mercredi 15 décembre 2010

Le Château Lafite, dernière bulle spéculative à la mode en Chine

Le Monde - Economie, mardi, 14 décembre 2010, p. 15

Peut-être est-ce son nom " Lafei " qui sonne à l'oreille des amateurs chinois ou peut-être est-ce parce qu'il fut l'un des premiers grands crus servis à la table des dignitaires du régime. Le Château Lafite est la dernière passion des Chinois fortunés, qui font grimper son prix.

Trois bouteilles datant de 1869 et conservées dans les caves du château se sont arrachées entre acheteurs chinois pour 1,8 million de dollar d'Hongkong chacune, soit 175 000 euros, lors d'une vente aux enchères organisée par Sotheby's le 29 octobre, un record mondial.

" Lafite a atteint le statut de marque icône en Chine, au même titre que Louis Vuitton, les riches peuvent s'y identifier. Servir ce vin en particulier est le signe que l'on estime ses invités ", explique Rufus Beazley, représentant à Shanghaï des négociants Berry Bros & Rudd.

Cette gloire nourrit un cercle vertueux de hausse des prix qui renforce à son tour son prestige, le plaçant devant les bouteilles de Château Latour ou de Mouton Rothschild dans le coeur des riches consommateurs chinois. Le second vin du domaine, le Carruades de Lafite, bénéficie d'un engouement similaire.

" Ils continuent de le boire "

Se saisissant de cette opportunité, Château Lafite, propriété de la famille Rothschild, a investi en 2009 dans des vignobles de la province du Shandong (est du pays), tandis que le sinogramme du chiffre " huit " sera inscrit en rouge sur les bouteilles du bordeaux de l'année 2008, livrées dès 2011. Sa prononciation " ba " s'approche de celle du mot " prospérité ", une attention qui ne manquera pas de séduire les clients superstitieux. Afin de rivaliser, le Mouton Rothschild ornera ses étiquettes d'un dessin de l'animal du même nom, réalisé par l'artiste Xu Lei.

Ces prix record amènent les observateurs à se demander si le grand cru du Médoc n'est pas à son tour l'objet d'une bulle, au même titre que l'immobilier. Après trois ans d'une politique monétaire laxiste destinée à stimuler l'activité économique en temps de crise, les liquidités chinoises se ruent sur tout actif offrant un bon retour sur investissement.

L'incroyable hausse des prix des terrains dans la province dynamique du Zhejiang aurait donné aux investisseurs une " perspective unique sur le Lafite, constate l'économiste Andy Xie, sur le site d'information Caing. Ils pensent que tout actif suivra la trajectoire observée sur le marché immobilier local. Cela les conduit à spéculer et à thésauriser ".

Mais, prévient M. Xei, alors que le gouvernement a entamé un redressement de la politique monétaire, il pourrait être temps pour les riches de Wenzhou de vendre leurs bouteilles de Lafite.

" Il y a peut-être une part de spéculation mais si les Chinois continuent d'acheter du Château Lafite malgré les prix, c'est d'abord parce qu'ils continuent de le boire ", temporise M. Beazley. Au contraire, note-t-il, certains Occidentaux se contenteraient désormais d'investir dans du Lafite dans l'espoir de le revendre à des clients chinois.

Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)

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