vendredi 29 octobre 2010

SONDAGE - Les intellectuels qui comptent (vraiment) pour les Français


Marianne, no. 703 - Idées, samedi, 9 octobre 2010, p. 80

ALEXIS LACROIX
Avec France Culture

Le sondage CSA-" Marianne " sur la notoriété et l'influence des intellectuels français réserve bien des surprises, bouscule les idées reçues et redessine la cartographie de la pensée. Décryptage de ses principaux enseignements.

C'était en 1983 ; autrement dit, il y a une éternité. Alors porte-parole du gouvernement Mauroy, Max Gallo se plaignait amèrement dans le Monde du " silence des intellectuels " ! Déjà... Depuis, cette antienne du mutisme des clercs s'est banalisée - jusqu'à l'insignifiance. Une autre, plus mordante, plus mortelle aussi, a pris le relais : on ne reproche plus aux desservants de la pensée leur mutique abstention ; on tance leur omniprésence ; on leur fait grief non de fuir la confrontation, mais d'intervenir " à tort et à travers ", de n'éviter aucun sujet, aucune polémique, depuis l'interruption du trafic aérien par des poussières d'éruption volcanique jusqu'au fiasco de l'équipe de France de football. Bref, on les accuse d'être devenus les représentants par excellence de ce que les Anglo-Saxons nomment les " classes bavardes ".

Assaisonnées d'une sociologie approximative, les enquêtes sur le déclin de la vie intellectuelle en France sont même devenues un " marronnier " des hebdomadaires. Pour maints commentateurs du " pif " (paysage intellectuel français), les jeux seraient faits : ce qui demeurerait, en 2010, de l'exception hexagonale constituée par l'insolite tribu des intellectuels serait tout au plus l'incertitude sur le devenir de la " corporation ", et un questionnement tantôt goguenard, tantôt anxieux, sur l'érosion de son magistère, à l'heure de Twitter, de Facebook et de l'interactivité planétaire. " Qui les écoute encore ? " soupirent les demi-habiles.

Le sondage réalisé par l'institut CSA pour Marianne que nous publions page suivante risque évidemment de conforter ce sombre tableau. Car l'étude d'opinion, classant 22 des intellectuels français les plus connus par ordre de notoriété et d'influence, réalisée fin juin 2010, révèle un paysage intellectuel à la fois atomisé et perplexe ; un paysage gagné par le " spectacle d'idées ", selon la judicieuse formule de l'historien et éditorialiste Alain-Gérard Slama. Un paysage gangrené, sans doute, par la théâtralisation des débats et des controverses, mais en premier lieu par l'indexation de l'influence intellectuelle sur la valeur d'échange de chacun des auteurs. Cela mérite d'être observé de (très) près.

1- L'influence, fonction des tirages en librairies ?

Isolant trois degrés d'influence distincts, le sondage met en exergue un premier groupe d'auteurs, à l'exception du philosophe Bernard-Henri Lévy (1er en notoriété), dont la marque de fabrique consiste à publier des livres qui éclairent des enjeux plus sociétaux et/ou économiques que politiques et internationaux, avec l'ambition de transmettre au public des contenus de connaissance difficiles d'accès. Les deux exemples les plus emblématiques de ces intellectuels qui ont choisi des sujets " concernants " ? Les philosophes Elisabeth Badinter et Luc Ferry (1re et 3e en termes d'influence). Une certitude provisoire : bien qu'ils ne désertent pas systématiquement la forme classique de l'engagement, ces intellectuels, dont Badinter et Ferry sont les hérauts (lire les interviews, p. 89 et 90), semblent en passe d'inventer une modalité inédite de l'exercice de leur magistère, qui n'est pas non plus exactement celle de l'" intellectuel médiatique " : l'auteur de livres à succès.

Ainsi, Elisabeth Badinter, qui rappelle volontiers qu'elle puise ses joies intellectuelles les plus intenses dans la consultation des archives, respecte à intervalles réguliers une véritable diète médiatique. Courir d'un plateau de chaîne d'info à un talk-show du samedi soir n'a jamais été un besoin vital pour cette fine lectrice de Condorcet et de Mme du Châtelet. Cette professeur émérite à l'Ecole polytechnique ne peut donc pas rivaliser avec l'omniprésence de certains " intellectuels médiatiques " dans les écrans de contrôle de la vidéosphère. Et, s'il lui arrive fréquemment de peser sur les débats contemporains les plus aigus, ni ses interventions ni ses prises de position n'expliquent, à elles seules, l'impact élevé de sa parole sur l'opinion française - et désormais européenne, car, en Allemagne, son dernier essai, le Conflit, remporte ces jours-ci un triomphe (1).

L'influence d'Elisabeth Badinter réside sans doute dans l'audience de son oeuvre, patiemment construite en près de trois décennies, qui alterne travaux d'érudition sur son " cher XVIIIe siècle " et essais à dimension sociétale sur le féminin et le masculin, sur le couple, l'identité sexuelle, les chances et les impasses du féminisme ; des ouvrages qui récoltent des lecteurs bien au-delà du cercle restreint des amateurs habituels d'essais et de livres de sciences humaines. Le Conflit, paru en février dernier, et en cours de traduction dans plusieurs pays, s'est vendu à plus de 200 000 exemplaires.

Quant à Jacques Attali, l'ex-sherpa de François Mitterrand, on dira et pensera ce qu'on voudra de son oeuvre composite, de son " usine " à textes mêlant exercices d'admiration (pour Gandhi ou Karl Marx), prouesses de futurologie très personnelles et exhortations à la salubrité économique et financière. Reste que, si elle ne possède ni la cohérence ni la rigueur de celle d'Elisabeth Badinter, elle lui assure une très large audience et une sphère d'influence notable, à la hauteur de sa capacité de vulgariser des questions épineuses, comme le serpent de mer de la dette publique (2).

Le " cas " Attali, plus encore que celui du philosophe Luc Ferry, est un baromètre fidèle des attentes que suscite - et que remplit - cette première famille d'esprits : juste un peu moins " médiatiques " que beaucoup d'autres " clercs ", ils possèdent néanmoins une qualité qui, sur une scène intellectuelle longtemps obscurcie par des rhétoriques abstruses, fait leur force. " Ils écrivent clairement, sans finasserie inutile, et possèdent un incroyable talent pédagogique pour disséquer les idées les plus complexes ", reconnaît un éditeur. Et d'ajouter le coup de pied de l'âne : " La contrepartie, c'est que leur influence ne repose sur aucun engagement véritablement courageux. " Voire. Là encore, notre sondage, dûment interprété, balaie quelques préjugés tenaces. La première de ces antiennes consiste à marteler que succès d'édition et constance de l'engagement s'excluent l'un l'autre.

