Le Monde - Economie, lundi, 24 janvier 2011, p. 13
A peine débarqué du vol qui le ramenait d'Italie, Wu Jianwei exhibe les photos de lui aux côtés des plus grands : Calvin Klein, Hugo Boss ou Pierre Cardin, avec en musique de fond un opéra de Verdi. Dans le showroom attenant à son usine de Changzhou (province du Jiangsu), dans l'est du pays, où il emploie un millier d'ouvriers, ce gentleman chinois qui a réussi dans l'habillement pour hommes n'a que des mots de cartes postales italiennes à la bouche. Sauf lorsqu'il évoque son marché cible. Là, il ne s'agit plus que de la Chine, avec l'ambition de concurrencer les grands créateurs européens : « Le fossé qualitatif s'est considérablement réduit entre costumes chinois et occidentaux, mais il reste que nos marques manquent d'histoire. »
Un choix risqué
En lançant, en 1993, une enseigne qui utiliserait les mêmes tissus que des maisons renommées comme Ermenegildo Zegna et Loro Piana, Wu Jianwei faisait un choix marginal et risqué, celui de la qualité plutôt que de la quantité. Il se défend d'avoir choisi le nom de sa marque pour donner l'illusion de la consonance italienne. « Initialement, c'était Lam-lam-po-po en chinois, mais des Occidentaux m'ont dit que ça sonnait mal à l'international, alors j'ai opté depuis pour Lampo Uomo, raconte M. Wu. Je ne cache à personne que mes costumes sont faits en Chine, j'en suis fier. »
Pour acquérir l'expérience qui faisait tant défaut, l'entrepreneur de la province du Jiangsu fait chaque année appel à de coûteux designers, venus, comme ses tissus, d'Italie. En visitant le deuxième étage de l'usine, celui où des petites mains expérimentées s'affairent sur des modèles pour lesquels les clients ont donné leurs mesures, transmises par Internet depuis les 120 boutiques réparties dans 35 villes chinoises, beaucoup d'Européens lui confient leur sentiment : les grandes maisons n'ont qu'à bien se tenir. Wu Jianwei sait bien, cependant, qu'on ne remplace pas les trois siècles d'histoire de créateurs italiens en deux décennies d'ambition. D'ailleurs, les richissimes Chinois dépensent toujours leurs millions chez Gucci.
Cela n'empêche pas Lampo Uomo d'envisager 200 nouvelles ouvertures de magasin et de sortir 25 000 costumes de ses ateliers par an, dont un quart sur mesure. Il existe une niche, reposant sur un design « adapté à la physionomie des hommes asiatiques », et sur des costumes sur mesure autour de 30 000 yuans (3 345 euros), soit environ 1 100 euros de moins que les grands concurrents occidentaux, assure Wang Xiangxiang, la directrice du marketing.
Quant au marché européen, l'ingénieux M. Wu constate que les fournisseurs qu'il rencontre s'en détournent un peu ces temps-ci, les commandes chinoises prenant le dessus. Lui n'y songe même pas, ou peut-être un jour, en vendant sur Internet, et lâche : « Ici, tout est encore possible; l'Europe est un marché mûr. Que seraient les Galeries Lafayette sans les hordes de touristes chinois ? »
© 2011 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire