Marianne, no. 711 - Événement, samedi, 4 décembre 2010, p. 18
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Christine Ockrent a-t-elle toléré ou organisé un système d'espionnage interne au sein du holding de l'Audiovisuel extérieur de France (AEF) ? "Marianne" publie les documents mettant en cause la compagne de Bernard Kouchner. Lequel tente de la protéger jusqu'au bout, malgré les casseroles du couple et le naufrage de la chaîne France 24, qu'elle dirige. Enquête.
Christine Ockrent n'a jamais eu la réputation d'être une patronne à la coule. Mais personne n'imaginait que cette femme irait jusqu'à organiser un système illégal d'espionnage visant à faire remonter jusqu'à elle tout ce qui se dit et s'écrit au sein du groupe France 24, l'entreprise audiovisuelle qu'elle codirige avec Alain de Pouzilhac depuis février 2008.
Mardi 30 novembre, on apprenait grâce au site de l'hebdomadaire le Point l'existence d'une plainte au pénal déposée par France 24 le 7 octobre dernier, pour "intrusion et vol de données dans un système automatisé informatique", celui du holding du groupe Audiovisuel extérieur de la France (AEF) qui préside aux destinées de France 24, RFI et d'une partie de TV5 Monde. Marianne est aujourd'hui en mesure de le dire : non seulement cette plainte contre X à propos du système de piratage informatique interne est tout à fait sérieuse, mais l'enquête remonte directement à des personnes très proches de la compagne de Bernard Kouchner.
Tout commence le 5 octobre. Ce jour-là, Alain de Pouzilhac, le président d'AEF, découvre avec stupéfaction dans le Canard enchaîné un article intitulé : "L'audiovisuel extérieur va mal de l'intérieur". Il y est fait état, notamment, d'un courriel daté du 2 septembre de Thierry Delphin, directeur financier d'AEF, dans lequel celui-ci pronostique une "impasse budgétaire significative". En clair, que les comptes du groupe sont dans le rouge ! Alain de Pouzilhac n'en revient pas. Ces informations confidentielles ne sont jamais sorties de l'entreprise. Qui a livré des données aussi précises au Canard ? Il réunit immédiatement son staff, à commencer par Bruno Tezenas du Montcel, directeur des technologies et des systèmes d'information, et Véronique Katlama-Rouzet, directrice des affaires juridiques du groupe. Une enquête interne est aussitôt déclenchée. Et ça ne traîne pas : en quelques heures, le patron du système d'information découvre avec effroi l'existence d'un dispositif de piratage industriel qui permet de prendre connaissance immédiatement de tous les SMS ou e-mails envoyés ou reçus par n'importe lequel des 12 cadres dirigeants du holding du groupe AEF.
L'enquête permet, en outre, d'identifier un disque informatique intitulé "tderobert", autorisant le commanditaire du système, moyennant un login et un mot de passe, à aspirer tous les messages, informations et rapports confidentiels transitant sur les serveurs d'AEF, et donc entre les 12 ordinateurs des dirigeants du groupe. Pourquoi "tderobert" ? Le nom de ce disque virtuel désigne, pour son malheur, Thibault de Robert de Lafregeyre. L'homme n'est pas directement employé par le groupe AEF, il est l'un de ses prestataires de services tout en étant employé par le groupe Lagardère Active. Et il est déjà intervenu pour la société BK Consultant, dirigée par Bernard Kouchner.
Alain de Pouzilhac n'a pas oublié dans quelles circonstances l'entreprise a fait appel aux services de Thibault de Robert de Lafregeyre. C'est Christine Ockrent elle-même qui, en juillet 2008, avait demandé le limogeage de l'ancien "infogérant" - chargé notamment de la confidentialité du système - et recommandé cet informaticien. Pour Pouzilhac, tout s'éclaire : cette recrue semble avoir été bien davantage au service de la directrice générale que d'AEF. C'est le dernier épisode gravissime, au fond, d'une incroyable guerre entre ces deux dirigeants qui a explosé l'été dernier et qui s'est déjà traduite, en juillet, par la rétrogradation de Christine Ockrent à la fonction de directrice déléguée et par le limogeage, le 10 septembre, du directeur de la rédaction de France 24 Vincent Giret, qu'elle avait elle-même embauché.
