jeudi 2 décembre 2010

REPORTAGE - Quand la Chine vieillira... - Robert Neville


L'Express, no. 3100 - monde ASIE, mercredi, 1 décembre 2010, p. 76

Le nouveau recensement va mesurer les risques des bombes démographiques qui menacent le pays le plus peuplé de la planète. En tête, sa faible natalité !

Tout le mois de novembre, 6 millions d'inspecteurs ont sillonné la Chine afin de compter sa population. Ce sixième recensement national a pour toile de fond un débat public entre Planning familial et démographes. Ces derniers tirent la sonnette d'alarme et réclament la révision de la politique de l'enfant unique. La Chine va-t-elle connaître un effondrement économique en raison du vieillissement accéléré de sa population ? La question est prise très au sérieux par Pékin, qui a confié l'organisation du recensement à Li Keqiang, le futur n° 2 chinois.

Un des ressorts cachés de la croissance chinoise repose sur son "bonus démographique". Avec la politique de l'enfant unique, lancée en 1979, les autorités chinoises se sont aménagé trois décennies de croissance soutenue de l'économie. La baisse massive du nombre d'enfants a permis, dans un premier temps, d'améliorer le ratio entre actifs et inactifs. Un véritable accélérateur de l'augmentation des richesses. Mais la période 2020-2050 s'annonce grosse de tensions : la chute brutale de la natalité (1,77 enfant par femme en 2010), combinée avec l'allongement de la vie, risque de devenir catastrophique lorsque les enfants uniques devront supporter les générations précédentes, plus nombreuses, ce qui entraînera une baisse de leur pouvoir d'achat, donc de la consommation. La Chine sera devenue vieille avant d'être riche, situation inédite dans l'histoire de l'humanité.

Deuxième bombe démographique : la Chine possède l'un des ratios homme/ femme les plus déséquilibrés du monde. A en croire des études récentes mais partielles, le nombre de naissances officielles s'élève à 119 garçons pour 100 filles ! Dans une situation normale, on a 105 garçons pour 100 filles. Selon la tradition chinoise, les fils sont préférés aux filles, car ils perpétuent le nom de la lignée et maintiennent le culte aux ancêtres. Mais cette préférence plurimillénaire n'a jamais engendré de tels déséquilibres. Pour Isabelle Attané, démographe à l'Ined, les causes sont complexes. C'est en effet la Chine la plus urbaine et moderne, soucieuse de la réussite scolaire et professionnelle de sa progéniture, qui n'aime pas ses filles. En cas de baisse de la fécondité, la sélection s'exacerbe. Et les techniques modernes (échographie, dépistage génétique) permettent les avortements sélectifs de foetus féminins. Dans les orphelinats, 90 % des enfants sont des filles.

Résultat, à partir de 2020, il manquera 30 millions de femmes à la Chine, toutes classes d'âge confondues. Selon certaines projections, en 2050, ce déficit pourrait atteindre 48,6 millions sur la classe d'âge 15-49 ans. Ce déséquilibre est porteur de tensions extrêmes. Le recensement permettra de voir si les mesures incitatives mises en place pour le corriger ont quelque effet.

Vague migratoire au Tibet et au Xinjiang

Troisième bombe : les migrations de Chinois Han dans les régions majoritairement peuplées de non-Han, comme le Tibet ou le Xinjiang. Les récentes émeutes de Lhassa (mars 2008) et d'Urumqi (juillet 2009), où des milliers de Tibétains et de Ouïgours saccagèrent les centres-villes et lynchèrent des centaines de Chinois, ont pour origine l'exaspération de peuples marginalisés par une vague démographique sans précédent. En 1949, les Ouïgours représentaient 79 % de la population du Xinjiang. En 2006, ils n'étaient plus que 45,6 % pour 44,6 % de Han. Seront-ils minoritaires en 2010 ? Rendez-vous fin 2011, à la publication des résultats du recensement.

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