jeudi 22 juillet 2010

REPORTAGE - Le cri d'alarme des Chinois de Paris - Raphaëlle Desjoyaux

Valeurs Actuelles, no. 3843 - Jeudi, 22 juillet 2010, p. 12 Le dossier d'actualité. Au coeur de la nouvelle insécurité Insécurité. Ils ont défilé à Belleville, le mois dernier, pour protester contre les agressions dont ils sont victimes.

Il y a ceux qui parlent parce qu'ils en ont assez. Et ceux qui se taisent car ils ont peur. Reportage au coeur du quartier asiatique.

Je me suis fait racketter trois fois. La première fois, j'ai eu vraiment peur. Je marchais tranquillement dans la rue quand «ils» me sont tombés dessus. À chaque fois, ils m'ont piqué mon sac avec mon argent. Hairong a 22 ans. Elle tient la caisse d'une quincaillerie dans le quartier de Belleville, à Paris. Des histoires de vols et d'agressions, elle peut en raconter beaucoup, qu'elle tient de ses clients ou de ses amis : «Une femme se promenait dans la rue avec sa fille. Un camion est arrivé; ils ont kidnappé la fille et l'ont relâchée une semaine plus tard. Elle a eu trente points de suture. »

Rumeur ou réalité ? La préfecture de police répond qu'elle n'a pas d'éléments sur ces enlèvements, qu'il faut se méfier des on-dit. Une chose est sûre : les Chinois en ont assez de l'insécurité grandissante qui sévit, selon eux, dans ce quartier de la capitale, à cheval sur quatre arrondissements (les Xe, XIe, XIXe et XXe). C'est pour exiger des autorités qu'elles fassent le nécessaire qu'ils ont défilé le 20 juin dans les rues de Belleville, à l'appel d'un collectif d'associations créé pour l'occasion. Pour M. Zhang, l'un des organisateurs, les manifestants ont voulu pousser un cri d'alarme: «Assurez-nous la sécurité, c'est plus important que de manger à sa faim.» La police a dénombré 8500 personnes. Il y en avait sans doute plus du double. Il s'agit de la plus grosse manifestation organisée en France par une communauté réputée, jusqu'alors, pour sa discrétion.

Belleville accueille la deuxième plus importante communauté asiatique de la capitale après le XIIIe arrondissement. Les Chinois ont commencé à s'y installer à la fin des années 1970. Une immigration d'abord liée aux conflits qui ont secoué la péninsule indochinoise (Viêtnam et Cambodge), où vivaient de fortes minorités d'origine chinoise. D'autres, venus de Chine continentale, de Hong Kong ou de Thaïlande, ont ensuite rejoint ce quartier.

Selon les témoins, les agressions ont lieu à toute heure du jour et de la nuit. «Mon mari s'est fait frapper un dimanche à 11 heures du matin », raconte Mme Niandi, la cliente d'un coiffeur de Belleville. Un peu plus loin, le patron d'un restaurant, méfiant, refuse de répondre. « En ce moment, on a trop de problèmes, c'est trop dangereux, explique-t-il en épluchant ses piments. Je ne veux pas que vous citiez mon nom, ni celui de mon restaurant. »

À quelques pas de là, Anaïs (Wu Liang, de son prénom chinois) tient une boutique de chaussures. Elle a 26 ans, elle habite Belleville depuis son arrivée en France, en 1998. Elle a vu le climat se dégrader depuis douze ans : «Avant, le quartier était agréable. C'est magnifique, ici ! » Des rues pavées, de vieux immeubles... Belleville porte en effet bien son nom. «Mais maintenant, c'est devenu invivable. » Anaïs aussi a beaucoup d'anecdotes à raconter : « J'ai une amie qui s'est fait agresser. Elle était enceinte de trois mois. Elle a eu tellement peur qu'elle a perdu son bébé. Je lui ai dit d'aller porter plainte mais elle n'a pas voulu car elle n'a pas de papiers. Elle a trop peur de devoir retourner en Chine. »

Pas de papiers. C'est l'une des causes de la discrétion et de la vulnérabilité de la communauté asiatique de Paris. La situation irrégulière de certains de ses membres en fait des cibles faciles : leurs agresseurs savent bien qu'ils n'iront pas porter plainte. « Et puis on ne parle pas bien français et on ne sait pas vraiment comment ça marche en France », ajoute une coiffeuse chinoise.