Le président d'AEF savait que Christine Ockrent n'était pas un ange. Mais il était loin de se douter que la guerre de positions qu'elle avait entamée contre lui pourrait aller jusque-là. En tout état de cause, il décide d'agir. Vite. Véronique Katlama-Rouzet prend alors contact avec l'"infogérant" Thibault de Robert de Lafregeyre et lui intime l'ordre de rendre le matériel informatique. Elle en profite évidemment pour lui signifier la fin de son contrat. Un autre prestataire, Marc Ducoudray, est aussitôt sollicité pour le remplacer. Lui n'a jamais oeuvré à BK Consultant.
Mais Thibault de Robert de Lafregeyre ne semble guère pressé de restituer ses ordinateurs et son téléphone mobile. En outre, son successeur constate, dès sa prise de fonctions, qu'on est en train de "démonter" le système de piratage en détruisant les "boucles" permettant de transférer toutes les informations détournées des ordinateurs. En clair, on cherche à effacer les preuves du système d'espionnage. Alain de Pouzilhac demande alors à sa directrice des affaires juridiques de porter plainte pour "intrusion dans un système automatisé informatique et vol de données". Thibault de Robert de Lafregeyre mettra plus d'un mois à déposer le matériel d'AEF.
Disques écrasés
La police, peut-être intimidée par le pedigree des protagonistes, semble aussi peu zélée que Thibault de Robert de Lafregeyre n'est pressé de rendre le matériel. Alain de Pouzilhac (PHOTO) frappe donc un grand coup. Il sollicite Marc Daniel, directeur général du cabinet Forensic & Legal Services, expert de justice près la cour d'appel de Paris, pour mener une enquête privée sur l'origine et les destinataires de ces fuites. Ces experts réputés commencent leur enquête le 19 novembre. On leur remet les trois disques durs (deux ordinateurs et un téléphone mobile) que l'"infogérant" a finalement restitués au groupe AEF. Les soupçons de Pouzilhac sont confortés : les données des trois machines ont été écrasées avec un logiciel spécial. "Le téléchargement et l'utilisation d'un programme d'écrasement démontrent la volonté de détruire définitivement des données", écrivent les experts dans leur rapport remis le 23 novembre au patron d'AEF. Ils remarquent aussi qu'un des disques durs a été utilisé pour la dernière fois le 2 septembre, "date d'interception du message de Thierry Delphin", dont fait état le Canard enchaîné.
Mais la proximité de Thibault de Robert de Lafregeyre avec Bernard Kouchner, dont il a été le spécialiste informatique, n'est pas le seul élément qui permet de "remonter" à Christine Ockrent. Lors de leurs investigations, les experts visitent l'ordinateur de Candice Marchal, une collaboratrice de longue date de Christine Ockrent. Celle-ci tenait la "Cyberrubrique de Callixte", dans l'émission "Duel sur la Trois" que la reine Christine avait lancée en septembre 2007. Christine Ockrent l'a fait entrer à France 24 et lui a confié les "opérations spéciales". Avant d'être remerciée, Candice Marchal s'occupait tout particulièrement des relations de Christine Ockrent avec Publicis, avec le Women's Forum For The Economy & Society... Une responsabilité qui concerne sans doute tous ces "ménages" hautement rémunérateurs qui ont construit l'impopularité de Christine Ockrent sur Internet, où circule le tarif himalayen de ses émoluments (18 000 € la demi-journée, "assistant à prévoir en sus"), révélé par Guy Birenbaum dans son livre "Nos délits d'initiés : Mes soupçons de citoyen" (Stock, 2003).
