jeudi 16 décembre 2010

Pékin fait toujours ce qui lui plaît - Xu Zhiyuan


Courrier international, no. 1050 - Asie, jeudi, 16 décembre 2010, p. 40

Yazhou Zhoukan
(Hong Kong)

Il y a deux ans et demi, un chroniqueur britannique a comparé le Pékin de 2008 au Berlin de 1936. Dans les deux cas, l'horreur du pouvoir était masquée par le faste d'une grande fête sportive. La comparaison avait toutefois paru infondée à beaucoup, car Pékin n'avait pas l'ambition de créer un nouvel ordre mondial et le pays ne connaissait rien de comparable à la question juive. Le voyageur de passage pouvait facilement être touché par l'impression de splendeur et d'ouverture dégagée par la Chine, et la comparaison avec l'Allemagne pouvait lui paraître outrancière. On pouvait estimer que l'expression "pouvoir totalitaire" était dépassée, pleine de relents de guerre froide, et qu'elle ne pouvait plus s'appliquer à cette Chine qui avait si vite embrassé le capitalisme mondial.

Aujourd'hui, force est de reconnaître que cette comparaison n'est pas complètement absurde. Liu Xiaobo est le premier lauréat du prix Nobel de la paix depuis 1936 que l'on a empêché, ainsi que sa famille, de venir recevoir sa distinction. La dernière fois que cela s'est produit, c'était pour Carl von Ossietzky, que l'Allemagne nazie avait autorisé à se rendre en Norvège, mais sans lui délivrer de passeport. Ce journaliste pacifiste était mort à Berlin deux ans après. Comparée à la brochette de dictatures de la seconde moitié du siècle dernier, la Chine d'aujourd'hui semble encore moins tolérante. En 1975, Andreï Sakharov n'avait pu quitter l'Union soviétique pour aller recevoir son prix lui-même, mais sa femme avait été autorisée à le faire. En Pologne, la junte au pouvoir avait tout de même permis à l'épouse de Lech Walesa de recevoir le prix Nobel, en 1983, à la place de son mari. En 1991, c'est le fils d'Aung San Suu Kyi qui avait prononcé un discours et reçu le prix à la place de sa mère.

L'arrogance d'une dictature

Alors que, ces dernières années, Pékin n'a pas cessé de vanter "l'émergence pacifique" de la Chine, elle n'a actuellement pas de mots assez durs pour dénoncer ce prix Nobel de la paix, pourtant d'une importance extrême à l'échelle mondiale. Encore un bel exemple d'incohérence ! Après que les termes "démocratie", "droits de l'homme" et "liberté" ont été épinglés comme des notions "occidentales", c'est au tour de la "paix" de ne pas être épargnée. Les commentaires officiels présentent le prix Nobel de la paix comme un complot perfide des forces occidentales antichinoises visant à endiguer l'essor de la Chine. Les tentatives d'intimidation ne sont pas restées verbales : Pékin a exercé ouvertement des pressions sur le gouvernement norvégien. Si l'on ajoute à cela les frictions croissantes de la Chine avec les pays voisins et sa montée en puissance au cours de l'année écoulée, une conclusion s'impose : la Chine est un Etat qui exerce une pression dictatoriale sur le plan intérieur et qui se montre très agressif sur le plan extérieur.

Le pouvoir du Parti communiste chinois allait s'assouplir avec le développement économique ; la Chine allait devenir un "grand pays responsable" avec son intégration au processus mondial. Toutes ces belles idées soutenues par certains depuis une vingtaine d'années sont restées lettre morte. Tant que la structure du pouvoir actuel n'aura pas changé, tout nouvel enrichissement ou progrès technologique ne fera que renforcer la logique intrinsèque du régime. Tel un babouin perché au sommet d'un arbre qui montre son rutilant postérieur, la Chine, qui souhaite accéder au statut de nouveau leader mondial, affiche également son vrai visage dans une escalade verbale dans les médias.

Cela ne veut pas dire pour autant qu'elle soit en passe de devenir une autre Allemagne ou une autre URSS, capable de changer l'ordre mondial. Le gouvernement chinois actuel n'a pas de préconisation idéologique. Il est purement et strictement pragmatique. Son régime bureaucratique fermé ne recherche que les intérêts immédiats et ne réagit aux changements du monde extérieur qu'à retardement et de façon maladroite. Sa préoccupation première est ce qui se passe sur le plan intérieur, et non extérieur. Comme les principes sont le cadet de ses soucis, il peut aussi se montrer très réactif. Cette réactivité se manifeste à la fois sur le plan extérieur, lorsqu'il change brusquement de position juste avant que des relations tendues ne dégénèrent, et aussi sur le plan intérieur, lorsque le mécontentement populaire éclate et qu'il fait quelques concessions et tentatives d'apaisement. N'était-ce pas déjà le cas il y a vingt ans ? Sur le plan extérieur, de très isolée la Chine a évolué. Elle est devenue l'usine du monde et un marché de consommateurs attrayant. Sur le plan intérieur, elle a relâché un peu son contrôle et s'est servie de la production et de la consommation de biens matériels pour séduire toute une génération et la pousser à se contenter de son sort.

La Chine actuelle paraît confrontée à une multitude de crises, tout comme le pouvoir communiste. L'environnement international, relativement amical à son égard, est en train de changer. Les illusions que la Chine avait créées sont également en train de se dissiper. A l'intérieur, le mécontentement éclate sous forme de manifestations parfois violentes (plus de 90 000 chaque année). Il ne faut pas croire pour autant que des changements pourraient survenir très rapidement. La réactivité du pouvoir communiste chinois est bien supérieure à celle de l'Union soviétique et des pays de l'Est en 1989. Le régime peut très vite se montrer encore amical et faire croire aux autres, qui ont la mémoire courte, qu'il se réforme.

Un pays en crise mais puissant

De plus, la capacité d'endurance de la société chinoise est supérieure à ce que l'on peut imaginer. Les troubles de 1989 [manifestations prodémocratiques écrasées dans le sang à Pékin] ont surtout été le fait d'intellectuels et de citadins, mais n'ont pas touché la plus grande partie de la société. Vingt et un ans après, le gouvernement communiste a réussi à détourner à son profit et à corrompre l'ensemble de la société, détruisant toutes les forces susceptibles de lui créer de sérieux problèmes, ce qui met dans l'embarras la grande majorité des Chinois. En effet, bien que mécontents de la situation actuelle, ils ne parviennent pas à concevoir d'issue et redoutent les remous que pourraient entraîner de brusques changements. Cela signifie que la Chine restera encore très longtemps un pays puissant, riche mais mauvais, qui maltraite ses citoyens, méprise les valeurs universelles et fait montre d'une totale absence de principes et d'une franche brutalité sur la scène internationale.

Xu Zhiyuan

© 2010 Courrier international. Tous droits réservés.

0 commentaires: