lundi 22 novembre 2010

Pékin rompt la trêve avec le Saint-Siège - Arnaud de la Grange

Le Figaro, no. 20624 - Le Figaro, lundi, 22 novembre 2010, p. 6

Pour la première fois depuis 2006, un évêque a été ordonné ce week-end sans l'aval de Rome.

Entre Rome et Pékin, après une longue période de trêve faite de compromis subtils et de tractations secrètes, c'est un casus belli. La Chine a ordonné ce week-end un évêque dans l'Église officielle, et ce malgré les objections du Saint-Siège, qui n'avait pas reconnu le nouveau prélat. Le Vatican a averti qu'une telle initiative nuirait à ses relations avec la Chine.

L'ordination du père Guo Jincai a eu lieu dans la ville de Chengde, dans le nord du pays, sous haute protection policière. Vice-président de l'Association patriotique des catholiques de Chine, l'organisme qui gère l'Église officielle, Liu Bainian a déclaré vendredi que le Vatican avait été averti depuis deux ans de la volonté d'ordonner le père Guo, mais n'avait « jamais répondu ». La veille, Rome avait mis en garde contre une ordination « illégale et nuisible aux relations constructives qui ont été nouées récemment » entre la Chine et le Saint-Siège. Si le père Guo n'a pas reçu le feu vert papal, c'est sans doute parce qu'il a la réputation d'être beaucoup plus proche du Parti communiste chinois que de l'Église universelle, avec notamment des fonctions de vice-secrétaire de l'Association patriotique.

Au-delà de la polémique sur l'ordination elle-même, la manière dont Pékin l'a orchestrée a avivé le feu. Il semble en effet que des évêques reconnus par le Vatican ont été contraints d'assister à l'ordination. Le porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi, a déclaré vendredi que si « ces informations sont vraies », le Saint-Siège « considérera ces actions comme de graves violations de la liberté religieuse et de la liberté de conscience ». Liu Bainian a démenti, assurant que la présence à l'ordination était « facultative ». Selon AsiaNews, une agence de presse catholique, huit évêques reconnus par Rome ont assisté à la cérémonie et trois d'entre eux auraient été « séquestrés » par les autorités quelques jours auparavant, pour les convaincre d'assister à l'ordination.

Altération des relations

La Chine et le Saint-Siège n'ont plus de relations diplomatiques depuis 1951, mais l'on parle de leur rétablissement depuis 1999. Si, au milieu des années 2000, l'atmosphère paraissait favorable au rapprochement, le climat se dégrade depuis. Un modus vivendi trouvé entre les deux parties impliquait que les évêques reçoivent l'aval de Rome avant d'être nommés par le gouvernement chinois. Seuls cinq ou six évêques sur une grosse cinquantaine ne sont pas reconnus par le Vatican. L'ordination de Chengde rompt le pacte pour la première fois depuis 2006. Et Liu Bainian a précisé qu'il fallait encore ordonner une quarantaine d'évêques. Ce regain de tension intervient alors que doit être organisé, peut-être le mois prochain, un congrès national pour désigner un nouveau chef de l'Association patriotique, censée administrer les quelque 12 millions de catholiques chinois.

En matière de répression religieuse, la situation est très contrastée selon les provinces, selon les périodes aussi. D'une manière générale, la tolérance discrète est remise en cause dès que les autorités ont le sentiment qu'il y a une dangereuse concurrence sur le terrain du sacro-saint contrôle social. « Si les moyens classiques de coercition sont toujours employés, explique un prêtre, le pouvoir a désormais recours a des moyens plus subtils pour gagner l'allégeance du clergé souterrain et faire pression sur lui. » En tentant de le séduire ou de le compromettre par toutes sortes de moyens, l'argent en tête.

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