Pour ne parler que d'elle, Elisabeth Badinter fut, en novembre 1989, la coorganisatrice d'une pétition qui fit grand bruit et parut dans le Nouvel Observateur. Les signataires de cet appel, parmi lesquels Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay, alarmés par le recul du ministre de l'Education nationale Lionel Jospin face à l'appui donné par des organisations islamiques à deux jeunes collégiennes de Creil qui arboraient le voile islamique, ont dénoncé le " Munich de l'école républicaine ". Ce faisant, ils ont tracé, pour longtemps, une ligne de fermeté républicaine qui, malgré toutes les oppositions qu'elle a subies depuis vingt ans, appartient encore au cours le plus intérieur de la scène intellectuelle. En 2004, c'est encore la philosophe qui mit à profit son influence, avec quelques autres intellectuelles (dont sa consoeur et ex-présidente du Haut Conseil à l'intégration, Blandine Kriegel), pour hâter l'adoption de la loi sur l'interdiction des signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires. On devait d'ailleurs retrouver l'an dernier Elisabeth Badinter en tête de la mobilisation des intellectuels contre le port de la burqa. L'audition de la philosophe devant la mission Gérin devait directement influer, en 2009, sur le choix du législateur belge.

2- Fin de la " République des professeurs " ?

Un troisième enseignement devrait émouvoir tous ceux qui savent la part prise par les enseignants dans l'édification de la vie intellectuelle française, ainsi que le linguiste Jean-Claude Milner l'a souligné dans un essai qui a fait date, De l'école (3) : c'est la sous-représentation de cette " République des professeurs " (de lycée ou d'université) parmi les intellectuels les plus influents. Aux côtés de Sylviane Agacinski (qui enseigne à l'Ehess), de l'historien Benjamin Stora (université Paris-VIII), d'Alain Finkielkraut (professeur à l'Ecole polytechnique), de Michel Onfray (qui a créé sa propre université " populaire ", à Caen) et de Michel Serres (qui enseigne aux Etats-Unis, dans la prestigieuse université de Stanford), et, enfin, du philosophe Alain Badiou (Ecole normale supérieure), Elisabeth Badinter forme donc une sorte d'espèce en voie d'extinction. Lorsqu'on prend acte du rôle de la transmission dans la constitution de l'espace public français, qu'on se souvient que le philosophe star du radicalisme de la IIIe République, Alain, était, d'abord, un professeur de lycée, que des intellectuels de première grandeur comme Foucault, Barthes, Lacan ou Derrida n'auraient jamais renoncé à leur charge d'enseignement, tandis que l'ancien caïman de la Rue d'Ulm, Louis Althusser, a laissé un souvenir ému chez des intellectuels aussi différents que Bernard-Henri Lévy, Etienne Balibar ou Alexandre Adler, on mesure les bouleversements qui découlent de ce déclin de la fonction professorale.

3- Le paradoxe de l'influence

L'essayiste Alain Minc le rappelle opportunément dans sa récente Histoire politique des intellectuels (4) : le " clerc " qui refuse de trahir renonce, ipso facto, au pouvoir. Le pouvoir intellectuel, autrement dit, n'existe pas, contrairement à ce qu'imaginent les sociologues. La vocation propre de l'intellectuel, c'est non de se constituer en pouvoir, mais de se poser face à tous les pouvoirs. En France, le modèle sartrien, ou, pour remonter aux origines, zolien (c'est-à-dire dreyfusard), reste insurpassé. Il obéit à une loi simple : seule l'autorité - ou l'influence - définit en propre le statut de l'intellectuel. Or, le sondage confirme que cette autorité intellectuelle n'est pas forcément superposable au rayonnement médiatique.

Bernard-Henri Lévy arrive premier en termes de notoriété (il est connu par 82 % des sondés, quand Michel Onfray n'est identifié que par 26 % d'entre eux, et Alain Finkielkraut, par 21 %). Comme le rappelle un de ses adversaires historiques, le philosophe Paul Thibaud, la position de BHL, depuis trente-trois ans déjà, est devenue " inexpugnable ". Mais l'auteur de l'Idéologie française est classé 5e en termes d'influence perçue (18 points), juste derrière... Jean d'Ormesson (19 points) et devant Régis Debray (14 points) ou Michel Serres (9 points). Ce rang (lire ci-contre) s'explique sans doute parce qu'il s'est en partie détourné des débats qui scandent l'actualité franco-française. Une prédilection d'" internationaliste " impénitent que BHL veille désormais à pondérer d'engagements strictement hexagonaux - mais insuffisamment encore : sa dénonciation du discours de Grenoble et de la politique antirom a singulièrement irrité le président de la République. Pour le penseur archéo-communiste Alain Badiou, en revanche, l'écart se révèle cruel : son succès important sur l'opposition frontale à l'actuel hôte de l'Elysée, avec son libelle, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, ultrarelayé de Libération au Point, en passant par les Inrockuptibles et Télérama, dissimule une autorité intellectuelle... très faible (à peine 3 points sur l'échelle de l'influence). En l'occurrence, le philosophe platonicien, qui occupe une chaire d'enseignement enviée à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm, auteur d'ouvrages aussi costauds que confidentiels, a cherché à franchir le mur invisible qui sépare les intellectuels " célèbres " de ceux qui bénéficient d'une notoriété plus modeste. Son accession au rang d'auteur " bankable " dans les talk-shows, aujourd'hui chez Frédéric Taddéi, demain peut-être chez Laurent Ruquier, si elle lui vaut un " quart d'heure " warholien prolongé, compromet en partie sa crédibilité. En fondant son audience sur une surenchère permanente, Badiou, paradoxalement, a banalisé sa parole. Un arbitre des élégances médiatico-mondaines comme Alain Minc peut donc lâcher à son encontre ce jugement aussi détaché qu'impitoyable : " A une époque où le populisme triomphe partout, il est logique que le populisme ait aussi son intellectuel organique. " La loi d'airain de l'influence fonctionne parfois comme un cruel miroir inversé de l'engouement médiatique.

4- Les mécomptes de la néoradicalité

Si l'influence est parfois inversement proportionnelle à l'effervescence médiatique, nul n'en subit davantage les effets que certains " intellectuels médiatiques " qui se sont fait une spécialité des positions polémiques et des thèses " clivantes ". L'exemple le plus frappant ? Celui de Michel Onfray. Auteur à succès, courtisé des médias avec une assiduité telle que le Nouvel Observateur a pu écrire, au printemps dernier, qu'il avait démodé et détrôné tous ses " camarades ", le fondateur de l'Université populaire de Caen a signé, en avril dernier, un essai violent sur le fondateur de la psychanalyse, un déboulonnage de la statue Freud, le Crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne (5). Un carton éditorial, 130 000 exemplaires vendus à ce jour. Pendant trois semaines, il était quasiment impossible d'échapper à la rumeur sulfureuse qui, des blogs aux conversations de bureau, a relayé, célébré, amplifié cette psycho-biographie à coups de marteau. Nul ne sait si, comme l'affirme encore Minc, il ne reste maintenant " rien " de cette attaque contre Freud.

Ce qui est instructif, en revanche, c'est que ce Blitzkrieg promotionnel gratifie pourtant Onfray d'un score modeste en notoriété (26 %) et d'un indice d'influence lui-même décevant (6 points), rapporté au tsunami qu'a déclenché son livre. Onfray a donc sans doute emprunté une part de sa méthode - et même, selon certains, de ses trucs langagiers - à BHL ; il ne lui a pas pour autant ravi sa place dans l'esprit des Français. Quant à la stratégie discursive générale du gourou d'Argentan - formaliser dans une langue informée les ressentis du " vrai " peuple -, il n'est pas sûr qu'elle parvienne jamais à le doter de l'influence qui lui fait, pour l'heure, défaut. Elle apparente bien plutôt sa démarche à ce que le philosophe Marcel Gauchet, impitoyable, croit pouvoir déchiffrer comme une " customisation " des anciennes radicalités d'extrême gauche (6). On ne sort pas si facilement de la " société du spectacle "...

