Le récent échange d'espions entre les États-Unis et la Russie, opéré tout en douceur, semble démontrer que la « réinitialisation » des relations entre les deux pays s'est faite sans heurts. Mais par rapport au Japon, la Russie n'a pour l'instant pas fait grand-chose pour remettre à plat les relations. C'est à la fois une occasion manquée, compte tenu des besoins de modernisation de la Fédération russe, et une grave erreur stratégique, à la lumière des inquiétudes liées aux ambitions de la Chine en Asie, qui pourraient notamment porter sur les régions sibériennes peu peuplées de la Russie.
Au mois d'avril dernier, la marine de guerre chinoise a conduit un exercice à tirs réels au large des côtes du Zhejiang, en mer de Chine orientale, et près des côtes japonaises, dont des exercices d'interception de missiles balistiques avec de nouveaux bâtiments de guerre. L'objectif de l'Armée populaire de libération semble avoir été d'améliorer les capacités opérationnelles de sa marine, en particulier dans les domaines de la guerre électronique et du brouillage, et de tester ses capacités d'intervention conjointe avec l'aéronavale chinoise.
De manière plus significative, la Chine semble avoir voulu lancer un avertissement aux États-Unis et à la Corée du Sud à l'approche des exercices conjoints des forces navales de ces deux pays en mer Jaune. Mais ce faisant, la Chine a également envoyé un signal sans équivoque au Japon et à la Russie.
Alors qu'il est évident que le Japon doit observer de très près les activités de l'armée chinoise, le gouvernement a choisi de nommer comme ambassadeur en Chine un ancien président d'un conglomérat commercial (un sogo shosha), qui sera sans doute moins préoccupé par des questions de sécurité nationale que par des questions commerciales.
De son côté, la Russie n'a réalisé que récemment qu'elle se devait d'agir de manière proactive pour protéger ses intérêts dans la région Pacifique. Le problème est qu'elle se trompe de cible. De manière à coïncider avec les manoeuvres navales de la Chine en mer Jaune, les forces armées russes ont conduit une partie de l'exercice « Vostok 2010 » (comprenant 1 500 soldats) sur Etorofu, la plus grande île des Kouriles méridionales, ou Territoires du Nord japonais, occupées par les Russes.
L'occupation illégale de l'archipel des Kouriles par la Russie date du 18 août 1945, trois jours après que le Japon eut accepté la déclaration de Potsdam, qui mit fin à la guerre du Pacifique. L'Armée rouge de Staline n'en a pas moins envahi et occupé l'archipel des Kouriles, l'île de Sakhaline et notamment les îles des Kouriles méridionales, Etorofu, Kunashiri, Shikotan et le groupe des Habomai, qui n'ont jamais au cours de l'histoire fait partie de l'empire russe ou de l'Union soviétique - une situation qui perdure jusqu'à aujourd'hui.
En fait, la Chambre basse de la Douma a récemment adopté une résolution qui ferait du 2 septembre la « vraie » date anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, de manière à commémorer ainsi la victoire de l'Union soviétique sur le Japon - et de saper toute tentative faite par le Japon pour démontrer que l'occupation de l'archipel est intervenue après la fin des hostilités.
Lors d'une récente visite à Vladivostok, le président Medvedev a déclaré que le développement économique et social de l'Extrême-Orient russe était une priorité nationale. Mais en persistant à occuper illégalement des territoires japonais, la Russie se coupe de toute possibilité de contribution du Japon à cet effort, laissant de fait la Chine dominer le développement régional.
L'insistance de la Russie à maintenir cette occupation contre-productive est étonnante. En fait, lors de la présidence de Boris Eltsine, la Russie a failli reconnaître la nécessité de rendre les Territoires du Nord au Japon. Mais une violente réaction nationaliste a anéanti ces efforts de conciliation. Même le gouvernement japonais actuel, pourtant caractérisé par une stratégie à courte vue, semble comprendre que la Russie devra jouer un rôle dans une redéfinition des pouvoirs en Asie. Selon certaines rumeurs, le premier ministre actuel, Naoto Kan, pense nommer son prédécesseur, Yukio Hatoyama, ambassadeur auprès de la Russie pour mettre fin à l'impasse dans les relations entre les deux pays. Ce dernier est le petit-fils d'Ichiro Hatoyama, qui a signé la déclaration conjointe entre l'URSS et le Japon le 19 octobre 1956, rétablissant les relations diplomatiques entre les deux pays et qui permit l'entrée du Japon aux Nations unies. Ce traité n'a toutefois pas résolu la question du différend territorial, question remise à la signature d'un traité de paix permanent entre les deux pays.
Dans la déclaration de 1956, le Japon et l'URSS s'engageaient à négocier un tel traité, au terme duquel l'URSS devait céder Shikotan et le groupe des îles Habomai au Japon. Le statut des plus grandes îles Etorofu et Kunashiri restait toutefois incertain et devait faire l'objet de nouvelles négociations.
Depuis des décennies, l'opinion publique japonaise estime que les quatre îles des Kouriles méridionales appartiennent au Japon et qu'un accord de paix véritable ne pourra être conclu sans leur restitution. Le choix de Hatoyama comme ambassadeur risque donc d'être vertement critiqué, ce dernier étant prêt à faire de lourdes concessions et son grand-père ayant autrefois accepté un processus de paix ne restituant que deux îles au Japon.
Les électeurs japonais ont heureusement perçu le caractère hésitant du gouvernement et lui ont infligé un sérieux revers lors des élections à la Chambre haute de la Diète. Mais le Japon n'est pas le seul pays à avoir besoin d'un gouvernement prenant au sérieux les questions de sécurité régionale. La Russie doit aussi de son côté reconnaître qu'elle a trop longtemps négligé sa position en Asie, et que ce n'est que lorsqu'elle rendra au Japon les Territoires du Nord que l'expertise japonaise pourra contribuer au développement de l'Extrême-Orient russe.
Seules des relations bilatérales normales permettront aux deux pays d'oeuvrer de concert pour établir un équilibre durable des pouvoirs en Asie. Il est peu probable que Vladimir Poutine soit confronté au même genre de réaction nationaliste qu'Eltsine lorsque celui-ci a cherché à négocier un accord pour restituer les Territoires du Nord au Japon. Mais aura-t-il la vision stratégique pour le faire?
(Traduit de l'anglais par Julia Gallin)
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