mercredi 7 juillet 2010

La Chine soigne sa recherche biomédicale - Alain Perez

Les Echos, no. 20712 - Les stratégies, lundi, 5 juillet 2010, p. 11

Pékin a fait de la santé une priorité de son programme de développement : construction massive d'hôpitaux, amélioration de l'assurance-maladie et investissements dans la recherche biologique. La majorité des groupes pharmaceutiques occidentaux ont ouvert des laboratoires à Shanghai.

Quel est le pays qui va construire 2.400 hôpitaux dans les cinq ans qui viennent ? Quel est l'Etat qui prévoit d'étendre la couverture de son système d'assurance-maladie à 350 millions de citoyens ? La Chine, bien sûr. Pékin a fait de la santé un secteur privilégié de développement. Dans les cinq ans qui viennent, l'empire du Milieu va injecter 124 milliards de dollars dans l'amélioration de son système de santé. Parallèlement, il donne un coup de fouet à la recherche biomédicale, tout en envoyant des messages très clairs aux industriels occidentaux de la pharmacie. L'argument utilisé à de quoi séduire : aidez-nous à soigner une population d'environ 1,3 milliard de personnes qui souffrent de tous les maux de la planète (vieillissement, obésité, explosion du nombre de cancers et des maladies respiratoires).

En Chine, c'est la loi des grands nombres qui gouverne la politique de santé publique : près de 200 millions de personnes souffrent d'hypertension artérielle, 10 % de la population sont des porteurs chroniques du virus de l'hépatite B, la tuberculose multirésistante fait des ravages et le pays détient le record du monde des cancers du foie. Selon l'Organisation mondiale de la santé, le pays compte au moins 10 millions de séropositifs au VIH, alors que les statistiques officielles n'en reconnaissent que moins de 1 million.

Enormes disparités

Résultat, le marché de la santé, actuellement estimé à 186 milliards de dollars, est promis à une croissance à deux chiffres. « Aujourd'hui, c'est le cinquième marché du monde et, dans dix ans, ce sera le premier », résume Emmanuel Puginier, président de Novartis Chine. Le pays connaît également d'énormes disparités. A Shanghai, l'hôpital Huashan n'a rien à envier aux cliniques ultramodernes de Paris ou de Londres. Mais dans cet établissement où toutes les inscriptions sont traduites en anglais, près de la moitié des patients sont des étrangers expatriés. A l'opposé, dans certaines régions reculées du pays, la dépense de santé par habitant est de l'ordre de 20 dollars par an et la mortalité infantile est proche de celle de certains pays africains. « En ce qui concerne l'accès aux soins, on constate une énorme différence entre les urbains et les ruraux », précise Emmanuel Puginier.

Actuellement, seulement 15 % de la population bénéficie d'une assurance-maladie et ce problème est un des grands chantiers ouvert par le gouvernement central. Le programme « Healthy China 2020 », lancé en 2008, vise précisément à combler ce handicap incompatible avec le statut de deuxième puissance économique mondiale. Inspiré pour partie du système de santé britannique (NHS), ce système poursuit plusieurs objectifs : fournir une couverture universelle pour une majorité de citoyens, rénover et réformer les hôpitaux et développer une industrie pharmaceutique moderne. L'incroyable film de propagande politico-technologique présenté dans le gigantesque pavillon chinois de l'Expo 2010 de Shanghai confirme bien les nouvelles orientations chinoises : dominer la nature et assurer le bien-être de la population en s'appuyant sur la connaissance scientifique. C'est cet argument qui est mis en avant pour attirer investissements des « big pharmas ». Après les usines de production implantées dans les années 1990, voici venu le temps des laboratoires et de la R&D. Le parc technologique de Zhang Jiang, installé dans le quartier de Pudong à Shanghai, s'inscrit dans cette logique. Tous les industriels occidentaux de la pharmacie (voir tableau ci-contre) possèdent désormais une antenne locale branchée sur une recherche académique qui ne manque ni de talents ni de bonne volonté. « Les universités chinoises sont très favorables aux collaborations avec les industriels », indique Emmanuel Puginier. Deux institutions attirent toutes les convoitises. L'université de Fudan, classée au deuxième rang national après Pékin, et un laboratoire public très actif dans l'étude des principes actifs contenus dans la médecine traditionnelle (SIMM).

Les chercheurs chinois reviennent

De son côté, le gouvernement n'a pas lésiné sur les moyens pour élever le niveau moyen de la recherche publique. Selon les données officielles, plus de 380.000 chercheurs chinois expatriés sont « revenus au pays » au cours des dernières années. Ils occupent tous des fonctions à forte responsabilité : président d'université, membres de l'académie des sciences ou à la tête de laboratoires nationaux. En Li, qui dirige le centre de recherche Novartis de Shanghai, fait partie de ceux-là. Diplômé du MIT et formé à la faculté de médecine de Harvard puis au Massachusetts General Hospital, ce généticien spécialiste de la signalétique cellulaire a retrouvé sa ville de naissance après quinze ans passés outre-Atlantique. Il s'est fixé une mission ambitieuse : « Trouver des solutions médicales aux problèmes de santé non résolus dans le pays. » Mais, pour l'instant, on est loin du compte. Selon les classements de Thomson Reuters, la Chine est encore un acteur modeste dans le concert mondial de la recherche fondamentale en termes de production de nouvelles connaissances. Mais « sa progression est phénoménale », remarque l'organisme canadien spécialisé dans l'analyse des stratégies de recherche. Le budget R&D du pays était estimé à 30 milliards d'euros (1,3 % du PIB). Pékin vise les 2 % cette année et 2,5 % en 2020, ce qui le mettra à égalité avec les grandes puissances.

ALAIN PEREZ (À SHANGHAI)

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