5- Mort de " l'intellectuel médiatique " ?

Le résultat mitigé d'Onfray, bien sûr, laisse place à une pluralité d'interprétations. La première qui vient à l'esprit s'est déjà constituée depuis longtemps en discours : c'est l'antienne de la fin de l'" intellectuel médiatique ". Bruit de fond pittoresque de nos sociétés hypercâblées, sa parole serait d'autant plus encouragée qu'elle serait sans conséquence. Après l'Etre et le néant, l'être et le néon... A la pointe émergée du débat public, il ne surnagerait plus que des ventriloques du spectacle total, qui rivalisent d'effronterie pour capter l'attention d'un public zappeur ; il ne subsisterait que la voltige illusoire de ceux que, à la suite du philosophe Dominique Lecourt et de son livre les Piètres Penseurs, le philosophe Yves-Charles Zarka nomme les " intellectuels d'apparat " (7). Un savant dosage de suffisance tapageuse et d'idées creuses.

On aura reconnu dans ce discours le cri du coeur d'une théorie très en vogue : celle de l'" intellectuel terminal ". Cette analyse crépusculaire n'est pas nouvelle. Elle a reçu l'une de ses premières formulations au tournant des années 2000, sous la plume d'un penseur inclassable qu'on redécouvre aujourd'hui, Philippe Muray. Voici ce qu'il écrivait dans Marianne : " L'intellectuel est terminé [...]. Comme la révolution de 1789, comme la marine à voiles et comme les bonnes soeurs à vapeur. Le problème n'est pas que l'intellectuel ait "trahi"?, ni qu'il se soit plus spécialement "trompé" que d'autres. C'est que les faits, depuis quelques années, se sont mis en marche dans des directions dont il ne peut même pas s'étonner parce qu'il ne peut pas les voir. Penser le monde n'est plus à sa portée, et ça ne l'a probablement jamais été [...]. " Marcel Gauchet, depuis, a livré une version " grand public " de ce sinistrisme intellectuel, en comparant la scène intellectuelle française à un " marécage ". Un marécage ? Tous les " médiatiques ", alors, devraient s'y enliser, et leur influence y sombrer sans recours. Ce n'est pas le cas. Si Pascal Bruckner, dont les essais se vendent très bien, recueille seulement 4 points d'influence, Régis Debray, par exemple, dont les livres connaissent des tirages plus modestes, n'a pas à rougir de ses 15 points.

6- La vraie trahison des clercs

Mort et remords, l'intellectuel médiatique, vraiment ? La vérité est à la fois plus complexe et plus cruelle : une lame de fond irrésistible n'a cessé d'éloigner les intellectuels - et parmi ceux-ci les plus médiatiques - du coeur battant de la société française et de ses luttes sociales. En hâtant leur repli sur le sociétal et sur l'intime, suggère le sociologue Jean-Pierre Le Goff, ils n'ont cessé, depuis trente ans, d'accélérer leur atomisation. C'est le très modéré ex-directeur de la revue Esprit, le philosophe Paul Thibaud, qui fait sien, aussi, ce constat désenchanté : " L'espace public d'aujourd'hui n'offre plus de lieu de regroupement crédible aux intellectuels, avec le reflux de la vague antitotalitaire. Il n'y a pas, en ce moment, de thème du débat public qui soit en lui-même un grand thème de débat intellectuel et moral, comme le furent la décolonisation ou l'antitotalitarisme. L'antisarkozysme, quoi qu'on veuille parfois faire croire, n'est vraiment pas une cause significative, cela relève de l'anecdote. Le débat sur l'Europe n'a pas pris forme. C'est pourquoi les intellectuels sont obligés de se replier sur leurs préoccupations propres. " Et Thibaud de pointer " un double abandon : celui du politique et celui de la question sociale ". Plus que le " silence " que croyait pouvoir leur reprocher Max Gallo, c'est vers une complicité tacite avec l'ordre des choses que les intellectuels auraient dérivé.

Souvenons-nous : lorsque, le 22 février 1984, fut diffusé, juste après le journal télévisé, un economy show intitulé " Vive la crise ! ", inspiré d'un essai de l'ancien commissaire au Plan Michel Albert, sur l'effort à consentir pour sortir renforcé de la crise, il y eut peu de commentateurs de gauche pour s'en offusquer ou même s'en étonner. L'émission, menée tambour battant par Yves Montand, scandée par les témoignages de deux " experts " - Alain Minc et Laurent Joffrin - fit fureur. Les petits soldats du socialisme de la rigueur étaient conquis. " Vive la crise ! " s'achevait, d'ailleurs, par ces mots triomphalistes : " C'est vous et vous seuls qui trouverez la solution ! " " Prenez-vous par la main, s'exclamait Montand, pointant un index accusateur, sinon, on aura ce qu'on mérite ! " Un quart de siècle plus tard, les Français, les Européens et les Américains ont bien eu ce qu'ils méritaient - la crise du capitalisme financier -, mais pas dans le sens escompté par Montand et les siens. Or, la gauche officielle et nombre de ses " intellectuels médiatiques ", comme le déplore, aujourd'hui, l'historien Jacques Julliard, notamment dans ses éditoriaux du Nouvel Observateur, ne sont pas étrangers au cataclysme de 2008. Le passage du capitalisme industriel national au capitalisme financier global fut un peu leur besogne, en un temps - les années 80 - où, comme l'avait rappelé un peu avant sa mort le philosophe Daniel Bensaïd, " le terrain de la justice sociale a été délaissé au profit d'un discours de modernisation concurrentielle ".

Abandon du politique, abandon de la question sociale ? Ces deux désertions pointées par Paul Thibaud ont enfermé durablement nombre d'intellectuels en vue dans une impasse - dans l'impasse Adam Smith disséquée par le philosophe Jean-Claude Michéa. Faut-il s'étonner dès lors si ce n'est pas un intellectuel stricto sensu, mais un écrivain à succès, Jean d'Ormesson, qui retient l'attention des classes populaires, avec l'indice maximal d'influence parmi les ouvriers ?

7- Les habits neufs de l'engagement

" L'intellectuel engagé au sens classique - Sartre, Beauvoir, jusqu'à Badiou - est en voie de disparition. Il n'y a plus de phares, que des balises ", se lamente volontiers Alain-Gérard Slama. Mais à ce constat implacable, il convient d'apporter des bémols. Pour preuve, par exemple, la très large audience remportée, ces dernières semaines, par la mobilisation en faveur de l'Iranienne Sakineh Mohammadi Ashtiani, condamnée à la lapidation par le régime de Mahmoud Ahmadinejad : à ce jour, la pétition en sa faveur a recueilli près de 160 000 signatures. Qui a dit que la tradition dreyfusarde de l'intellectuel français avait définitivement rejoint les " lieux de mémoire " ?

