Silencieux vendredi soir 8 octobre, des médias chinois ont commencé de distiller, samedi matin, la position officielle du gouvernement chinois sur l'attribution du prix Nobel de la paix au dissident emprisonné Liu Xiaobo, distingué pour son " long combat non violent (...) en faveur des droits fondamentaux en Chine ". " Le comité - Nobel - continue à dénigrer le développement de la Chine en faisant des choix paranoïaques ", a vitupéré un éditorial du Huangqiu Shibao (" Global Times "), réputé pour ses vues nationalistes. Après le prix décerné au " séparatiste " qu'est le dalaï-lama aux yeux de Pékin, " Liu Xiaobo, le nouveau lauréat, veut reproduire en Chine les systèmes politiques occidentaux ", a poursuivi le journal. De nombreux titres en chinois sont restés en revanche étonnamment muets, ou très succincts, sur la question.
Dans Pékin enveloppé de smog, vendredi, qui coïncidait avec la fin des vacances nationales, l'ambiance était à l'indifférence : seuls deux étudiants, sur une dizaine interrogés sur les campus des universités de Pékin et de Tsinghua, les deux plus prestigieuses du pays, étaient informés de l'événement. Et encore, sans bien savoir de quoi il retournait : " Liu Xiaobo, oui, j'en ai entendu parler. Il est aux Etats-Unis, non ? ", a dit une jeune fille, souhaitant rester anonyme, " je sais que c'est un sujet sensible ! ". Pour un autre étudiant, " le Nobel de la paix, de toute façon, c'est politique ". Un chauffeur de taxi rit quand il apprend où se trouve le Prix Nobel : " En prison ? C'est la meilleure ! "
Un journaliste chinois interrogé à son bureau a dépeint une atmosphère surréaliste dans les milieux journalistiques libéraux, où toute une jeune génération de professionnels bridée par la censure ronge son frein : " Mes collègues attendaient l'heure fatidique. On en a tous parlé. La plupart des gens étaient contents. Ça n'a rien à voir avec le dalaï-lama, sa nomination reflète des valeurs fondamentales, tout le monde le sait ", dit-il. Mais rien ne sera publié : " On n'a pas d'autre solution que d'attendre le communiqué officiel de l'agence Chine nouvelle ! ", a-t-il poursuivi, estimant que la discrétion des médias reflétait l'embarras du pouvoir. La mention du Nobel lors des journaux télévisés de CNN et la BBC, largement diffusés par satellite en Chine, a été censurée par des interruptions de transmission.
Devant la résidence de Liu Xia, l'épouse du nouveau Prix Nobel de la paix, dans l'ouest de Pékin, des journalistes d'agence de presse sont rassemblés au milieu des policiers en civil. Mme Liu n'a pas été autorisée à sortir, mais un blogueur, Mo Zhixu, a exprimé en son nom la reconnaissance du couple au comité Nobel ainsi qu'à tous ceux qui les soutiennent. Quelques intellectuels étaient là, parmi les badauds. Il était interdit de pénétrer dans la cour de l'immeuble et la présence policière était massive.
Seul l'Internet a été en ébullition, malgré un contrôle pourtant drastique. Il est devenu impossible d'envoyer un SMS en chinois ou en anglais avec le nom de Liu Xiaobo. D'abord repris sur Weibo, le site de micro-blogging chinois lancé pour contrer Twitter, l'annonce du prix a été vite retirée. Sur Twitter, interdit en Chine mais accessible à ceux qui savent contourner la censure, dominent l'émotion (" la première chose que les gens font, c'est de pleurer ", écrit le blogueur Anti), l'indignation ou les railleries contre le régime.
Quatorze militants et blogueurs, qui avaient décidé de se retrouver dans un restaurant à l'heure de l'annonce, ont été arrêtés, nous a confirmé l'avocat Teng Biao. Resté chez lui, il a reçu un appel de son université l'invitant à la discrétion. Certains, comme l'avocat Xu Zhiyong, avaient sorti des pancartes félicitant Liu Xiaobo. Ils n'avaient toujours pas été libérés samedi matin, et leur détention a déjà poussé d'autres militants à se mobiliser. A trois heures du matin, des étudiants de l'Université du peuple auraient déployé, selon un message diffusé samedi matin sur Twitter, une banderole sur la place Tiananmen félicitant le nouveau lauréat.
Que cet activisme fasse boule de neige épouvante le régime : " Leur plus grande préoccupation va être que des millions de Chinois ordinaires - des fonctionnaires, des cadres du parti et des étudiants - vont vouloir savoir qui est Liu Xiaobo et pourquoi il a été condamné à la prison. Ils vont découvrir la Charte 08, qui se répandra de manière incontrôlable ", estime ainsi Nicholas Becquelin, de Human Rights Watch, à Hongkong.
Brice Pedroletti
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