lundi 13 décembre 2010

NOUVELLES RÉVÉLATIONS - Affaire Ockrent : l'étau se resserre - Péan et Cohen

Marianne, no. 711 - France, samedi, 11 décembre 2010, p. 50

PHILIPPE COHEN ET PIERRE PÉAN

La journaliste s'indigne dans les médias de l'enquête de "Marianne". De nouveaux éléments renforcent les soupçons quant aux responsabilités de ses proches dans le système d'espionnage interne du groupe Audiovisuel extérieur de la France.

"La chute", titrait Marianne la semaine dernière, à propos du nouveau scandale qui éclabousse le couple Kouchner-Ockrent. La chute ? Quelle chute ? Depuis nos révélations sur le système d'espionnage du groupe Audiovisuel extérieur de la France (AEF), qui chapeaute notamment France 24 et RFI, Christine Ockrent s'est répandue dans les médias (les Echos, le Figaro, RTL...) pour dénoncer ce qui était publié sur son compte et a annoncé le dépôt d'une plainte contre notre journal. Mais quels sont, au juste, ses arguments ?

Christine Ockrent explique d'abord que, en tant que directrice générale déléguée du groupe AEF, elle n'a "nul besoin d'user de piratage informatique pour avoir accès aux documents" (le Figaro du 7 décembre 2010). Sauf qu'il ne s'agit pas d'un simple accès aux documents internes, mais bien d'une "intrusion" et d'un "vol" (mots utilisés dans la plainte contre X déposée par AEF) qui ont permis d'avoir accès à des mails et à des SMS professionnels et privés.

Ensuite, Christine Ockrent a démenti dans les Echos (du 2 décembre) "tout lien avec la salariée incriminée". Elle évoquait ainsi Candice Marchal, salariée de France 24, dans l'ordinateur de laquelle les enquêteurs du cabinet privé Forensic & Legal Services ont trouvé la bagatelle de 2,5 millions de documents - provenant des 12 dirigeants du holding - qui ne lui étaient nullement destinés. Christine Ockrent, donc, n'aurait aucun lien avec Candice Marchal. Cette assertion fait rire tout le personnel de France 24 qui l'a vue arriver à la chaîne, vendredi 3 décembre, pour son entretien préalable au licenciement dans la voiture de fonction attribuée à Christine Ockrent et conduite par le propre chauffeur de celle-ci ! En outre, ceux qui l'ont fréquentée à France 3 confirment que Christine Ockrent a fait toute la carrière de sa protégée. Les invités de son émission d'alors, "France Europe Express", se souviennent également de Candice Marchal. C'est elle qui prenait contact avec eux pour les inviter, puis les conduire jusque dans leur loge. Elle bénéficiait d'un contrat de "technicien supérieur de spécialité" pour un salaire mensuel brut de 1 984 €.

Marianne s'est procuré un autre indice de la proximité entre les deux femmes : la procédure intentée par Candice Marchal contre son employeur précédent, France 3. Motif de la plainte : Candice Marchal a demandé le statut de journaliste et la requalification de son contrat de travail. Dans un premier temps, les prud'hommes retoquent la demande. Candice Marchal fait appel, obtient gain de cause et se voit attribuer près de 50 000 € d'indemnités. Or, Christine Ockrent s'est largement "mouillée" pour elle, produisant une déclaration très favorable indiquant que son assistante effectuait un vrai travail sur les contenus : "Candice Marchal participe avec vivacité à nos conférences de rédaction, apportant des suggestions sur les thèmes à traiter et les personnalités à inviter." Ainsi donc, Christine Ockrent, qui n'a jamais manifesté une grande fraternité dans ses relations de travail, a-t-elle pris le risque d'affronter son employeur pour défendre Candice Marchal. Quelque temps plus tard, Christine Ockrent emmène Candice Marchal dans ses bagages à AEF, avec le statut de coordinatrice spéciale et un salaire nettement revalorisé : près de 4 000 € par mois.