D'autre part, l'extrême audience du " journalisme d'intervention " sur le Net n'est plus à démontrer. La raison de cette influence, selon le sociologue Raymond Boudon ? " Sans doute du fait qu'il offre aux citoyens un moyen de s'exprimer sans avoir à se faire préalablement inviter ou accepter par les médias audiovisuels ou écrits. Peut-être cela entraînera-t-il un effet d'érosion du politiquement, du moralement ou de l'historiquement correct. " Alain Minc ne dit pas fondamentalement autre chose. " Le système du pouvoir intellectuel va être balayé par le Net, prophétise-t-il, et les cartes vont forcément être rebattues, de la manière la plus inattendue. Le monde intellectuel est dominé par le suffrage censitaire. Le Net va y réintroduire le suffrage universel. La compétition qui vient sera imprévisible. Nul ne sait qui va prendre le pouvoir, ni lequel des blogueurs sera amené à occuper une position de pouvoir importante. "

Une révolution médiologique, on le pressent depuis Gutenberg, n'a jamais une portée uniquement... médiologique. Si, comme l'assure tel expert des médias, le basculement souhaité par Minc vers le modèle de l'e-intellectuel ouvre d'ores et déjà un espace " pour de petites structures médiatiques souples privilégiant la réactivité du débat ", l'empire d'Internet, en bousculant les grandeurs d'établissement, est peut-être en train de hâter la recomposition de la géographie des clivages idéologiques. Le sondage CSA met d'ailleurs en évidence la perte d'audience grandissante des intellectuels enferrés dans l'extrémisme idéologique : les ex-néoconservateurs d'un côté, à l'image d'André Glucksmann compromis dans le soutien à la guerre d'Irak ; les néoradicaux qui customisent l'idéal révolutionnaire, à la façon de Badiou, mais aussi de Jacques Rancière, apprécié d'une " bulle " culturelle mais ignoré de la très grande masse des Français. Notre étude d'opinion met en exergue, enfin, l'influence prépondérante des rénovateurs de la thématique universaliste : Luc Ferry et l'humaniste " néokantien " ; Elisabeth Badinter, avocate du modèle d'intégration à la française et adversaire décidé du féminisme différentialiste ; Bernard-Henri Lévy, opposant farouche aux ruses du " choc des civilisations ", qui rassemble en ce moment autour de lui de jeunes intellectuels qui, de la politologue Caroline Fourest à l'équipe de la revue Transfuge, partagent son souci de l'universalisme. Elisabeth Badinter en est certaine : " Ce sera le sujet des décennies à venir. "

Une autre façon de poser la question brûlante de l'articulation de l'unité de la France, voire de l'Europe, avec la diversité des cultures, comme l'ont souligné, ces dernières semaines, les empoignades autour du livre d'Hugues Lagrange, le Déni des cultures (8).

Manifestement, l'intellectuel français n'a pas encore terminé sa course. Ni fini d'interpeller le monde.

Fiche technique

Sondage exclusif CSA-Marianne réalisé par téléphone le 16 juin 2010 au domicile des personnes interrogées.

Echantillon national représentatif de 1 000 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué d'après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et catégorie d'agglomération.


D'Elisabeth Badinter à Michel Onfray... Signes particuliers des penseurs les plus influents

Elisabeth Badinter

Sa pensée : un universalisme de combat, puisant dans la philosophie des Lumières.

Son (principal) ennemi : les féministes différentialistes.

Son (plus gros) tirage récent : le Conflit, Flammarion, 198 000 ex.

Jacques Attali

Sa pensée : un plaidoyer éclectique en faveur des promesses de la mondialisation et de l'interdépendance planétaire.

Son (principal) ennemi : le temps qui lui reste pour écrire tout ce qu'il a en tête.

Son (plus gros) tirage récent : Tous ruinés dans dix ans ?, Fayard, 200 000 ex.

Luc Ferry

Sa pensée : un humanisme bien tempéré qui rend Kant compréhensible.

Son (principal) ennemi : la " pensée 68 " des Foucault, Deleuze et Bourdieu.

Son (plus gros) tirage récent : Apprendre à vivre, Plon, 200 000 ex.

Jean d'Ormesson

Sa pensée : une version du carpe diem à destination d'un grand public cultivé.

Son (principal) ennemi : les rares qui ne l'aiment pas.

Son (plus gros) tirage récent : C'est une étrange chose à la fin que le monde, Robert Laffont, 190 000 ex.

Bernard-Henri Lévy

Sa pensée : le pessimisme méthodique d'un voyageur infatigable hanté par les fanatismes identitaires et les nouveaux vertiges totalitaires.

Son (principal) ennemi : Alain Badiou. Son (plus gros) tirage récent : American Vertigo, Grasset, 140 000 ex.

Régis Debray

Sa pensée : la critique implacable des promesses mirobolantes de la modernité.

Son (principal) ennemi : les vigilants et autres " repentants ".

Son (plus gros) tirage récent : Un candide en Terre sainte, Gallimard, 45 000 ex.

Albert Jacquard

Sa pensée : un humanisme scientifique qui fait les délices du grand public.

Son (principal) ennemi : le racisme

Son (plus gros) tirage récent : Le monde s'est-il créé tout seul ? (ouvrage collectif), Albin Michel, 25 000 ex.

Hélène Carrère d'Encausse

Sa pensée : la Russie et les Russes expliqués à la bonne bourgeoisie française.

Son (principal) ennemi : ceux qui avaient prévu la chute de l'URSS.

Son (plus gros) tirage récent : non communiqué par son éditeur (Fayard).

Michel Serres

Sa pensée : une histoire des sciences inspirée de Leibniz et de l'Encyclopédie, et narrée par un conteur gascon.

Son (principal) ennemi : il affirme ne pas en avoir.

Son (plus gros) tirage récent : le Temps des crises, Pommier, 23 300 ex.

Claude Lanzmann

Sa pensée : fidèle à Sartre, c'est un admirable cinéaste, très engagé.

Son (principal) ennemi : ceux qui n'aiment pas son film Shoah.

Son (plus gros) tirage récent : le Lièvre de Patagonie, Gallimard, 155 000 ex.

Alain Minc

Sa pensée : de la Fondation Saint-Simon à Sarkozy, un inlassable plaidoyer pour le marché.

Son (principal) ennemi : les nationalistes antieuropéens.

Son (plus gros) tirage récent : Une histoire de France, Grasset, 45 000 ex.

Michel Onfray

Sa pensée : il excelle dans le déboulonnage des idoles culturelles. Ses (principaux) ennemis : Elisabeth Roudinesco et Jacques-Alain Miller.

Son (plus gros) tirage récent : le Crépuscule d'une idole, Grasset, 130 000 ex.

Le cas BHL

D'aucuns diront que le cercle de la raison a encore frappé. On savait déjà que Bernard-Henri Lévy, depuis plus de trente-deux ans, s'accordait des trêves, comme autant d'échappées hors de la " comédie " médiatico-littéraire. On vient d'apprendre que BHL n'est jamais loin, même quand il s'absente. Pas du tout ébranlé par un air du temps qui a cru pouvoir proclamer la relève de l'intellectuel antitotalitaire par Michel Onfray et Alain Badiou, BHL persiste et signe. Le philosophe, qui ne dédaigne pas se qualifier de " dreyfusard ", riposte au sinistrisme anti-intellectuel par un vibrant plaidoyer en faveur des intellectuels, de leur vocation historique et de la nécessité de leur voix, notamment face à la berlusconisation accélérée de notre démocratie. " Le seul antidote au populisme et aux idées toutes faites, ce sont les intellectuels. En ce sens, ils jouent toujours le même rôle qu'au temps d'Emile Zola, dit-il. Vous l'avez compris, je n'accorde aucun prix à la rengaine de l'intellectuel terminal. " Voilà qui est dit.