En fait d'opérations spéciales, les enquêteurs découvrent sur le disque dur de l'ordinateur de Candice Marchal plus de 2,5 millions de fichiers ! Ainsi que la copie de l'arborescence de cinq serveurs d'AEF qui ne devraient pas y figurer. Autrement dit, Candice Marchal est la tour de guet du système, comme le pointe le rapport des experts : "Le contenu complet des serveurs est présent sur ce disque dur. De nombreux fichiers appartenant à divers utilisateurs sont découverts, alors que l'utilisateur de disque dur n'est pas censé avoir accès à ces fichiers." Concrètement, les rapporteurs notent ainsi que Candice Marchal avait pris possession d'une étude confidentielle de Frank Melloul, numéro trois du groupe, directeur de la stratégie, du développement et des affaires publiques, et collaborateur le plus proche de Pouzilhac, datée du 2 mars 2009 et destinée au seul président de la chaîne, analysant les programmes de France 24 et leurs faiblesses. Un rapport qui s'achevait ainsi : "La politique française n'est pas assez présente à l'antenne. Nos téléspectateurs nous reprochent de ne pas assez mettre en avant ce qui se passe en France. Notre chaîne apparaît ainsi comme incomplète." Candice Marchal avait donc accès à toutes les données des cinq serveurs d'AEF : non seulement les échanges de courriels et les pièces jointes, mais aussi les textos privés ou professionnels des BlackBerry reliés aux serveurs.
Pis : les informaticiens ont mis la main sur les preuves évidentes de la proximité de Christine Ockrent et de Candice Marchal, en l'occurence plusieurs mails qui leur donnent à penser que Christine Ockrent ne pouvait ignorer le système d'espionnage. Jean Lesieur, directeur de la rédaction de France 24, fondateur de la chaîne, et qui a déjà travaillé avec elle à l'Express, déclare à Marianne : "On ne peut que se poser des questions sur une affaire qui implique deux personnes, l'une que Christine Ockrent considère elle-même comme un "vieux copain", et l'autre, qui, à l'évidence, est très proche d'elle." Un autre membre de la direction du groupe AEF ajoute : "Elle est vraiment très forte pour exploiter par l'absurde cette affaire d'espionnage et se donner un rôle de victime impuissante."
Dernière faveur de l'Elysée ?
La conclusion générale des deux rapports d'experts sur les activités de Thibault de Robert de Lafregeyre et de Candice Marchal est accablante : "L'accès à l'ensemble des documents présents sur les serveurs n'a pu être obtenu que par piratage des mots de passe ou avec la complicité d'un administrateur réseau." L'écrasement des données dans le matériel de Thibault de Robert de Lafregeyre et les premières analyses du disque dur de l'ordinateur de Candice Marchal ont permis de conclure qu'une véritable centrale d'espionnage avait été montée. Les investigations des enquêteurs ont même permis d'apprendre que l'amie de Christine Ockrent lui rapportait régulièrement, dans des e-mails, un certain nombre d'événements de la vie quotidienne de la rédaction. Bref, le système de remontée de l'information visait à lui donner toutes les informations utiles pour contrôler le groupe, dont beaucoup de journalistes qui ne lui étaient pas toujours favorables - c'est un euphémisme. Candice Marchal a été mise à pied le 26 novembre. Elle était convoquée pour un entretien préalable au licenciement le 3 décembre. Quant aux deux rapports édifiants du cabinet Forensic, ils ont été remis à la police mardi 30 novembre. Nul doute qu'ils devraient contribuer à faire progresser l'enquête judiciaire et la manifestation de la vérité, comme on dit dans les prétoires.
Samedi 4 décembre, la reine Christine devait voyager en direction de New Delhi, en compagnie du président de la République dans son nouveau joujou, "Air Sarko One". Un voyage en forme de cadeau d'adieu pour son compagnon, Bernard Kouchner, viré du gouvernement lors du dernier remaniement. Dès qu'il a appris sa disgrâce à venir, Bernard Kouchner n'a eu de cesse de harceler le chef de l'Etat pour décrocher un rendez-vous. Après avoir joué au chat et à la souris avec son ex-ministre d'ouverture préféré - au point d'amuser tout l'entourage présidentiel -, Nicolas Sarkozy a fini par le recevoir en tête à tête durant le fameux week-end du remaniement. Là, le ministre "démissionné" n'a rien demandé, sinon une dernière faveur pour sa compagne : la pérennité de son job menacé à la direction générale du groupe AEF. Moyennant quoi le président pouvait compter sur son départ discret du gouvernement.