Mais les enquêteurs découvrent, jour après jour, d'autres éléments, plus parlants encore, qui témoignent de l'étroitesse des liens entre les deux femmes. Il y a d'abord le "petit point du vendredi". Dans ces mails réguliers, Candice Marchal informe sa patronne de ce qui se passe au sein de la rédaction de France 24. Par exemple, le 10 septembre 2010, juste après le licenciement de Vincent Giret et le départ d'Albert Ripamonti (respectivement directeur et directeur adjoint de la rédaction), elle décrit "l'ambiance comme moins catastrophique que ce [qu'elle] redoutait". Elle traite aimablement un journaliste de la chaîne de "glandeur qui retourne sa veste à la moindre occasion", moque le physique d'une autre... Avant de cirer les pompes de sa chef, congratulée pour sa prestation devant les "JRI" (journalistes reporters d'images). Telle est la face cachée de son job : rapporter à Christine Ockrent tout ce qui se passe à la rédaction quand elle a le dos tourné. Candice Marchal envoyait ses comptes rendus sur un domaine - christine@ockrent.com - inconnu des autres dirigeants de la chaîne et hébergé en douce par AEF. Enfin, et ce dernier point n'atténue pas, au contraire, les soupçons des enquêteurs sur le ou la commanditaire du piratage : de la même façon que le prestataire de services informatiques d'AEF Thibault de Robert de Lafregeyre avait pris soin d'écraser les données de ses ordinateurs et de son téléphone, toute trace du domaine christine@ockrent.com a disparu dans l'entreprise.

Le 24 novembre 2009, Thibault de Robert, l'ex-infogérant, échange avec Candice Marchal des courriels alarmistes - que Marianne a pu consulter. Tous deux s'inquiètent des "doutes" de certains dirigeants d'AEF sur leurs relations - leurs agissements ? - et évoquent la nécessité de changer les mots de passe du système d'information interne. Manifestement, Christine Ockrent semble connaître et utiliser le système puisque Thibault de Robert se plaint de ses carences techniques : "CHO [Christine Ockrent] n'y comprend rien, comme d'hab." L'intitulé du mail est lui aussi parlant: "Politique de sécurité mot de passe messagerie".

Visiblement, Christine Ockrent ne s'occupe pas de l'intendance, mais il semble difficile de croire qu'elle n'est pas au courant. En attendant, elle a demandé à un ami du couple, Jacques Séguéla (Euro RSCG), d'assurer sa communication. Quant à sa protection, elle est "royale". En 2008, lorsqu'il a pris les rênes du groupe AEF, Alain de Pouzilhac avait dû s'engager, sur la demande de l'Elysée, à recruter Christine Ockrent comme chroniqueuse de luxe (120 000 € par an pour un papier hebdomadaire de trois minutes, en français et en anglais). Cette fois, non seulement le président l'a emmenée en Inde, mais il l'a embarquée avec Carla Bruni lors de la partie très privée de son voyage, où aucun ministre n'était convié. Un gage de reconnaissance, dont Christine Ockrent se prévaut dans le Figaro : "Le simple fait que je fasse partie de ce voyage témoigne de la reconnaissance au plus haut niveau des efforts des équipes de France 24." Ce privilège courtisan lui assure-t-il pour autant l'impunité ?


KOUCHNER VEUT REFAIRE BINGO AVEC BONGO

On se souvient qu'à partir de 2004 (Marianne du 17 janvier 2009), Bernard Kouchner sillonnait l'Afrique avec une double casquette. La première était publique : il présidait le groupement d'intérêt public Esther, un outil d'intervention de la France en matière de santé. A ce titre, il décidait de la distribution de subventions publiques. La seconde était privée : il avait monté une petite société, BK Consultants, laquelle travaillait pour Imeda, une société vendant ses services aux présidents et aux ministres de la Santé africains. Bernard Kouchner proposait ainsi à Omar Bongo, pour une somme de plus de 2,5 millions d'euros, ses suggestions pour "sauver" le système de santé gabonais. Devenu ministre des Affaires étrangères, Kouchner déploiera ensuite une belle énergie pour obtenir du Gabon le paiement du reliquat de 817 000 € de ces contrats.

Aujourd'hui, Bernard Kouchner n'est plus ministre, mais il avait pris soin, depuis quelques mois, de préparer son avenir. Sachant l'imminence de son départ, Kouchner a ainsi profité de l'Assemblée générale de l'ONU, du 20 au 27 septembre dernier, pour rencontrer Ali Bongo, le nouveau président du Gabon, fils du précédent. Il lui aurait exprimé son souhait de continuer sa grande "oeuvre" de conseiller pour assurer le suivi de la réforme du système d'assurance maladie. Il est vrai que la vie d'un jeune retraité n'est pas facile. Bongo n'en serait pas encore revenu !

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