lundi 11 octobre 2010

ÉDITORIAL - Liu Xiaobo, Wen Jiabao : deux visages de la Chine


Le Monde - A la Une, lundi, 11 octobre 2010, p. 1

On ne connaît du Prix Nobel de la paix 2010, Liu Xiaobo, qu'un visage d'intellectuel au sourire timide, fixé par quelques photos, toujours les mêmes, reproduites à l'infini dans le monde entier. C'est le visage d'un autre Chinois, le premier ministre Wen Jiabao, qui s'étale sur la couverture de Time Magazine, la semaine même où est annoncée la courageuse décision du comité Nobel d'Oslo : ce visage-là affiche une confiance, une assurance tranquille que l'on n'avait pas vue depuis longtemps chez un dirigeant chinois.

Dans un entretien publié par le magazine américain et diffusé sur CNN, M. Wen professe sa foi dans " la liberté d'expression, indispensable dans tous les pays ". Il évoque la nécessité des " réformes politiques " et explique que l'un de ses idéaux politiques est " que chacun puisse mener une vie heureuse et digne " - propos qui n'ont pas été repris par les medias chinois.

Pourtant, la vie de Liu Xiaobo, condamné en décembre 2009 à onze ans de prison pour avoir participé et fait circuler un texte en faveur de la démocratisation en Chine, la Charte 08, n'est ni digne ni heureuse. A moins d'un miracle, il ne pourra pas aller chercher son prix à Oslo. Le gouvernement chinois a qualifié d'" obscénité " le choix du comité Nobel et convoqué l'ambassadeur de Norvège à Pékin pour exprimer sa colère.

Dès l'annonce du prix, vendredi 8 octobre, les censeurs de l'Internet sont entrés en action pour bloquer tout mouvement de solidarité avec Liu Xiaobo sur la Toile.

Le pouvoir redoutait ce choix. Il avait même dépêché à Oslo, en septembre, la vice-ministre des affaires étrangères, Fu Yin, pour mettre en garde les Norvégiens contre une détérioration des relations bilatérales si le comité Nobel distinguait Liu Xiaobo. Non seulement le comité Nobel n'a eu cure de ces intimidations, mais la formulation choisie pour expliquer sa décision est remarquablement claire : oui, la Chine a accompli des progrès économiques sans précédent; oui, " le champ de la participation politique s'est également étendu ". Pour autant, " le nouveau statut de la Chine doit entraîner pour elle des responsabilités accrues ".

Car la Chine, qui aspire au respect international, ne peut pas indéfiniment jouer sur tous les tableaux. On n'accède pas durablement au statut de superpuissance avec des méthodes d'Etat-voyou. Le modèle d'un capitalisme autocratique ignorant l'Etat de droit est, à terme, une illusion. Autre Prix Nobel de la paix, le Tchèque Vaclav Havel, courageux promoteur de la Charte 77, a soutenu le choix de Liu Xiaobo.

Mais, contrairement à la Tchécoslovaquie des années 1980, la société chinoise de 2010 bouge et contraint chaque jour un peu plus le pouvoir à lui ménager un espace. Un débat sur les " valeurs universelles " s'est ouvert dans les milieux intellectuels.Plutôt que d'agir sous la pression, les dirigeants chinois s'honoreraient à prendre l'initiative en mettant en oeuvre les généreux propos de Wen Jiabao.

En commençant par libérer Liu Xiaobo.

PHOTO - Chinese Premier Wen Jiabao reviews a guard of honour during a welcoming ceremony in Ankara October 8, 2010.

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