La Croix, no. 38804 - Evénement, jeudi, 28 octobre 2010, p. 3
Les insuffisances du système sont aggravées par le vieillissement rapide de la population. Avec leurs moyens, les habitants tentent de compenser ces carences.
L'idée de repousser l'âge légal du départ à la retraite fait son chemin en Chine. À Shanghaï, le gouvernement local a même mis en place, le 9 octobre, une réforme encourageant les salariés du secteur privé à cesser leur activité à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes, contre respectivement 60 et 55 ans appliqués dans le reste de la Chine. La mégalopole vieillit rapidement, et déjà un cinquième de sa population est âgé de plus de 60 ans. D'où un problème de financement : les caisses de pension shanghaïennes perdent 10 milliards de yuans par an, soit plus d'un milliard d'euros.
Et cette tension est appelée à s'aggraver, compte tenu de l'orientation des courbes démographiques du pays : depuis trente ans, l'espérance de vie de la population est passée de 66 à 73 ans, alors que dans le même temps, le gouvernement a fortement infléchi le taux de natalité du pays en imposant une féroce politique dite « de l'enfant unique ». Une mesure progressivement assouplie sous la contrainte du fort déséquilibre de la pyramide des âges. Selon un « livre blanc sur les retraites » publié il y a un mois, le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans pourrait passer de 167 millions en 2009 à 248 millions en 2020. Le rapport de financement passerait alors à deux actifs pour un salarié chinois à l'horizon 2035...
Malgré ce diagnostic alarmant, l'éventuel report obligatoire de l'âge de la retraite dans toute la Chine serait difficilement applicable. D'abord parce qu'une telle mesure serait extrêmement impopulaire. Selon une consultation libre réalisée par le site QQ, 92 % des 200 000 internautes interrogés se prononcent formellement contre cette hypothèse.
Une telle opposition révèle un « profond désintérêt pour la question. La retraite, c'est seulement pour les fonctionnaires et les riches », affirme Jing, une jeune active. Le système de pension chinois, très complexe, recèle de grandes disparités. Ainsi, la majorité des citoyens qui bénéficient actuellement d'une pension sont issus de l'administration ou étaient employés des entreprises d'État. En tout, ils représentent environ un quart seulement de la population active.
Et au sein même de ce groupe, les inégalités sont légion. Lundi, plus de 200 anciens professeurs de filières professionnelles ont manifesté à Pékin pour dénoncer des « injustices » dont ils s'estiment victimes. Cité par le quotidien gouvernemental Global Times, Ma Mingliang, ancien professeur d'une école affiliée à une entreprise industrielle, annonce le montant de sa retraite : « À peine 44 €, alors que les professeurs des écoles publiques peuvent prétendre à 322 € par mois. »
Fonctionnaire à la retraite, Mme Cheng perçoit 100 € par mois. « À Pékin, ça suffit à peine à payer les charges du logement. » Avec son mari, elle a donc ouvert un petit commerce de climatisation. Pour compléter une retraite insuffisante voire inexistante, comme elle, de nombreux Chinois poursuivent une activité professionnelle quelconque largement après 60 ans. « Tant qu'on peut travailler, on travaille », résume-t-elle.
Et puis, « ma fille m'aide souvent », reprend Mme Cheng. Une piété filiale essentielle dans ce pays où les personnes âgées sont traditionnellement prises en charge par leurs enfants. Mais ce fonctionnement est de moins en moins viable. Car à cause de la politique de l'enfant unique, un jeune doit désormais s'occuper de ses deux parents, voire de ses quatre grands-parents. Ce déséquilibre est encore plus sensible à la campagne où l'exode rural des jeunes s'accentue.
Dans ce pays où le système de retraite par répartition est largement déficient, l'alternative constituée par un système par capitalisation individuelle constitue une solution très largement répandue chez les Chinois qui sont parmi les plus grands épargnants du monde, en partie pour compenser les insuffisances de leur système de protection sociale.
Sylvain DULAC
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