Faut-il entendre là un simple remake avantageux de l'éternel plaidoyer pro domo de l'intellectuel médiatique ? Une resucée de la complaisance envers soi que manifestent souvent les sociétaires les plus endurants, les plus aguerris de la " bulle " ? Sans doute, mais pas seulement. Car l'auteur de l'Idéologie française entend répondre par avance à tous ceux qui lui reprochent, avec une intensité croissante et non sans raison, de se montrer plus sensible au sort de l'Afghanistan qu'à celui de l'Aveyron, plus émus par les suppliciés du Darfour que par les chômeurs de l'Euroland. Bernard-Henri Lévy, d'ailleurs, ne récuse pas cette prédilection, expliquant qu'il est " ainsi constitué que le visage d'un Darfouri ou d'une femme iranienne promise à la lapidation font que je ne peux pas ne pas être requis par eux ". L'" opinion dominante " remarque aussi qu'il s'entête à préférer aux sobres joutes hexagonales sa cavalcade sur les grands théâtres de la barbarie contemporaine. Pourtant, cet été, quand le gouvernement français, sous l'impulsion conjointe de Nicolas Sarkozy et de Brice Hortefeux, s'est lancé dans ses surenchères xénophobes contre les Roms, le philosophe n'a pas été le dernier à s'émouvoir. Sa tribune du Monde, " Les trois erreurs de Nicolas Sarkozy ", a sans doute marqué, à cet égard, un tournant. Non seulement parce que cet article a irrité un pouvoir enferré, mais surtout parce qu'il a démontré, à ceux qui en doutent, que l'intellectuel médiatique n'est pas forcément un intellectuel de cour, et que le " système BHL " n'est pas seulement réductible à des " stratégies ", ou à autant de recettes pour fortifier sa notoriété record. En cette fin d'année 2010, Bernard-Henri Lévy affirme n'avoir jamais été autant désireux de placer son autorité intellectuelle au service des débats qui agitent la société française, alors que l'" alternative " (au sarkozysme) cherche encore sa voix et son message.

Mais voilà, il n'ignore pas que les conditions de ce journalisme transcendantal ont changé. L'" e-révolution " célébrée par Alain Minc casse les codes du journalisme transcendantal cher à Maurice Clavel. En insécurisant les grandeurs d'établissements, elle remet de la surprise dans le jeu intellectuel hexagonal. Ce n'est sans doute pas par hasard que le philosophe a rapatrié toute sa correspondance sur le site de la Règle du jeu. Au-delà de cette domiciliation électronique, la revue - et son site (laregledujeu.org) - est devenue une sorte de plaque tournante. Une rampe de lancement qui a mis sur orbite, en août, la pétition en faveur de l'Iranienne Sakineh Mohammadi Ashtiani, et qui agrège les idées de " jeunes " penseurs, de Maria de França à Donatien Grau et Laurent-David Samama. BHL en est sûr : dans la guerre des idées qui s'annonce, ce " labo " théorique " est d'une importance fondamentale ".

Alain Badiou Une renommée ponctuelle
Philippe Petit

Est-ce parce qu'il ne croit pas à la loi du nombre que le philosophe Alain Badiou, auteur d'un livre justement nommé le Nombre et les nombres (1990), se retrouve en mauvaise place dans le sondage commandé par Marianne ? Dans un entretien paru dans la revue Contretemps en 2006, le futur auteur du brûlot De quoi Sarkozy est-il le nom ? (2007) déclarait : " Je n'accepte aucunement que la justice, ou la justesse, d'une politique soit du côté du nombre, et la règle majoritaire, dont je vois bien qu'elle peut être une commodité étatique, un artifice de paix pour la gestion des affaires, n'a rien à voir avec les processus de vérité. " La frénésie médiatique déclenchée par son pamphlet anti-Sarkozy a visiblement contrarié ce programme. Nombre de médias ont réclamé le philosophe et celui-ci a joué le jeu. Et s'en est trouvé conforté. Au point que son livre, Eloge de l'amour, paru en 2009, se serait vendu à 50 000 exemplaires, selon son éditeur. Si les Français interrogés par l'institut CSA boudent de toute évidence la plupart de ses autres ouvrages (une quarantaine depuis 1964), les éditeurs - eux - ne les refusent pas : trois livres de Badiou paraissent cet automne. La conclusion s'impose. Une renommée médiatique ponctuelle n'entraîne pas forcément une fidélité du public. Régis Debray distingue trois moments de la vie intellectuelle française : le cycle universitaire (1880-1930), le cycle éditorial (1920-1960), le cycle médiatique (à partir de 1968). Badiou serait-il un condensé des trois ? Il remplit les amphithéâtres, comble les éditeurs, répond aux invitations des médias avec parcimonie, mais ne recueille pas, loin s'en faut, l'approbation d'une large majorité. C'est ce qu'on appelle un honnête résultat...

(1) Flammarion, 2010. (2) Tous ruinés dans dix ans ?, Fayard. (3) Verdier Poche, 2009. (4) Grasset, septembre 2010. (5) Grasset, avril 2010. (6) Le Point. (7) La Destitution des intellectuels, Yves-Charles Zarka, PUF, septembre 2010. Voir le blog de Philippe Petit, sur Marianne2.fr . (8) Seuil, 2010.


LUC FERRY

La passion du philosophe : apporter de vraies réponses pour une " vie bonne ". Et mettre à la portée de tous les grands textes.

Marianne : Le résultat du sondage vous concernant vous surprend-il ?

Luc Ferry : Mon livre Apprendre à vivre s'est vendu dans le monde à près de 600 000 exemplaires. Il a été lu par des publics très différents. Beaucoup de collègues professeurs, bien sûr, mais aussi des " gens normaux " de tous âges et de tous horizons. Votre sondage reflète à peu près cette réalité. Mais ce qui m'étonne, c'est qu'on me prête un quelconque pouvoir. Je ne suis ni directeur de journal ni éditeur, je n'ai pas de fortune, et j'ai définitivement quitté la politique. Ma seule influence, si j'en ai une, est celle des idées, sans doute parce que ma liberté de parole est totale.

Les quatre intellectuels les plus influents dans la société française sont aussi ceux qui répondent aux interrogations les plus quotidiennes des Français. Surprenant !

L.F. : Je ne sais pas pour les autres, mais mes livres ne portent que sur des sujets métaphysiques, rarement sur la vie quotidienne. La seule question qui m'intéresse vraiment est celle des grandes réponses non religieuses apportées à la question de la vie bonne. Alors oui, en un sens, ça concerne bien sûr l'existence humaine, mais dans sa dimension métaphysique ou spirituelle, pas dans la " quotidienneté " proprement dite...

A quoi attribuez-vous vos succès d'édition ?

