samedi 13 novembre 2010

A Hiroshima, le 11e Sommet des Prix Nobel de la paix se tient sans Liu Xiaobo

Le Monde - International, lundi, 15 novembre 2010, p. 8

Il est rare que, sur le même territoire, à 500 kilomètres de distance, la Chine offre deux visages si différents. A Yokohama, où a débuté le 13 novembre le Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC), auquel participe le président Hu Jintao, c'est la Chine puissante, non sans morgue, qui est présente. A Hiroshima, qui accueille au même moment le 11e Sommet des prix Nobel de la paix, une autre Chine se fait entendre par la voix d'opposants à un système qui opprime ceux qui lui résistent.

Cette Chine-là est représentée par deux figures : le dalaï-lama, chef spirituel en exil de la communauté tibétaine, Prix Nobel de la paix 1989, et Wuer Kaixi, invité à s'exprimer au nom de Liu Xiaobo, lauréat 2010 du même prix, " retenu " pour cause d'emprisonnement. D'origine ouïghour, Wuer Kaixi, qui fut aussi l'un des dirigeants du " printemps de Pékin ", vit à Taïwan. " Je ressens colère et frustration " à l'égard " d'un système violent et irrationnel ", dit-il. " Nous passons pour des "ennemis" de la Chine, or nous demandons un dialogue afin d'entreprendre des réformes. "

" Embarrassantes "

" Liu Xiaobo ne cherche pas à renverser le gouvernement chinois, mais à apporter un peu d'ouverture, souligne, pour sa part, le dalaï-lama. Ce prix est la reconnaissance de la justesse de la cause qu'il défend etun encouragement pour ceux qui luttent avec lui. La réaction violente des dirigeants chinois démontre qu'ils ne sont pas indifférents à cette reconnaissance : cette distinction les place dans une situation inconfortable et les incite à réfléchir. "

Les pressions sur un régime tel que celui de la Chine peuvent avoir un impact à la condition que les démocraties n'oublient pas leurs valeurs, poursuit-il : " Leurs gouvernements doivent cesser de penser uniquement en termes de gains économiques : les valeurs humaines ne doivent pas être sacrifiées au matérialisme. "

" La Chine est plus avancée économiquement que l'Inde, mais celle-ci a des valeurs (Etat de droit, démocratie, liberté d'expression) que la Chine n'a pas, renchérit-il. Le Tibet est un petit pays comparé à la Chine, mais nous avons la force spirituelle. Les armes ont un effet décisif, mais de courte durée : à long terme, la force intérieure et la compassion l'emportent. "

Ce sommet de Hiroshima a été marqué par plusieurs absences : celle des deux lauréats défenseurs des libertés Liu Xiaobo et la Birmane Aung San Suu Kyi, mais aussi du Prix Nobel de la paix 2009 : Barack Obama. " Il devait avoir ses raisons ", dit, laconique, le dalaï-lama.

A Hiroshima, M. Obama aurait été reçu en tant que Prix Nobel de la paix et non en tant que président des Etats-Unis. Mais peut-on distinguer la fonction et l'homme en un lieu aussi symbolique que la première ville martyre du feu atomique ? Ce 11e Sommet était consacré à " L'héritage d'Hiroshima : un monde sans armes nucléaires ", un thème cher au président américain, mais qui aurait dû croiser sur place des personnalités " embarrassantes " tels le dalaï-lama et le dissident chinois.

Philippe Pons

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