Le prix Nobel attribué au dissident chinois Liu Xiaobo est un pavé jeté dans la mare des relations internationales. Face à une Chine devenue cette année la deuxième puissance économique mondiale, qui n'hésite pas à montrer du muscle militaire dans son environnement régional, et se trouve placée au coeur de la bataille sur les taux de change, les Occidentaux pouvaient être sûrs que leurs réactions seraient auscultées mot à mot par les autorités de Pékin.
Barack Obama (prix Nobel de la paix en 2009) a dosé son message. Le président américain, vendredi 8 octobre, a appelé " le gouvernement chinois à libérer le plus vite possible M. Liu ", qu'il décrit comme " un courageux défenseur des valeurs universelles à travers des moyens non violents ". Ce prix, a ajouté le président américain, " nous rappelle que la réforme politique n'a pas suivi au même rythme " que les réformes économiques, " spectaculaires ces trentes dernières années en Chine ".
Insistant plus sur les valeurs, la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, a demandé " instamment à la Chine de respecter ses obligations internationales vis-à-vis des droits de l'homme " et appelé à une " libération immédiate " du dissident.
Côté européen, la prudence de la France était manifeste. L'Elysée a gardé le silence. Nicolas Sarkozy doit recevoir, début novembre, à l'approche de la présidence française du G20, son homologue chinois, Hu Jintao. Une déclaration du ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, diffusée vendredi, évite de mentionner la situation intérieure en Chine. Le prix Nobel à Liu Xiaobo " incarne la défense des droits de l'homme partout dans le monde ", dit le texte, ajoutant que la France, " comme l'Union européenne ", avait déjà appelé à la libération de l'opposant. Paris " réitère cet appel ".
Conférence de presse annulée
Les relations entre M. Sarkozy et le pouvoir chinois avaient connu de fortes turbulences en 2008 à propos du Tibet. Cette querelle n'avait pu commencer à être soldée que lorsque Paris s'était engagé, dans un communiqué commun avec Pékin, en avril 2009, à respecter " un principe de non-ingérence " dans les affaires intérieures chinoises. En vue du G20, l'Elysée cherche aujourd'hui à rallier Pékin à son idée de refonte de " l'ordre financier international ". Les officiels français poursuivent par ailleurs des discussions sur le nucléaire (projet de vente d'une usine de retraitement à la Chine).
Pour l'ensemble des Européens, l'annonce du prix Nobel est tombée à un moment particulièrement délicat, alors que se tenait cette semaine à Bruxelles un sommet des principaux pays d'Europe et d'Asie (ASEM). Les Européens ont accentué la pression sur Pékin pour une appréciation du yuan. Vendredi, quelques heures après l'annonce du prix Nobel, Wen Jiabao, le premier ministre chinois, a annulé une conférence de presse prévue pour clôturer ce sommet. Selon un responsable européen anonyme, les officiels chinois refusaient la présence dans la salle de journalistes chinois indépendants.
Plus tôt dans la journée, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, avait salué le choix du Comité Nobel, mais sans appeler à la libération de Liu Xiaobo. A Berlin, le gouvernement avait indiqué " souhaiter qu'il soit bientôt libéré ".
Pékin a multiplié par le passé les pressions sur les Européens pour qu'ils se gardent de s'exprimer sur les droits de l'homme en Chine, mettant souvent dans la balance des contrats commerciaux. La Norvège, pays du prix Nobel, a indiqué vendredi qu'elle espérait boucler un accord de libre-échange avec Pékin.
Natalie Nougayrède (avec Bruno Philip à Bangkok)
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