mardi 26 octobre 2010

Manifestations de collégiens tibétains dans le Qinghai - Brice Pedroletti

Le Monde - International, mardi, 26 octobre 2010, p. 6

Plusieurs milliers de collégiens tibétains, pour la plupart des adolescents, filles et garçons, revêtus de l'uniforme de leur école, sont descendus dans la rue la semaine du 18 octobre, dans plusieurs villes de trois préfectures tibétophones de la province du Qinghai (Malho, Tsolho et Golog), dans le nord-ouest de la Chine, pour défendre leur langue.

Vendredi 22 octobre, une centaine d'étudiants tibétains de l'université Minzu à Pékin, la plus grande université chinoise d'études ethniques, se sont rassemblés par solidarité sur le campus et ont brandi des banderoles demandant " l'égalité des nationalités, l'égalité des langues " - le terme " nationalité " désigne en Chine, dans la tradition héritée de l'Union soviétique, les " ethnies ". Ils ont été dispersés.

Les vidéos et les images des cortèges de collégiens, mises sous le boisseau par la presse chinoise, ont été reprises par les organisations tibétaines en exil. Elles y voient un signe de la volatilité de la situation dans les régions de peuplement tibétain frontalières du Tibet, un an et demi après la répression des manifestations de mars 2008. Celles-ci, qui s'étaient comptées par centaines, avaient peu touché les établissements scolaires.

C'est l'accélération de la politique dite d'éducation " bilingue " au Qinghai qui aurait poussé les élèves à manifester.

Le Qinghai, ainsi que les autres provinces de culture tibétaine, serait en retard par rapport à la Région autonome tibétaine pour la promotion du chinois, notamment dans les écoles primaires. Le gouvernement local a donc lancé depuis juin des directives, rapportées par la presse locale, pour " renforcer vigoureusement l'enseignement du chinois " et faire en sorte que les écoliers " parlent et comprennent le chinois ". Le document officiel demande " d'équiper les dortoirs de télévisions " et de faire en sorte " que les professeurs et les étudiants regardent tous les jours les informations en mandarin ".

Strict contrôle des élèves

L'éducation " bilingue " revient de facto à évincer le tibétain : " Les élèves peuvent choisir d'aller en classe tibétaine ou chinoise; mais s'ils choisissent les classes chinoises, ils ne peuvent plus apprendre la langue tibétaine ", fait remarquer l'écrivain Tsering Woeser, l'une des rares personnalités tibétaines installées en Chine à oser s'exprimer sur les questions liées au Tibet. Elle fustige la rigidité du système et la marginalisation du tibétain.

Selon l'ONG International Campaign for Tibet (ICT), qui cite le cas de la ville de Chabcha, dans la préfecture tibétaine de Tsolho, où 2 000 élèves et étudiants d'école normale auraient manifesté le 20 octobre, d'autres facteurs alimentent la frustration des jeunes Tibétains. Depuis les événements de mars 2008, les 200 écoles de la localité auraient été fusionnées en 60 pensionnats, avec un contrôle plus strict interdisant aux élèves de retourner plus d'une fois par mois dans leur famille.

Les enseignants en langue tibétaine, et ceux qui se préparent à le devenir, seraient également inquiets pour leur avenir, dans la mesure où la nouvelle politique favorise les instituteurs qui parlent le mandarin - et donc les Chinois Han.

Les jeunes Tibétains, signale ICT dans son rapport, ont en commun, avec les jeunes Chinois, la crainte de ne pas trouver de travail. Pour autant, l'argument des autorités chinoises de vouloir les rendre plus " compétitifs " sur le marché du travail est vu avec suspicion.

" Je ne crois pas toutefois qu'il faille voir - dans ces manifestations - des demandes politiques ", confie au Monde Tsering Woeser. " Ce qui se passe fait penser à la manifestation de Canton cet été - où de jeunes Cantonais ont protesté contre des programmes télévisés en mandarin - . Dans une société préoccupée d'unification à tout prix, où le mandarin est massivement promu, les dialectes et les langues des minorités ethniques sont écartés ", ajoute-t-elle.

Brice Pedroletti

PHOTO - Ethnic Tibetan students protest against curbs on the use of their language in the western Chinese town of Rebkong October 19, 2010. The students marched through Tongren, also known as Rebkong, on Tuesday, without police interference, residents contacted by telephone and the London-based Free Tibet campaign group said. Picture taken October 19, 2010.

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