 yuans, au prétexte qu'un bazar électronique a ouvert en face. " Les conditions, chez KOK, sont pires qu'ailleurs ", affirme un ouvrier voisin qui travaille dans une autre usine taïwanaise à Kunshan, mais dont le loyer est payé par son employeur. La rumeur, dans le quartier, est que le patron de KOK a payé 500 000 yuans à la police pour qu'elle casse la grève du 7 juin.
Moins éduqués que leurs collègues de Honda, qui avaient une formation technique, les petites mains de KOK, qui viennent d'Henan ou de l'Anhui, sont moins exigeantes : " Je pensais partir, mais finalement, on a été augmenté ", explique un jeune homme de 27 ans, qui vient des campagnes de Chongqing. Avec son ancienneté, il touchera donc 6 yuans de plus par jour. Tous les jours, car il travaille le week-end. Depuis sept ans. Il s'est fait construire une maison à Chongqing. Il ne regrette pas de s'être mis en grève, même s'il a un peu peur. " On nous a demandé de choisir des représentants, en nous disant qu'on devait être présents pendant les négociations, mais personne n'a osé se présenter ", confie-t-il.
Le combat victorieux des ouvriers de Honda à Foshan, dans le Guangdong, fin mai, a donc fait des émules. Deux autres sous-traitants de Honda dans cette province ont connu aussi des débrayages ces dernières semaines. Le fabricant de serrures Honda Locks à Zhongshan a dû faire face à une manifestation d'ouvriers vendredi 11 juin. Le conflit a duré tout le week-end, les ouvriers dénonçant les annonces prématurées de reprise du travail par la direction, tandis que celle-ci organisait sous leur nez le recrutement de nouveaux salariés.
A Huizhou, autre localité industrielle du Guangdong, près de 2 000 ouvriers d'un fournisseur d'une grosse marque coréenne, se sont mis en grève le 7 juin, selon l'ICHRD, une ONG de défense des droits de l'homme à Hongkong. Ce genre d'incidents, fréquents en Chine, a pris une acuité particulière à un moment où les écarts de richesse font débat : le Parti communiste, qui a supprimé le droit de grève en 1982 au prétexte que le capital était aux mains du prolétariat, peine de plus en plus à justifier les failles criantes du système de défense des droits des travailleurs, dans un contexte industriel qui a changé du tout au tout.
Les affaires Foxconn et Honda ont été largement couvertes par la presse, notamment parce qu'elles concernaient des entreprises étrangères. Mais aujourd'hui, l'heure est manifestement à la normalisation : les médias ont reçu l'ordre, le 28 mai, de ne publier que les informations de l'agence de presse Chine nouvelle sur les mouvements de grève. Plusieurs forums en ligne qui traitaient du sujet ont été fermés.
Lundi 14, alors que la Chine est en congé pour trois jours, Honda annonçait à Tokyo " qu'un accord avait été trouvé " et que " le problème était réglé ".
Brice Pedroletti
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