Les prix des matières premières sont repartis vigoureusement à la hausse, derrière l'or en pleine forme qui a battu, mardi 9 novembre, son record de tous les temps, à 1 423 dollars l'once.
A l'exception du cours du gaz naturel américain, que les nouvelles ressources dites " non conventionnelles " rendent abondant, c'est un festival de courbes ascensionnelles, aussi bien pour les prix des produits agricoles (depuis le mois de juin, + 110 % pour le sucre et + 73 % pour le blé européen) que pour les métaux industriels (+ 36 % pour le cuivre) et les métaux précieux (+ 20 % pour l'or).
A la différence des années 2006-2008, ce ne sont plus les investisseurs qui tirent les cours, mais les fondamentaux, car le monde a peur de la pénurie.
C'est patent avec les produits agricoles. " Le point d'inflexion a été la sécheresse et les incendies de l'été autour de la mer Noire et en Russie, explique Lysu Paez-Cortez, économiste matières premières agricoles chez Natixis. Le cours du blé s'est mis à flamber. Le maïs a suivi en raison de la dégradation des semis aux Etats-Unis. Les très belles perspectives du soja en Amérique latine sont assombries par la menace du phénomène météorologique Niña. L'Australie a trop de pluies à l'est et trop de sécheresse à l'ouest. "
Ce sont les inondations au Pakistan et en Chine qui ont sonné l'ascension des prix du coton. Quand la météo fait ainsi vaciller les marchés, c'est que les investisseurs savent que l'équilibre entre l'offre et la demande est précaire.
Ils redoutent que l'offre ne puisse suivre la demande, par exemple parce que la Chine s'est mise à manger plus de viande, ce qui nécessite d'importer toujours plus de céréales et de soja pour nourrir bétail et volailles. Et comme la monnaie dans laquelle sont libellés la plupart des prix des matières premières, le dollar, est orientée à la baisse, ils en profitent pour faire leurs achats à moindre frais. Ce qui fait monter les cours.
Avec les matières premières industrielles, le schéma est un peu différent. Certes, on retrouve l'importance du dollar faible et le poids d'une Chine dont le taux de croissance caracole à plus de 9 % et qui se gave de matières premières pour pouvoir fournir le monde en produits à bas prix.
" La crise avait apaisé la demande, parce que les clients avaient déstocké, déclare Sébastien Lagarde, gérant de fonds chez Axa Investment Managers. Aujourd'hui, tout le monde restocke. " Autre certitude : les matières premières seront de plus en plus coûteuses à exploiter, en raison de la prise de conscience environnementale notamment.
" Jusqu'à la marée noire dans le golfe du Mexique, l'administration américaine était très laxiste en matière d'exploitation pétrolière offshore, explique Sébastien Lagarde. Il est évident qu'elle va mettre en place une législation contraignante. Le débat sur l'épuisement prématuré des nappes phréatiques et des sols chinois participe de la même logique et aura la même conséquence : une hausse des coûts de production. " Les coûts d'extraction du pétrole des bitumes de l'Alberta (Canada) étaient de 25 dollars le baril avant la récession; ils atteignent désormais 75 dollars.
Ce renchérissement est perceptible dans l'augmentation de capital la plus importante de l'histoire de 70 milliards de dollars (50,8 milliards d'euros) lancée par le pétrolier brésilien Petrobras en septembre. En effet, il va lui falloir près de 220 milliards de dollars pour percer la croûte de sel, afin d'exploiter ses beaux gisements de haute mer, à plusieurs milliers de mètres sous la surface de l'océan, sans mettre en péril l'écosystème marin.
" Cette hausse des coûts et des cours a une autre conséquence : la course à l'acquisition d'actifs, ajoute Sébastien Lagarde. BHP Billiton a offert 40 milliards de dollars pour racheter le canadien Potash, dont la potasse est indispensable aux engrais réclamés par les agriculteurs pour faire face à la demande croissante de céréales. De même, ExxonMobil a lancé une OPA - offre publique d'achat - de 40 milliards de dollars sur l'américain XTO, spécialiste du gaz et du pétrole non conventionnels. "
Dans ce contexte d'offre stagnante et de demande à la hausse, la spéculation pèse lourd. Les gestionnaires de fonds ETF (exchange traded funds), qui investissaient sur le marché à terme du pétrole ou de l'or, ont jugé que leurs clients pouvaient être perdants lors des renouvellements de leurs contrats. Ils ont donc décidé d'adosser leurs fonds, devenus ETC (exchange traded commodities), à des biens physiques et non plus à du papier.
Les premières matières premières à prendre le chemin des réserves de ces fonds ont été les métaux précieux (or, platine, argent) qui valent cher pour un faible volume. Désormais, les ETC s'intéressent aux métaux industriels.
Le phénomène n'est plus du tout marginal. " Les ETC détiennent 2 000 tonnes d'or - un peu moins que la production annuelle d'or - , 6,1 millions de tonnes d'aluminium, 50 % des stocks mondiaux de cuivre, 11 % de la demande annuelle d'argent, énumère Franklin Pichard, directeur de Barclays Bourse. Il est évident que cela a une répercussion sur les prix, car leurs achats retirent des volumes du marché. "
Personne ne peut prédire l'évolution des prix des matières premières, car trop de paramètres sont en jeu : la météo, le cours du dollar, la croissance chinoise, les découvertes technologiques, la confiance (ou la défiance) à l'égard des dettes publiques, les taux d'intérêt, etc.
En revanche, le retour de l'inflation, actuellement au plus bas, pourrait se faire par le biais des produits de base et déclencher dans les pays pauvres ce que l'on a appelé, en 2008, des " émeutes de la faim ". Car les boulangers prendront prétexte de la hausse du blé, donc de la farine (4 % de leurs coûts en France), pour vendre le pain plus cher.
Alain Faujas
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