L.F. : Ce n'est pas l'essentiel. Il existe des centaines d'ouvrages de vulgarisation. Dieu sait que le genre " manuel " prolifère en France ! Non, ce qui a intéressé les lecteurs dans mes derniers livres, j'en ai des témoignages nombreux, c'est qu'ils ont compris grâce à eux ce qu'était la philosophie. Ils ont vu concrètement qu'elle ne consistait pas seulement à poser des questions, comme le veut la vulgate, mais à donner aussi de vraies réponses aux interrogations sur la vie bonne. C'est cela qui est, en effet, fascinant. Au premier chef pour moi, du reste. Mais ce qui m'a le plus passionné, c'est d'explorer les réponses nouvelles, celles qui correspondent non au passé, mais à notre temps. Et la passion est communicative.

Existe-t-il un secret de fabrication pour faire d'un livre de philosophie un best-seller ?

L.F. : Croyez-moi, si c'était le cas, ça se saurait...

Vous êtes en France le chef de file d'une école dite " néokantienne ". Sa spécificité n'est-elle pas d'avoir participé au désamorçage de la " tentation totalitaire ", et de fournir un modèle pour résister à la séduction des nouvelles radicalités politiques ?

L.F. : Pardon, mais cette étiquette est absurde. Mon dernier livre s'intitule la Révolution de l'amour*, thème dont Kant et les néokantiens n'ont jamais dit un mot. Depuis vingt ans, j'explique qu'il y a deux âges de l'humanisme : le premier, celui des Lumières, de Kant et de Voltaire, est un humanisme des droits et de la raison, un humanisme plus républicain que démocrate. Il est souvent admirable, mais il s'est fort bien accommodé du colonialisme et de l'impérialisme. Il entendait inculquer " la " civilisation aux " peuples primitifs "... Le second humanisme, celui dans lequel je me reconnais, est très différent.

C'est un humanisme de l'amour au moins autant que de la raison, du coeur autant que des droits. Son avènement est lié à un événement majeur en Europe : le passage du mariage arrangé au mariage choisi librement - ce que j'appelle la " révolution de l'amour ". C'est une histoire vraiment cruciale, captivante, dont j'analyse dans ce livre les conséquences presque infinies. Alors oui, j'ai traduit et commenté Kant. Mais notre époque n'est plus la sienne et les néokantiens m'ont toujours fait périr d'ennui. Point n'est besoin d'être kantien pour dénoncer les âneries maoïstes...

Comment percevez-vous votre place dans la cartographie du pouvoir intellectuel ?

L.F. : Je ne suis pas, je n'ai jamais été et je ne serai jamais un " intellectuel " au sens où l'entendent les médias. Sauf exception, je n'ai jamais signé de pétitions et je n'ai jamais cru que la tâche de la pensée consistait à " s'engager ". Je laisse cela à d'autres, qui le font mieux que moi. Je préfère mille fois l'action réelle et le travail de la pensée. Pendant vingt ans, je fus un professeur d'université qui préparait ses étudiants à l'agrégation et dirigeait des thèses. J'ai traduit et commenté les grands philosophes. J'avais conscience qu'il fallait commencer par penser avec et par autrui pour être un jour au niveau, pour parvenir à penser par moi-même.

Ai-je réussi ? Ce n'est pas à moi de le dire...

Propos recueillis par Alexis Lacroix

* La Révolution de l'amour. Pour une spiritualité laïque, Plon, 476 p., 21,90 €.


ÉLISABETH BADINTER
Avec France Culture

Pour celle qui arrive en tête de notre sondage, les intellectuels doivent penser l'universel. Leur mission est d'expliquer le monde où l'on vit et d'anticiper sur celui de demain, voire d'en proposer un autre.

Marianne : Quelle lecture faites-vous de notre sondage ?

Elisabeth Badinter : D'abord, une coïncidence chronologique mérite d'être relevée. Je trouve troublant le fait qu'un sondage sur les intellectuels soit effectué au moment même où, de tous côtés, est dressé l'acte de décès de l'intellectuel traditionnel. Des auteurs aussi différents que Régis Debray et, plus récemment, Yves Charles Zarka (1) et Alain Minc (2) nous assurent que l'intellectuel est entré en phase terminale. Presque une figure caduque de notre paysage.

Qu'en pensez-vous ?

E.B. : Je ne suis pas loin de partager l'avis de ces auteurs. Il est incontestable que la figure canonique de l'intellectuel, somptueusement incarnée hier par Sartre, Aron ou Foucault, est révolue. L'image qu'ils nous ont renvoyée de l'intellectuel supposait l'intervention des " clercs " dans la vie politique, au nom d'un solide corpus philosophique, voire d'un nouveau projet de société.

Y a-t-il, selon vous, des intellectuels qui prolongent cette tradition ?

E.B. : Non, justement, il n'y en a pas beaucoup. S'il est légitime de nous classer comme " intellectuels ", notre situation dans la chaîne des générations n'en fait pas moins de nous des intellectuels d'une autre nature.

Pourquoi ?

E.B. : Beaucoup parmi nous ont laissé de côté le débat politique pour se pencher davantage sur des problèmes de société. L'une des caractéristiques de ma génération, que le sondage met aussi en exergue, c'est d'avoir eu du talent et des idées, sans pour autant être capable d'une conceptualisation novatrice. Aucun d'entre nous ne me paraît même être porteur d'une Weltanschauung - une conception du monde.

Si nous avons souvent réduit notre degré de conceptualisation, c'est parce que nous avons aspiré à être compris du plus grand nombre. Le passage par les médias nous condamne à nous montrer aussi accessibles que possible. Mais d'aucuns nous jugeront simplistes. En ce sens, on pourrait dire que nous avons trahi les exigences des grands anciens. Nous ne sommes plus en 1990 ! A cette date, on trouvait encore, dans le Nouvel Observateur, des dossiers de réflexion d'un haut degré d'abstraction et de conceptualisation qui seraient jugés aujourd'hui trop rébarbatifs.

Par vos prédilections, êtes-vous emblématique de votre génération ?

E.B. : Les sujets qui retiennent mon attention - les femmes, l'intimité, le privé, l'identité - me semblent conformes aux inclinations de mes congénères. Nous sommes conduits à délaisser les débats purement politiques, à intervenir dans le débat public en nous prononçant sur des sujets dont la portée politique n'est pas directement perceptible. Jusque très récemment, hélas, les dictionnaires sur la pensée contemporaine conjuguaient l'" intellectuel " au masculin : réservé aux grands hommes, le vocable ne s'appliquait que rarement aux femmes. Celles qui avaient l'honneur d'y figurer étaient, la plupart du temps, déjà décédées.

Une autre nouveauté que votre sondage met peut-être insuffisamment en lumière, c'est celle de l'intellectuelle au féminin. Pour de nombreux commentateurs, l'étiquette de féministe, qui m'est souvent accolée, ne relève pas de la vie intellectuelle, comme si le militantisme impliqué par le mot " féministe " reléguait au second plan la portée théorique de nos travaux, à la glorieuse exception de Simone de Beauvoir, évidemment.

Votre propre place dans le sondage vous surprend-elle ?