Le voyage en Inde, auquel Christine Ockrent est invitée, apparaît donc comme un signe positif adressé par le monarque à son sujet. Encore une fois, comme dans l'affaire de BK Consultant, le président ignore l'arrière-fond véritable de cette ultime faveur. Nicolas Sarkozy voyage non seulement avec la compagne de Bernard, la journaliste qui a coécrit le livre "Dans le secret des princes" avec Alexandre de Marenches, l'ancien chef des services secrets français, mais aussi avec celle qui apparaît comme une Mata Hari du management qui a peut-être - l'enquête le dira - pris le groupe audiovisuel AEF pour une "piscine" privée.
CE QUE DIT CHRISTINE OCKRENT
Christine Ockrent n'a pas souhaité répondre à nos questions sur l'affaire. Elle a précisé au quotidien Les Echos : "Je ne suis pour rien dans cette affaire. [...] Je souscris entièrement, et depuis le début, à la plainte déposée par l'AEF et j'attends les résultats de l'enquête de la brigade financière. Si cette personne a mal agi, je le déplore."
France 24 : de la francophonie à la cacophonie
Pierre Péan et Philippe Cohen
Sur le papier, Pouzilhac et Ockrent étaient complémentaires. Mais la directrice ne supportait plus son président.
La découverte d'un véritable système d'espionnage interne à France 24 surgit dans un contexte très particulier : celui d'une guerre ouverte entre Alain de Pouzilhac, désigné par Nicolas Sarkozy pour prendre la présidence du groupe Audiovisuel extérieur de la France (AEF), et Christine Ockrent, que le chef de l'Etat lui a imposée dès l'origine, en février 2008. L'idée de l'Elysée n'était pas idiote. Il s'agissait d'unifier la parole de la France dans le monde en regroupant plus de 2 000 salariés au sein des trois sociétés oeuvrant dans ce secteur : France 24, créée en 2006 à l'initiative de Jacques Chirac, TV5 Monde et RFI. Christine Ockrent est une femme de télévision ; Pouzilhac, un manager de la communication qui a présidé aux destinées du groupe Havas entre 1985 et 2005, jusqu'à son limogeage au moment du rachat par le groupe Bolloré. Sur le papier, donc, le tandem était plutôt complémentaire.
Arrogance
Dans les faits, leurs relations vont rapidement se détériorer, au point de transformer la "chaîne de la francophonie" en "chaîne de la cacophonie", selon l'expression des chroniqueurs de Libération Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts. Grèves, licenciements mal fagotés, limogeage de cinq directeurs, humiliations, incidents à l'occasion d'interventions de son compagnon de ministre... En quelques mois, Christine Ockrent a réussi à se mettre à dos toute la rédaction. Interrogée, le 10 juin 2009, sur son bilan par une commission sénatoriale, Christine Ockrent provoque, par son arrogance, le départ tonitruant de Marie-Christine Blandin, sénatrice Europe Ecologie, qui déclare aux journalistes à la sortie : "Mme Ockrent nous a houspillés comme si elle s'adressait à une assemblée de grévistes récalcitrants !" Le mois dernier, c'est le ministre de la Culture en personne, Frédéric Mitterrand, qui, tout en déplorant que le couple Pouzilhac-Ockrent soit "au bord du divorce", déflorait le bilan calamiteux de la chaîne : - 38 % de recettes publicitaires, soit 1,3 million d'euros, alors que la direction en attendait 6,5 millions.
