mardi 15 juin 2010

DOSSIER - Le titre Club Med s'envole après l'entrée au capital du chinois Fosun

Les Echos, no. 20698 - Services, mardi, 15 juin 2010, p. 26

Après une hausse du titre de 9 % vendredi suite à l'annonce du retour aux bénéfices après deux ans de pertes, la prise de participation du conglomérat chinois Fosun, rendue publique dimanche, a de nouveau fait grimper la valeur de plus de 7 % hier à Paris, sur la promesse d'une croissance accélérée en Chine.

Hier à la Bourse de Paris, le titre Club Med s'est envolé, terminant en hausse de 9,13 %, à 13,75 euros, après l'annonce la veille par le groupe touristique de l'arrivée dans son capital du conglomérat chinois privé Fosun, à hauteur de 7,1 %. Les deux groupes ont, par ailleurs, noué un « partenariat stratégique » pour la construction et l'exploitation de complexes touristiques haut de gamme en Chine. Vendredi, l'action s'était déjà appréciée de plus de 9 %, après la présentation des comptes du premier semestre de l'exercice en cours, marqués par un retour au profit après deux ans de pertes (« Les Echos » du 14 juin).

Pour Anne Bonal, analyste chez Gilbert Dupont, ce partenariat « est une bonne chose car Fosun a fait part de sa volonté de rester actionnaire du Club Med sur le long terme, ce qui consolide la structure capitalistique de ce dernier et lui permet d'accélérer l'ouverture de ses villages chinois ». L'analyste souligne, par ailleurs, que Fosun est très présent dans l'immobilier, ce qui est bien en phase avec le choix de la firme au trident de privilégier l'« asset light », c'est-à-dire d'opérer en contrat de management plutôt qu'en propriété. Le conglomérat chinois intervient aussi dans les médias et la communication, « ce qui va faciliter la distribution des produits Club Med en Chine en faisant connaître la marque et favoriser l'essor de la clientèle chinoise dans les autres villages de par le monde », poursuit Anne Bonal, qui se félicite que tous les clignotants opérationnels et financiers soient au vert. Elle s'attend en outre à des tensions sur le titre dans les prochains mois, Fosun ayant fait part de son souhait de monter encore au capital.

Actionnaires propriétaires

« Cette percée sur la Chine, cela fait plus d'un an que le Club Med en parlait », observe de son côté Sébastien Valentin, analyste à la Société Générale, qui estime ce mouvement « positif non seulement au regard de la présence renforcée que cela donne au groupe dans ce pays, mais aussi comme validation de la stratégie à long terme du PDG, Henri Giscard d'Estaing, de créer des partenariats avec des actionnaires propriétaires comme avec Fipar ou Rolaco ». Depuis 2004, le patron du Club Med opère une montée en gamme qui s'est traduite par une cinquantaine de fermetures de villages et par la rénovation de plus de 70 autres. Du coup, le courtier s'est fixé un objectif de cours à 18 euros.

« La Chine offre un grand potentiel au niveau touristique, avec des revenus globaux estimés à plus de 120 milliards d'euros et une croissance à deux chiffres », renchérit de son côté Jean-Marie Lhomé, d'Aurel BGC. Or la marque au trident veut faire de l'empire du Milieu son deuxième marché après la France, d'ici à fin 2015. Pour y parvenir, il a déjà prévu d'inaugurer en novembre dans la station de ski réputée de Yabuli au nord-est du pays, un hôtel de luxe de 284 chambres, propriété de Melco China Resorts (Wisecord Holding), et étudie un projet de village balnéaire ainsi qu'un autre site « découverte ». L'objectif est d'ouvrir 5 « villages » haut de gamme, toujours à l'horizon de 2015 et d'y attirer 200.000 clients chinois contre un peu plus de 30.000 pour 2010. Selon Guo Guangchang, le président du conseil d'administration de Fosun, les visées du Club Med rejoignent la stratégie de son groupe d'investir dans les secteurs porteurs de l'économie chinoise. La direction du groupe français se réserve toutefois la possibilité, tout en entretenant des relations privilégiées avec Fosun, de collaborer avec d'autres partenaires chinois pour la réalisation de ces complexes touristiques.



Le marché touristique progresse de 22 % par an en moyenne dans le pays - Martine Robert

Les Chinois sont désormais quatrième au classement mondial des touristes qui dépensent le plus. Reste à savoir s'ils se laisseront séduire par le concept « tout compris » du Club Med.

Le marché chinois du tourisme est passé de 228 millions d'euros en 1978 à 115 milliards en 2008, soit une croissance annuelle de 22 % en moyenne depuis trente ans. En 2020, ce secteur devrait représenter 11 % du PIB de la Chine, soit 360 milliards d'euros. « Nous intéressons beaucoup les autorités politiques comme les acteurs économiques chinois car le marché des vacances reste à développer, avec un potentiel énorme. Notre notoriété et notre puissance commerciale nous permettent de "créer" une destination en un an alors qu'un village ne fait généralement pas le plein avant quatre à cinq ans », explique Anne Yannic, directeur général France, Belgique et Suisse du Club Med.

Cette année, le nombre de voyages domestiques est estimé à 2,1 milliards. Une quinzaine de « corners Club Med » ont déjà été implantés dans des agences de voyages chinoises et un site Internet dédié, doté d'un moteur de réservation, sera lancé cette année. Mais la marque au trident compte aussi sur sa nouvelle vitrine à Yabuli pour donner aux Chinois l'envie d'aller séjourner dans ses autres resorts, notamment en Asie où elle est bien implantée. Car le nombre de Chinois voyageant à l'étranger est en plein boom.