E.B. : Et comment ! Spontanément, je suis tentée de la relativiser, en tenant compte des quatre mois de médiatisation intense qui ont précédé cette enquête d'opinion, à la suite de la publication de mon dernier essai, le Conflit (3). En outre, le résultat qui me concerne me semble provenir aussi du fait que, comme quelques-uns de mes pairs, les sujets que j'aborde par prédilection concernent un large public. Mais justement... J'ai très peu le sentiment d'être reconnue de mes pairs. Et je crains que certains pensent même, à la suite de la publication de votre dossier, que mes sujets de prédilection ne me destinaient pas à cette place - autrement dit, je serais une sorte d'usurpatrice.

Dans le " groupe de tête ", on retrouve Jacques Attali, qui donne des instruments de compréhension de l'économie, ou Luc Ferry, dont l'oeuvre ouvre la compréhension de la philosophie à un large public...

E.B. : Oui, et, justement, leurs succès illustrent une différence capitale entre l'intellectuel, d'une part, et l'expert, de l'autre. Tandis que tel intellectuel, sans circonscrire son rôle à celui d'un vulgarisateur, prend part au débat public pour s'exprimer sur un phénomène de société ou sur un problème politique, l'expert éclaire un débat grâce à sa connaissance pointue d'une spécialité. De nombreux experts, assez peu connus du grand public, fournissent une contribution élevée au débat démocratique et donnent des matériaux essentiels aux " intellectuels médiatiques ". Il existe également des intellectuels dont l'oeuvre, souvent d'une grande force, exerce une influence souterraine sur nos contemporains. C'est, à mon sens, le cas de la philosophe Elisabeth de Fontenay.

Cette brillante intellectuelle, qui manque dans votre sondage, et qu'un public averti connaît très bien, a écrit un livre que je lui envie, Diderot ou le matérialisme enchanté (4). Elle échappe sans doute à une mesure d'influence médiatique ; son impact philosophique, moins quantifiable, mais décisif sur de nombreux intellectuels de son temps - à commencer par Alain Finkielkraut et moi-même - doit être souligné. D'autres grands absents méritent qu'on leur rende justice. Ainsi, la philosophe Blandine Kriegel, qui a remis à l'honneur le concept d'Etat de droit dans la philosophie politique, ou l'historien Marcel Gauchet, dont les travaux d'histoire des idées ont fait date. L'historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco aurait dû aussi y figurer, et bien d'autres.

Grâce aux technologies nouvelles, la voix des intellectuels va-t-elle continuer à porter dans les débats internationaux ?

E.B. : Hélas, non. Mon travail, par exemple, peut intéresser de façon ponctuelle, mais le temps réserve des surprises, et je crains que, d'ici là, nous ayons disparu. Les personnes qui, dans un demi-siècle, paraîtront avoir enrichi la réflexion collective de notre époque et mériter que chacun se souvienne d'elles ne figurent probablement pas sur votre liste.

Quel pessimisme !

E.B. : Non, je suis réaliste. Mes succès médiatiques sont liés à des livres qui ont mis en mots des intuitions à fleur de conscience chez beaucoup de mes contemporains. Mais je ne m'exagère pas non plus l'intérêt que celles-ci éveilleront auprès de la postérité. Si par hasard un étudiant se réfère encore à l'un de mes livres dans trente ou quarante ans, ce sera sans doute davantage pour mes travaux sur le XVIIIe siècle : un obscur article sur Mme Lepaute, une note sur Mme du Châtelet ou une référence à Condorcet, toutes choses qui n'intéressent que quelques spécialistes...

Quelle est la question qui va dominer le débat intellectuel des décennies à venir ?

E.B. : L'une des questions clés sera sans doute celle de l'universel. Le défi du radicalisme islamique va rendre cette question incontournable. Cette " querelle des universaux " me semble d'ailleurs " travailler " les oeuvres de nombreux intellectuels français, dans et hors de la liste établie par votre sondage. La sous-représentation médiatique du courant républicain est d'ailleurs frappante, car le monde des médias penche plutôt vers un différentialisme à l'anglo-saxonne qu'il juge plus démocratique que l'universalisme républicain. Pourtant, la tolérance voltairienne ne suffit pas pour faire échec à l'intolérable. Preuve que la comparaison entre les intellectuels et les journalistes ne tourne pas forcément au désavantage des premiers. Trop souvent, le monde médiatique est aveuglé par sa peur panique d'être out...

Un sillon intellectuel me paraît d'ailleurs indissociable de cet intérêt croissant pour l'universel : c'est l'approfondissement de la question du féminin et du masculin. J'attends avec impatience la nouvelle génération de féministes, en espérant qu'elles sauront se prémunir contre une détestation de la théorie qu'on sent parfois poindre dans leurs écrits.

L'affaiblissement de l'influence des intellectuels français doit-il être analysé en regard de l'aura grandissante de romanciers, tel Michel Houellebecq ?

E.B. : Gardons-nous, sur ce sujet, d'une réponse trop univoque. Il est exact que, par la puissance de leur imagination, certaines oeuvres littéraires exercent une influence très directe sur nos contemporains. De livre en livre, Michel Houellebecq nous décrit un monde qui, pour être caricatural, n'en est pas moins profondément vrai. Mais, si le romancier donne à voir ce que l'on perçoit mal, il ne livre pas les clés. On attend autre chose du grand intellectuel : qu'il explique le monde où l'on vit, mais aussi qu'il anticipe sur celui de demain, voire en propose un autre, tel les Encyclopédistes au XVIIIe siècle, ou Marx au siècle suivant. Aujourd'hui, je ne vois ici personne capable de penser le monde globalisé et, surtout, les moyens de le maîtriser. Ce sera pour demain, l'oeuvre d'un (ou d'une) jeune philosophe de génie, rompu(e) aux nouvelles technologies.

Dans son dernier livre, Alain Minc prend acte du basculement du régime d'influence des intellectuels, de la " graphosphère " à la " vidéosphère ". Voulez-vous devenir une " e-intellectuelle " ?

E.B. : Je comprends son injonction et même son bien-fondé, mais elle n'est pas pour moi... En plus, je se suis nulle en informatique ! Je suis très old fashion, vous savez : mon bonheur, je le trouve dans les archives. Et ma ressource, c'est mon cher XVIIIe siècle !

Propos recueillis par Alexis Lacroix

Note(s) :

(1) La Destitution des intellectuels, PUF.
(2) Une histoire politique des intellectuels, Grasset.
(3) Le Conflit, Flammarion.
(4) Diderot ou le matérialisme enchanté, Grasset.


Du côté des libraires.
Les livres médiatiques passent très vite

ANNA ALTER

Le sondage CSA-" Marianne " correspond-il à ce qu'observent les libraires au quotidien ? Pas tout à fait ... Enquête à Avignon et dans ses environs.

