Au sommet européen de Bruxelles, les jeudi 16 et vendredi 17 décembre, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union sont tombés d'accord pour créer un Fonds de secours permanent " qui puisse être activé s'il était indispensable de sauvegarder la stabilité de l'euro dans son ensemble ". Bien qu'il semble que ce soit le cas, ledit Fonds sera créé... le 1er janvier 2013. En attendant, le sommet s'est refusé à augmenter les montants du Fonds européen de stabilité financière (FESF), ou à créer des obligations garanties à l'échelle de l'Union (eurobonds). En revanche, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé qu'elle apporterait 5 milliards d'euros supplémentaires à son capital, pour affronter la " volatilité des marchés ".
Cela sera-t-il suffisant pour régler les problèmes de la zone euro ? Ses membres ne semblent se décider qu'au bord du gouffre, quand la pérennité de la monnaie unique est en question. Loin d'être gouvernée, l'interdépendance n'est reconnue que dans l'urgence. Selon le Fonds monétaire international (FMI), l'équivalent de 1 000 milliards de dollars de dette espagnole était détenu par des investisseurs étrangers à la fin 2009, dont les trois quarts appartiennent à la zone euro.
Mais l'eurozone ne parvient pas, d'une part à donner sa chance à une politique de croissance qui la redynamise et lui donne l'aisance nécessaire pour rendre les réformes supportables, et d'autre part à mutualiser ses difficultés financières, budgétaires et fiscales.
Pourtant, note l'économiste Patrick Artus, " la zone euro est globalement solvable ". L'effort à effectuer pour stabiliser la dette est de réduire son déficit de quatre points de PIB.
Soit un effort " nettement plus faible que celui réalisé dans les années 1990 ", précise M. Artus. " Pour stabiliser leur dette à l'horizon 2015, le Royaume-Uni et les Etats-Unis doivent accomplir un effort budgétaire équivalent à 9 points de leurs PIB respectifs, contre seulement 4 points pour la zone euro ", confirme Anton Brender, directeur des études économiques de Dexia AM.
En décidant de passer dès 2011 à une politique d'austérité - même en Allemagne, où la situation budgétaire est loin d'être préoccupante, l'Europe fait donc clairement un choix politique à l'opposé de celui des Etats-Unis, où vont être renouvelées, en 2011, les mesures budgétaires et monétaires exceptionnelles destinées à soutenir l'activité. Elles devraient permettre d'y maintenir la croissance autour de 3 %.
Dans la zone euro, M. Brender prévoit seulement + 1,6 % en 2011 (après + 1,7 % en 2010) : " Dans une reprise normale, la croissance accélère la deuxième année : on aurait eu 2,5 % de croissance s'il n'y avait pas eu les mesures de restriction budgétaire. L'activité restant sous son potentiel, le taux de chômage devrait rester à peu près à son niveau actuel. " Selon ses calculs, les plans de rigueur budgétaire annoncés par les Etats de la zone euro pour 2011 sont en avance sur l'effort pluriannuel qu'il faudra faire afin de stabiliser les dettes publiques à l'horizon 2015.
La menace d'une déflation
Les Etats-Unis, eux, reportent cet objectif à plus tard, une fois une croissance forte revenue. Cette facilité leur est permise par le statut du dollar comme monnaie de réserve internationale, qui leur donne plus de marge de manoeuvre. Entre le risque de crise du dollar - et donc d'une perte de confiance dans l'économie américaine - et celui d'être embourbés dans la déflation, ils ont choisi le premier.
" Heureusement que la Réserve fédérale américaine (Fed) a fait le choix de la monétisation de la dette publique car, malgré une relance budgétaire et monétaire draconienne, il n'y a pas d'inflation. Sans cette relance, on aurait sans doute une déflation ", explique Marc Touati, directeur de la recherche de la compagnie financière Assya. " C'est quand on aura un peu d'inflation qu'on saura qu'on est sortis de la crise. Les pressions déflationnistes sont ce qu'il y a de pire en économie car on n'atteint jamais l'équilibre : l'offre baisse, la demande baisse, l'emploi baisse... L'inflation est comme le feu, on peut l'éteindre. Quand on a 3 % d'inflation, on augmente les taux d'intérêt, et en six mois c'est réglé ! Mais la déflation est comme l'inondation, on ne peut pas l'arrêter ", poursuit M. Touati.
Cependant, le dogme fondateur de la BCE est la lutte contre l'inflation. Elle adopte une politique de taux d'intérêt plus prudente que celle de la Fed, qui a conduit de 2007 à 2009 à une appréciation de l'euro face au dollar préjudiciable à la plupart des pays membres, sauf l'Allemagne. Elle use à doses homéopathiques du rachat de dettes publiques. " 2010 a certes été une année de baisse de l'euro. Mais l'euro baisse toujours dans la douleur - en conséquence d'une crise - et jamais dans la douceur - pour relancer la croissance et rembourser les intérêts de la dette publique ", regrette M. Touati.
De plus, la zone euro souffre d'un net manque de confiance dans ses acteurs : chacun redoute un accident imprévu, à l'image de la manipulation des déficits grecs ou de la déconfiture des banques irlandaises, qui avaient pourtant réussi, en juillet, les " stress tests " destinés à prouver leur solidité. L'incertitude a ainsi un effet paralysant.
Elle renforce la prudence de certains face aux difficultés des autres - sous l'effet des craintes dans l'opinion publique, en Allemagne par exemple, laissant le champ libre à d'autres acteurs comme la Chine.
" Plus l'ardoise du sauvetage des pays qui sont à sauvegarder est lourde, plus les sauveteurs présumés - Allemagne, Autriche, Finlande, Pays-Bas, France - vont hésiter à jouer la carte de la solidarité et à alourdir encore leurs finances publiques pour sauver celles des maillons faibles. C'est l'image du sauveteur qui se noie en voulant sauver un ami de la noyade ", ajoute Antoine Brunet, président d'AB Marchés. L'effet boule de neige qui augmente le coût de refinancement des Etats en difficulté peine à être inversé. La montée des taux d'intérêt dans les pays fragiles - dont la croissance est déjà handicapée par des mesures de rigueur extrêmement sévères - traduit le risque de restructuration de leur dette et donne un caractère auto-réalisateur à la crise. Si les deux tiers de la zone euro connaissent une reprise économique plus ou moins vigoureuse, la Grèce, l'Irlande, le Portugal et l'Espagne ne peuvent espérer au mieux qu'une stabilisation de leur situation.
Dans ce climat, les défauts de construction de la zone euro ont du mal à être réparés. Les propositions, pourtant, ne manquent pas pour compléter l'unification monétaire par l'esquisse d'une politique financière commune : créer une agence européenne de la dette, émettre des euro-obligations afin de réduire les écarts de taux entre les pays, garantir de façon croisée une partie du stock de dette des autres Etats membres... Ou encore mettre en place une péréquation des recettes fiscales, soit une forme de fédéralisme budgétaire - comme entre les Länder allemands et les Etats des Etats-Unis - qui accélérerait la convergence économique entre les régions plus ou moins favorisées. Il imposerait une harmonisation de la fiscalité mais le chemin reste long à parcourir. L'Irlande a préféré mettre ses citoyens au régime sec plutôt que de toucher à son taux très avantageux d'impôt sur les bénéfices, destiné à attirer les investisseurs. La crise de la zone euro reflète aussi celle, mutuelle, des volontés politiques.
Adrien de Tricornot
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