Un rapport dénonce les conditions de travail dans les sites chinois du taïwanais, qui fabrique, entre autres, l'iPhone.
Les usines chinoises du géant taïwanais Foxconn, où sont, entre autres, fabriqués les iPhone d'Apple, mais aussi des Dell, Nokia et autres Sony, «peuvent être comparés à des camps de concentration». C'est ce qu'on peut lire dans un rapport très étayé, réalisé par des chercheurs des vingt universités les plus prestigieuses de Chine, de Taiwan et de Hongkong. Ce document de 83 pages, basé sur les interviews de près de 1 800 ouvriers de 12 usines chinoises de Foxconn, n'a pas encore été rendu public dans son intégralité. Mais les presses chinoise, hongkongaise et taïwanaise en ont publié hier de larges extraits. Ils sont édifiants.
Il en ressort en premier lieu que le nombre de suicides d'ouvriers dans cet empire de 920 000 employés aurait été sous-estimé. Il ne serait pas de onze depuis janvier, comme l'ont rapporté tous les médias, dont Libération (journal du 3 juin), mais de treize. En outre, au moins quatre autres ouvriers de Foxconn ont attenté à leur vie.
«Stagiaires». Par ailleurs, les mirobolantes augmentations de salaire de 60% en moyenne, promises cet été par le patron de Foxconn, Terry Gou, ne se seraient pas matérialisées pour la plupart des ouvriers. Les cadences sont toujours aussi infernales, et dans une logique d'expansion plus tyrannique encore, Foxconn embauche des dizaines de milliers d'adolescents très mal payés estampillés «stagiaires». A ce titre, ils sont privés de toute couverture sociale. Parfois, la moitié de la main-d'oeuvre serait composée de «stagiaires». Dans la seule ville de Chongqing (Sichuan), Foxconn a ainsi passé des contrats d'embauche avec une centaine d'établissements d'enseignement. Des ouvriers de 17 ans sont considérés comme «expérimentés». Alors que la loi chinoise n'autorise que 36 heures de travail supplémentaire par mois, les petites mains de Foxconn sont contraintes à suer entre 80 et 100 heures de plus, parfois même sans être payées. «Même si le salaire est meilleur que dans les autres sweatshops où j'ai travaillé, témoigne un employé cité dans le rapport, vous ne pouvez jamais trouver quelqu'un à qui vous plaindre parce que tout le monde est isolé ici, et vous devenez fou petit à petit.»
«Punition». Les «centres de consultation», récemment créés par la direction pour se racheter après la vague de suicides, ne feraient qu'encourager la délation au sein des équipes. Les ouvriers sont fréquemment «kidnappés» dans leurs dortoirs pour aller travailler à la chaîne, où les tâches répétitives durent en général... deux secondes. «Ils n'ont pas le droit de parler, de sourire, de s'asseoir ou de faire des gestes "inutiles". Ils doivent remplir un quota de 20 000 assemblages durant leurs longues vacations», note le rapport. Environ 13% des ouvriers interrogés disent s'être déjà évanouis à la tâche.
Dans cette version féroce et léthale des Temps modernes de Chaplin, les contremaîtres ont tous les pouvoirs. «Plus de 28% des ouvriers ont été insultés par leurs superviseurs et les gardes de sécurité, 16% ont subi des punitions corporelles et 38% disent avoir subi des entraves à leur liberté de mouvement», écrit ce rapport en qualifiant d'«inhumain» le style de gestion de Foxconn. Le gigantisme du groupe d'assemblage électronique lui confère une immunité de fait. Les autorités locales chinoises seraient tellement soucieuses d'attirer des investissements, qu'elles capitulent devant l'application du droit. Foxconn, qui est déjà l'un des plus grands employeurs du monde, a annoncé cet été un programme d'expansion faramineux. D'ici à 2011, le titan entend accroître de 600 000 le nombre de ses employés, pour atteindre le million et demi.
Dans sa quête permanente du coût le plus bas, Foxconn compte transférer 67% de sa production des zones côtières vers l'intérieur de la Chine, où la main-d'oeuvre est moins chère.
Dans une lettre ouverte au gouvernement chinois et à Foxconn publiée hier, les chercheurs des vingt universités qui ont contribué à rédiger ce rapport redoutent que ce mode de production inhumain, aux frontières de l'esclavagisme moderne, ne cesse de se propager.
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