Dans la zone commerciale Avignon nord, la Fnac met en valeur les titres de Jacques Attali, grand chouchou de l'" Agitateur de curiosité ". Tous ruinés dans dix ans ? Dette publique : la dernière chance a droit à un " coup de coeur " au rayon société ; et son nouvel essai, Phares, illumine les têtes de gondole des nouveautés. Avec, à ses côtés, C'est une chose étrange à la fin que le monde, de Jean d'Ormesson, et le Lièvre de Patagonie, de Claude Lanzmann, réédité en poche. " Nos meilleures ventes sont d'Ormesson et Attali, et Elisabeth Badinter en trois ", confirme le vendeur aux cheveux ras, yeux bleus, sourire commercial. " Michel Onfray, avec son livre sur Freud, je le mettrais même très au-dessus en demandes clients. Les médias, ça peut aider, mais ça ne marche pas toujours. BHL, par exemple, est connu, mais, en termes de ventes, il n'est plus significatif. " Et lui, l'a-t-il lu, BHL ? Celui-là ou un autre ? A-t-il seulement feuilleté un livre de nos intellectuels les plus célèbres ? " Très honnêtement non, je suis là pour l'aspect gestion plus que pour le produit... " répond-il, sans complexes.

A une vingtaine de kilomètres, l'Isle-sur-la-Sorgue entrerait-elle davantage dans l'aire d'influence des têtes du sondage ? La ville du poète René Char attire bobos parisiens et amateurs d'antiquités du monde entier. Au 7, place de la Liberté, Jacques Courtieux est un libraire heureux. Chez lui, on ne trouve pas Musso ou Marc Levy, mais Michel Houellebecq, même si l'auteur de la Carte et le territoire n'est pas la tasse de thé du libraire. " Je tiens une librairie d'intellectuels ", sourit Jacques Courtieux. De fait, Le Passeur de L'Isle - le nom de la librairie - n'a pas de tête de gondole. " Ici, c'est un lieu très éclectique, explique Courtieux, où je reçois des gens qui aiment les livres. On ne peut pas le résumer à quelques auteurs incontournables dont la notoriété est proportionnelle au nombre de livres vendus qui, lui, est fonction de leur passage à la télé et, plus généralement, dans les médias. "

Jacques Courtieux s'étonne que le journaliste-écrivain Frédéric Lenoir, qui a " beaucoup d'influence sur la religion " et le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, " l'homme qui fait du bien ", ne figurent pas dans notre palmarès.

Courtieux n'a pas envie de s'appesantir sur les phénomènes de mode et de marketing : " Moi, je suis comme un laboureur dans un champ, je défriche. " sa clientèle est constituée de micropublics très spécialisés qui dévorent tout ce qui est publié sur leur sujet de prédilection, et, à l'occasion, se jettent sur le même livre " mass media ". Mais, ça ne dure pas, une quinzaine de jours maximum et on remballe.

Explication de Courtieux : " Au printemps, le Conflit d'Elisabeth Badinter s'est énormément vendu et, depuis que l'essai sur la mère, la femme et le sein a fait son plein de lecteurs, plus rien.? Le lièvre de Patagonie de Claude Lanzmann était depuis quelque mois dans les choux, mais sa sortie en poche cet automne lui permet de reconquérir sa part de marché. Un homme bien ne fait pas ça, l'essai du généticien Axel Kahn, s'est arraché, par respect pour son éthique, cet été. On ne peut pas prescrire la même posologie à tous. Les grands dirigeants du CAC 40 prendront plutôt un polar pour se détendre ; tel ancien patron de chaîne lit tout qu'il trouve sur le jazz américain. Quant aux livres survendus, nos clients en lisent les bonnes feuilles dans les journaux. Ça leur suffit. "

A chaque époque, ses favoris. Dans les années 70, c'était le trio Françoise Dolto-Marguerite Duras-Milan Kundera. Aujourd'hui, chaque jour, Jacques Courtieux vend " de l'Attali " mais aussi les essais d'Onfray, de Cyrulnik, tous coiffés au poteau par le plus américain des écrivains japonais, Haruki Murakami. " Il n'y a pas un jour où on ne me demande pas un de ces quatre-là. " Un couple pousse la porte de la librairie. L'homme, un exemplaire de Marianne sous le bras, demande à la femme : " Tu veux le dernier Attila. Non, je blague. Attali sert des idées ultralibérales que même Sarkozy a été obligé de mettre de côté... " La femme achète un exemplaire du dernier livre de Paul Virilio, " un cadeau pour un ami ". Elle ne lit pas d'essais. " Dans cette liste je les connais tous, mais je n'ai lu que d'Ormesson et, même si je l'aime bien, on ne peut pas dire qu'il ait influencé ma vision du monde... " confie-t-elle, en rangeant sa monnaie.

A Carpentras, la librairie de l'Horloge ouvre l'après-midi à 14 heures. A 17 heures, Françoise Bascou, la patronne, propose une tasse de thé Mariage Frères à ses lecteurs. " La plupart du temps, ils n'osent pas accepter, mais je bats le rappel, s'amuse la conviviale libraire. La province n'a pas la même perception des intellectuels que la capitale. Nous sommes moins dans l'immédiateté médiatique. Les livres dont on parle dans la presse parisienne ne démarrent pas tout de suite chez nous, il y a toujours un temps de latence, et ce n'est pas plus mal. La distance intellectuelle permet de faire le tri. " Elle se félicite de son lectorat qui ne se contente pas d'une émission de télévision ou d'un seul article. " J'ai un public intelligent, j'ai beaucoup de chance. Moi, BHL, j'en vends très peu, il est trop impliqué dans la vie des people et, du point de vue intellectuel, il souffre d'un déficit d'image ", affirme-t-elle. " Dans l'ordre ", Françoise Bascou cite Attali " parce qu'il produit beaucoup et qu'il est remarquablement intelligent " ; d'Ormesson " parce qu'il n'est pas impliqué dans la vie politique, et que c'est un séducteur de vieilles dames plein d'humour " ; Elisabeth Badinter, " parce que 90 % des lecteurs sont des lectrices, mais elle est déjà dépassée par Belinda Cannone, qui n'est pas Mme Je-sais-tout et fait preuve de beaucoup d'humour dans la Tentation de Pénélope. "

La libraire, qui se revendique provinciale, voue une vraie admiration à Régis Debray. Mais elle aimerait que " ce ne soit pas toujours les mêmes " qui monopolisent les médias. " Il ne faut pas les exclure, mais ne pas leur donner l'exclusivité ", conclut-elle. Son carré de coeur ? Boris Cyrulnik, Michel Serres, Albert Jacquard, Yves Coppens. " Ils nous rendent intelligents et nous donnent la fierté d'être Homo sapiens. "

Plutôt Badiou et Rancière

Place maintenant aux jeunes. Stéphane Tristant, 29 ans, tient La Mémoire du monde, sans lâcher ses convictions. Avec sa femme, ils ont repris voilà deux ans le bail. Dans ce repaire d'intellectuels " bien de gauche " au coeur d'Avignon, il pointe ses ventes : " BHL plus du tout. Luc Ferry non plus, Régis Debray trois fois oui, il a un public très suivi qui achète chacun de ses livres le jour de la sortie, des fans quoi. Michel Onfray a ses aficionados. D'Ormesson très rarement, Attali pareil.? Le médiatique ne plaît pas vraiment chez nous. " Et d'ajouter : " Ce sont les grandes figures de la pensée - Chomsky, Foucault, Deleuze - qui marchent vraiment. Mais, pour nous, Alain Badiou et Jacques Rancière arrivent en premier. "

Le résultat inverse de celui du sondage de Marianne. La mémoire du monde serait-elle un peu courte ?

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