Un barman d'origine africaine avance une autre raison : « Les Chinois ont la réputation d'avoir beaucoup d'argent liquide sur eux. Pour ceux qui n'ont pas de travail, les agresser est une bonne combine pour se faire de l'argent. »Une histoire circule dans le quartier : des voyous auraient trouvé 70000 euros sur l'une de leurs victimes. De quoi susciter des convoitises. « Ce n'est pas du racisme, seulement un moyen efficace de gagner vite beaucoup d'argent. »

Les agresseurs ? Ils sont jeunes, voire très jeunes. Hector Ktorza habite le quartier : « Ma fille portait son bébé dans les bras. Un gosse d'à peine 13 ans lui a volé son portable. » Ce qui fait dire à Mme Niandi qu'il faut supprimer les allocations familiales dans les cas d'enfants délinquants : « Porter plainte contre eux ne sert à rien. De toute manière, le tribunal les relâche parce qu'ils sont mineurs. » Des témoignages de nombreuses victimes il ressort aussi que leurs agresseurs étaient, pour beaucoup, « noirs » ou «arabes». Belleville est un vieux quartier d'immigration. Maghrébins, Africains, Turcs et Chinois se partagent les commerces. Une cohabitation parfois difficile.

Les organisateurs de la manifestation ont cependant voulu que leur protestation soit utile à tous: «Nous n'avons pas défilé seulement pour les Chinois mais pour toutes les personnes du quartier. Nous avons reçu beaucoup de soutiens de citoyens français. Ce n'est pas un problème de racisme, c'est pourquoi nous n'avions convoqué ni SOS Racisme ni leCran [Conseil représentatif des associations noires]. Ils sont venus de leur propre chef. Le problème vient seulement de quelques jeunes qui agissent dans l'impunité. »

Nombreux sont ceux qui témoignent dans ce sens. Ils ont l'impression que les forces de l'ordre ne font pas leur travail. « On n'arrête pas les coupables, c'est aberrant ! », s'écrie M. Zhang. Le barman d'origine africaine est moins catégorique: « Il y a des policiers en civil, ils en attrapent beaucoup. Ils sont là presque tous les jours,incognito. Mais pour eux, c'est difficile, parce qu'il faut les surprendre en flagrant délit. Ils en arrêtent plusieurs par jour mais il y en a tellement ! La semaine dernière, ils en ont pris un gros. Il agressait une ou deux personnes par jour et les laissait dans un piteux état, sans pitié. »

La préfecture de police de Paris explique que les moyens déployés à Belleville sont les mêmes que dans les autres quartiers de Paris. Le 25 juin, quelques jours après la manifestation, une vingtaine d'associations diverses (associations culturelles, d'apprentissage de la langue, de commerçants, de quartier, etc.) ont été reçues à la préfecture. Selon un agent, le but était de « rassembler tous les acteurs pour tout mettre à plat ». La réunion a permis aux membres de la communauté asiatique d'exposer leur problème d'insécurité et à la police de « faire passer des messages : on leur a expliqué le système du guichet unique pour porter plainte, la législation [différente si l'agresseur est majeur ou mineur], on leur a donné des conseils de sécurité de base ». Quant aux moyens réclamés par les manifestants, la réponse est claire : «Nous ne prévoyons pas de moyens supplémentaires; tout cela est géré dans un cadre général. Il y a des procédures à respecter, on ne peut pas tripler les effectifs à cause d'une manifestation.» Réponse de M. Zhang : « Tout ce que j'espère, c'est que les actes de violence vont cesser à Belleville. Que nous retrouvions notre quiétude de travail sans sortir la peur au ventre. Ce n'est pas dans notre culture de descendre dans la rue, mais si rien ne change, on sera plus nombreux la prochaine fois. Les gens n'en peuvent plus. »

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