Cette dérive financière de France 24, dont Alain de Pouzilhac attribue l'entière responsabilité à la compagne de Bernard Kouchner, n'a guère réchauffé l'atmosphère au sein du staff de la chaîne. A la rentrée dernière, la bataille des chefs a encore gagné en violence. Vincent Giret, directeur de la rédaction nommé par Ockrent, est viré le 10 septembre dernier. Le lendemain, Alain de Pouzilhac propose le poste à Jean Lesieur, un ancien de la rédaction. Lors du déjeuner entre les deux hommes, le lundi 13 septembre, le dialogue est direct. "J'accepte le poste à condition de ne pas travailler avec Christine Ockrent", lui dit en substance Lesieur, qui l'a bien connue pour avoir été un temps son adjoint à la tête de l'hebdomadaire l'Express. Pouzilhac promet que la question sera réglée dès le lendemain, lors de deux rendez-vous à Matignon et à l'Elysée, notamment avec le secrétaire général Claude Guéant. Le PDG lui annonce même que, au cas, bien improbable, où il serait désavoué, il donnera sa démission et filera aussitôt sur son bateau. Las. Pouzilhac s'est un peu trop avancé : le Château ne veut pas de clash et il n'obtient pas le feu vert du président pour virer l'intouchable reine Christine.
Manoeuvre désespérée
Le mercredi 24 novembre se tient un conseil d'administration de France 24. Après des échanges parfois vifs entre Alain de Pouzilhac, Jean Lesieur et Christine Ockrent, la question du piratage des données informatiques d'AEF est abordée dans les "questions diverses". Le PDG annonce que l'enquête avance bien et que les résultats seront bientôt connus. En réalité, depuis cet été, Christine Ockrent mène une contre-offensive désespérée pour conserver son poste, expliquant dans les allées (et les dîners) du pouvoir qu'Alain de Pouzilhac est un personnage maléfique qui veut détruire la voix de la France. A l'Elysée et à Matignon, on estime que la guerre entre les deux dirigeants, nuisible pour l'image de la France, n'a que trop duré. Le 26 novembre, Claude Guéant programme une réunion de réconciliation entre les deux protagonistes qui est annulée au dernier moment. Mardi 30 novembre, Christine Ockrent profite de l'absence d'Alain de Pouzilhac, en voyage à Moscou, pour convoquer par mail un comité exécutif d'AEF le matin même. Personne n'est venu : elle était seule autour de la table ! Furieuse, elle a même engueulé plusieurs membres du conseil.
Kouchner : Péan parle, et quitte le plateau d'@si
envoyé par asi. - L'actualité du moment en vidéo.
Les casseroles d'un couple de vedettes
De conflits d'intérêts en pratiques peu déontologiques, florilège des méthodes de ceux que Sarkozy surnomme "les Thénardier"... Le couple Bernard Kouchner-Christine Ockrent est sans équivalent dans le monde des médias, où le conflit d'intérêts et la consanguinité ne sont pourtant pas absents. Imagine-t-on le mari de Condoleeza Rice à la tête de Voice of America ? La formule, parfois utilisée à propos de la nomination de Christine Ockrent à la tête d'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), est à mettre en relation avec l'éloge du journalisme à l'anglo-saxonne, qu'elle défend avec d'autant plus de ferveur et de crédibilité qu'elle a travaillé, durant ses années d'apprentissage, dans des télévisions américaines comme NBC News et CBS. Hélas, dans la pratique, son magistère à France 24 a été marqué par un mépris total des principes les plus élémentaires de la profession de journaliste. Pourtant, lors de sa nomination, Bernard Kouchner, alors au Quai d'Orsay et donc ministre de tutelle de France 24, avait déclaré sur France Inter : "S'il y avait un conflit d'intérêts, je serais le premier à le reconnaître. Je ne me mêlerai pas du tout d'audiovisuel extérieur, j'en fais le serment !" Une promesse qui n'engageait que ceux qui voulaient bien y croire, selon la formule célèbre de Charles Pasqua. Quelques mois seulement après la nomination de Christine Ockrent, le journaliste Ulysse Gosset est débarqué de la chaîne, après la diffusion d'un portrait, le 18 juillet 2008, dans l'émission "Le Talk de Paris", qui avait agacé le ministre des Affaires