vendredi 3 décembre 2010

PRIX NOBEL - Thorbjørn Jagland : « Les pressions ont été plus fortes »

Le Soir - 1E - MONDE, vendredi, 3 décembre 2010, p. 10

Thorbjørn Jagland est le président du Comité Nobel depuis 2009. Il est aussi secrétaire général du Conseil de l'Europe.

Vous attendiez-vous à de telles réactions de la part de la Chine ?

Ce n'est pas une surprise. Mais nous ne pouvions pas prendre cela en compte dans notre décision. Le Comité est indépendant, il ne travaille que sur la base du testament d'Alfred Nobel. Le prix doit récompenser une personnalité qui a oeuvré pour le rapprochement des peuples, le désarmement ou la résolution pacifique d'un conflit. OEuvrer pour la démocratie, c'est se battre pour la Paix. Cela explique notre choix.

Avez-vous subi des pressions ?

Il y a eu des tentatives visant à influencer le Comité. Mais c'est de bonne guerre. Nombre de pays s'y essaient. D'ailleurs, le lobbying va dans les deux sens : pour ou contre un candidat. Depuis des années, Pékin essaie d'empêcher qu'un défenseur des droits de l'homme soit récompensé. Cette fois, les pressions exercées ont été un peu plus fortes. Lors d'une réunion au siège de l'ONU, le ministre chinois des Affaires étrangères a, pour la première fois, évoqué la question avec son homologue norvégien. La vice-ministre chinoise des Affaires étrangères a demandé à me rencontrer. Elle m'a informé des malentendus, de l'humiliation qui découlerait d'un prix accordé à un dissident chinois. Mais je lui ai rappelé que les valeurs que nous défendons ne sont pas exclusivement occidentales, mais universelles.

Quelles sont les conséquences pour le Prix ?

Ces réactions montrent d'abord à quel point le prix est prestigieux. Les lauréats les plus controversés sont aussi ceux qui ont été les plus déterminants. Albert Lutuli, qui a combattu l'apartheid en Afrique du Sud, Andreï Sakharov, Aung San Suu Kyi... Je pense que ce prix restera comme un des plus importants de l'histoire du Nobel. Il pourrait avoir un impact considérable en Chine, mais aussi sur le débat public dans le monde. Désormais, les leaders politiques auront du mal à ne pas évoquer les droits de l'homme, lorsqu'ils rencontreront des représentants chinois. Et si, en Chine, la pression s'est renforcée sur les défenseurs des droits de l'homme, nous devrions voir des changements sur le long terme, car Pékin veut être considéré comme un partenaire sérieux. Avec ce prix, nous disons qu'il est temps de mettre un terme au pragmatisme.

© 2010 © Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2010

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