Une manne alléchante

En 2009, plus de 42 millions d'entre eux ont franchi les frontières nationales, soit une hausse de 5,2 % par rapport à 2008. Ils étaient moins de 7 millions en 2001. Cette manne est d'autant plus alléchante que, d'après des statistiques chinoises, les dépenses globales de ces voyageurs ont connu l'an dernier une hausse de 21 % sur un an, pour s'établir à 43,7 milliards de dollars. Les Chinois sont désormais quatrième au classement mondial des touristes qui dépensent le plus.

Seul bémol : rapportées au nombre de voyageurs, les dépenses restent limitées à 1.000 dollars par personne. Et ces voyageurs sont encore très dépendants des tour-opérateurs : souvent pris en charge par des réseaux chinois, ils dorment dans des hôtels à petit budget, font de même sur le plan de la nourriture, et réservent leur argent pour les achats de souvenirs et de cadeaux, souvent des produits de luxe.

Itinérants et économes aujourd'hui, les Chinois sauront-ils se laisser séduire demain par le concept « tout compris haut de gamme by Club Med », cher à Henri Giscard d'Estaing ? Pour l'analyste de la Société Générale Sébastien Valentin, le risque est modéré car le Club Med vise une niche : essentiellement celle de familles chinoises aux revenus élevés. Ce qui doit représenter autour de 0,2 % seulement de la population totale.


Un conglomérat dénicheur de tendances en Chine - Yann Rousseau

Le groupe, qui veut internationaliser ses investissements, a toujours tenté de coller aux nouveaux besoins de la classe moyenne chinoise.

Dès janvier, les cadres de Fosun avaient laissé entendre qu'ils préparaient des investissements spectaculaires à l'étranger. Expliquant alors au « Wall Street Journal » que la consommation de la population chinoise allait prochainement avoir des répercussions considérables sur l'économie mondiale, Liang Xinjun le PDG du conglomérat, avait révélé qu'il comptait entrer au capital de sociétés occidentales ou japonaises cherchant à pénétrer un marché local souvent difficile à décrypter. « Dans les prochaines années, nous allons assister à une révolution de la consommation », avait martelé le dirigeant, dont le groupe a toujours basé sa réussite sur l'anticipation des grands bouleversements de l'économie chinoise.

En 1992, lorsqu'ils ont réuni 4.000 dollars pour initier Fosun, les quatre fondateurs du groupe, qui s'étaient rencontrés sur le campus de l'Université de Fudan à Shanghai, avaient immédiatement décidé de miser sur la conversion progressive du pouvoir communiste au capitalisme. Ils ont dès lors guetté les nouveaux besoins de la classe moyenne chinoise, tout en suivant la progressive privatisation d'industries clefs dans le pays. Guo Guangchang, le président de la structure, a d'abord poussé les investissements dans le secteur de la pharmacie, qui s'ouvrait progressivement aux entrepreneurs non étatiques, et connu ses premiers succès en commercialisant un test de diagnostic de l'hépatite A. Six ans plus tard, la filiale pharmaceutique de Fosun faisait partie des premières sociétés privées à être autorisées à s'introduire sur la Bourse de Shanghai.

Diversification

Diversifiant très tôt ses opérations, le groupe s'est aussi lancé dans l'immobilier avec sa filiale Shanghai Forte, l'un des premiers développeurs à offrir des appartements à prix modérés, puis dans le secteur minier, l'acier et enfin dans la distribution. Profitant de ses bonnes relations avec le régime communiste Guo Guangchang, qui a siégé au Congrès national du peuple de 2003 à 2008, a réussi à préserver la plupart de ses sociétés de l'appétit de contrôle de Pékin.

Souvent comparé dans le pays au puissant conglomérat Hutchison Whampoa du « tycoon » hong-kongais Li Ka-shing, Fosun aime aussi rapprocher sa stratégie d'investissement de celle de Berkshire Hathaway du milliardaire Warren Buffett. « Ce qui nous intéresse, ce n'est pas de savoir ce que ces groupes ont fait, mais pourquoi ils l'ont fait », commentait, il y a quelques années, Guo Guangchang, dans le « South China Morning Post ». L'an dernier, l'homme d'affaires, âgé d'à peine quarante-trois ans, était décrit par Forbes comme la vingtième plus grande fortune de Chine. Le conglomérat affichait, lui, un bénéfice net de 4,647 milliards de yuans (560 millions d'euros) pour un chiffre d'affaires de 34,855 milliards de yuans.


Le tourisme s'ajoute à six métiers

Le conglomérat Fosun s'est bâti autour de trois métiers : la pharmacie, l'immobilier, l'acier. Fosun Pharma a été introduit en 1998 à la Bourse de Shanghai ; Shanghai Forte Land est coté à Hong Kong en 2004, tandis que Fosun Steel est né de l'acquisition en 2003 pour quelque 200 millions de dollars de la Nanjing Iron and Steel au chiffre d'affaires de 1,8 milliard de dollars, saluée à l'époque comme un coup de maître.Le groupe est également présent dans les mines, l'assurance ou les médias. Il a notamment acquis son compatriote coté au Nasdaq de New York, Focus Media, géant de la publicité digitale en extérieur.La maison mère, Fosun International, a, elle, été introduite à Hong Kong en 2007.

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