étrangères. Lequel, après avoir pété les plombs sur le plateau ("C'est n'importe quoi !" "Inacceptable !"), s'était plaint auprès de la chaîne ("Passez-moi la directrice !") pour ce manque de respect et avait obtenu des excuses. Avant même l'infortuné Ulysse Gosset, un rédacteur en chef, Bertrand Coq, avait été lui aussi mis à pied. Son erreur professionnelle ? Avoir publié, quelques années plus tôt, un livre à charge contre Bernard Kouchner ! Evidemment, lorsque, en janvier 2009, Pierre Péan publie son livre-enquête sur Bernard Kouchner, le Monde selon K. (Fayard), aucune chaîne du groupe AEF ne relaye ce scoop, publié en bonnes feuilles dans Marianne et repris par de nombreux médias français et étrangers. Rappelons ce qui, à l'époque, avait fait scandale : pendant qu'il animait une institution internationale chargée de distribuer des subsides aux Etats, notamment africains, Bernard Kouchner était en même temps un onéreux consultant ( Même si le président de la République a choisi de ne pas se séparer de son ministre après la parution du livre de Pierre Péan, son parcours au Quai d'Orsay s'est révélé calamiteux. Non seulement l'Elysée avait préempté tous les dossiers lourds de la politique étrangère (Europe, G 20, Afrique, Moyen-Orient), mais jamais, de mémoire de diplomate, la cote d'un ministre des Affaires étrangères n'avait été aussi basse parmi les diplomates. Dans son livre les Diplomates. Derrière la façade des ambassades de France (Nouveau Monde Editions, 2010), Franck Renaud raconte comment, à l'inverse de ses prédécesseurs, le ministre des Affaires étrangères a aidé Bercy à sabrer dans le budget du ministère, notamment sur le front de la culture. Ce qui lui valut une volée de bois vert de la part de l'académicien Jean-Christophe Rufin - qu'il avait lui-même nommé ambassadeur au Sénégal -, puis de deux anciens ministres des Affaires étrangères, Alain Juppé et Hubert Védrine. D'échec en échec Dans ce monde médiatique, où l'on trempe si volontiers sa plume dans le cirage, Christine Ockrent a toujours été louée pour ses "qualités professionnelles". Son parcours de manager de presse, il est vrai, parle pour elle. Echec à la direction de l'Express entre 1994 et 1996. Echec du journal l'Européen, pourtant lancé avec de gros moyens, avec le groupe Le Monde en 1998. Echec du magazine politique du dimanche soir qu'elle animait sur France 3 depuis 1985, reculé à une heure toujours plus tardive par les dirigeants de la chaîne en raison de ses audiences minuscules. Loin de se remettre en question, la reine Christine voyait dans ces piètres performances la preuve de la dépolitisation du peuple. Le journaliste Renaud Revel, qui l'a bien connue à l'Express, rappelait voici quelques semaines qu'elle y avait "explosé en vol, en se mettant à dos, à une vitesse fulgurante, des journalistes qui n'acceptaient plus ses propos à l'emporte-pièce, son style caporaliste et les humiliations quotidiennes. A chaque fois, qu'il s'agisse de France 3, de France 2 ou de l'Express, ses différentes fonctions se sont toutes soldées par des conflits cathartiques qui l'ont conduite soit à la démission, soit à un départ forcé". De fait, chez AEF, son comportement a d'emblée été marqué par l'autoritarisme. Elle démarre son magistère par un plan social de 206 personnes à RFI (sur 1 400 salariés), ce qui donne l'occasion aux syndicats de dévoiler le salaire qu'elle a négocié : 310 000 € par an auxquels s'ajoutent 70 000 € de bonus. Plus que le salaire d'Obama, dénoncent les syndicalistes maison. En outre, la guerre des chefs qui sévit au sein de France 24 depuis l'arrivée de Christine Ockrent a littéralement paralysé la rédaction. Au beau milieu de ce que certains journalistes de la chaîne appellent "un climat de Saint-Barthélemy", Christine Ockrent a frôlé la motion de défiance en septembre dernier. Si l'affaire du système d'espionnage l'oblige à quitter AEF, il n'est pas sûr que, cette fois-ci, elle puisse rebondir ailleurs. © 2010 Marianne. Tous droits réservés.
Zemmour/Domenach : Dr Kouchner & Mr K
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