mardi 25 janvier 2011

LITTÉRATURE - "Femmes de dictateurs" par Diane Ducret



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Les histoires d'amour finissent mal en général. Surtout celles des femmes, ou maîtresses, de dictateurs, qui eux-mêmes ne finissent guère mieux, l'amour n'étant de toute façon pas leur souci majeur. Diane Ducret a réuni une belle brochette de ces conjointes de l'Histoire, toquées de Mao, Lénine, Staline, Mussolini, Salazar, Hitler...

Où l'on trouve confirmation, par les femmes, que le pouvoir exerce bien un irrésistible attrait érotique, s'accompagnant d'une consommation et d'une muflerie record. Car aimer un dictateur, c'est s'exposer au mieux à la ruine et à l'ingratitude, au pire à la mort. Le pouvoir séduit mais rend fou, et il a consumé le sexe faible, le plus souvent des jeunes femmes détruites par des tyrans amateurs de chair fraîche.

La Pygmalion

Dès 1912, Margherita Sarfatti a parié sur un jeune journaliste nommé Mussolini. Cette intellectuelle vénitienne débarque dans son bureau d'Avanti, finance son journal, le forme, le polit. Elle n'est pas la première : la marxiste Balabanoff, qui ira voir ensuite du côté de Lénine, a commencé à le dégrossir. Dans ses moments de doute, comme lors de la Marche sur Rome, Sarfatti l'aiguillonne. Une fois au pouvoir, elle instaure son culte de personnalité, fait rédiger sa première biographie, qu'elle émaille de photos qui soulignent le physique avantageux du don Juan romagnol. Sarfatti devient sa maîtresse légitime - il est déjà marié -, mais elle sait son Duce grand fornicateur devant l'Eternel : n'a-t-il pas commencé sa vie sexuelle par un viol, ce dont il se vante même ? Il lui faut toujours des femmes et il n'aura de cesse de tromper la Sarfatti, parfois sous ses yeux. L'ingrat ! Et lorsque son nouvel ami Hitler lui fait découvrir l'antisémitisme, il se souvient de sa judéité, la fait licencier et la chasse hors d'Italie.

Les sacrifiées. Mao est à l'origine de millions de victimes. Deux au moins étaient ses épouses. En 1930, il laisse sa première femme, Yang Kaihui, avec ses enfants, aux mains de l'ennemi, qui lui propose le marché suivant : la liberté contre le désaveu de son mari. Elle refuse et se laisse décapiter, sacrifice qui arrache quelques regrets à Mao, bien qu'il vive déjà avec Zizhen. Cette dernière croit triompher ? Erreur. La Longue Marche (1934-1935) sera pour elle un calvaire. Enceinte, accouchant en plein périple, elle est obligée de renoncer au nouveau-né. Après quelques jours, elle rejoint Mao, qui caracole en tête et à qui elle annonce la naissance et l'abandon de leur fille : « Tu as eu tout à fait raison », lui répond avec aménité Mao, qui ne vient même pas la voir lorsqu'elle est grièvement blessée au cours d'un bombardement. A nouveau enceinte, elle fuit vers l'URSS pour se faire soigner, perd son enfant, est enfermée dans un asile jusqu'en 1949, date à laquelle elle est rapatriée par Mao, qui la boucle dans un institut jusqu'à sa mort, en 1984. Fin du martyre.

Autre femme qui suit jusqu'au bout son tyran d'amant, Clara Petacci. Elle a rencontré Mussolini à 20 ans, en 1932, en dépassant son Alfa Romeo sur la route entre Rome et Ostie. Sa robe légère l'émeut. Elle lui avait déjà envoyé des poèmes. Le lendemain, il fait retrouver par son archiviste lesdits poèmes, où il avait apposé la mention suivante : « Mais qui est cette folle ? » Ils se revoient pourtant. C'est l'amour fou, physique, convulsif. Il la trompe, mais elle le suit jusqu'au bout. On la dit la chienne de Mussolini, mais elle accepte : « Où va le maître va le chien. » Dans sa dernière lettre, écrite avant d'être tuée avec lui en avril 1945, on peut lire ces mots : « Qui aime meurt. Je suis mon destin et mon destin, c'est lui. »

Les suicidées. Le 15 septembre 1931, Geli, 23 ans, se tire une balle dans le coeur. Elle est la nièce de Hitler et vit chez tonton Adolf depuis plus de trois ans, sous le regard perplexe de Goebbels.« Il se murmure des choses folles à propos du chef », note-t-il dans son Journal. Il la fait poser nue mais confie les dessins à la surveillance du trésorier du parti nazi. Elle aussi, il l'enferme. Sous couvert de bienveillance, il la surveille, éloigne son chauffeur, Emil Maurice, qu'elle aime, puis se met à refuser ses caprices. Affolée, elle choisit la mort pour porte de sortie.« Maintenant, on m'a tout pris. Je suis tout à fait libre », écrit Hitler.

Un an plus tard, une autre femme se suicide : Nadia Allilouïeva, l'épouse de Staline.« Eh, toi, bois un coup !» lui a-t-il vomi lors d'un dîner pour le quinzième anniversaire de la révolution.« Je ne m'appelle pas "Eh, toi" », répond-elle, furieuse. Il l'agonit d'injures, elle lui crie de se taire devant les invités et claque la porte. Rentrée au Kremlin, elle cherche à le joindre, mais on lui apprend que l'ex-play-boy géorgien est avec une autre femme. Après lui avoir écrit une lettre pleine de reproches qui disparaîtra, elle se supprime, achevant sa trajectoire déviante. Car, depuis des années, elle est entrée en dissidence : devenue croyante, elle échappe à la prison du Kremlin, suit incognito des cours à l'université. Après sa mort, Staline reste prostré durant trois jours. Il vient de tuer une femme qu'il avait sauvée de la noyade lorsqu'elle avait 6 ans, mais qu'il avait aussi violée dans un train lorsqu'elle en avait 18. Il tente de se consoler avec la belle-soeur de Nadia, Genia, qui repousse ses avances. Il la fait déporter. Il se rabat sur sa gouvernante, Valentina, plus mère qu'amante, qui sert la table des puissants à Yalta, en 1945, sans que personne devine les liens qui l'unissent à Staline.

Les maîtresses femmes

La redoutable Qiang Jing, la dernière épouse de Mao, n'a pas l'intention de subir le sort des épouses auxquelles elle succède. L'ex-actrice de série B gravit les échelons du pouvoir et, pour contrôler l'irrésistible frénésie sexuelle de Mao, forme elle-même les jeunes novices soumises à son bon plaisir. Elle n'hésite pas à prendre des amants : le tigre a trouvé sa tigresse. Une exception imitée seulement par Elena Ceausescu, qui est d'ailleurs venue lui demander des conseils en 1971. Presque illettrée, celle qui se prénommait à l'origine Lenuta - la douce - se fait d'abord décerner un doctorat en physique-chimie sur les polymères. A la fin de sa carrière, elle sera détentrice de 17 doctorats et 74 titres universitaires roumains et internationaux. Car elle rançonne aussi les chefs d'Etat. A Bucarest, elle épie les ébats des femmes de ministre, tente de les compromettre avec de jeunes hommes et se fait bombarder mère de la Roumanie. A la Noël 1989, ce « génie » finira avec une balle dans la tête et main dans la main avec l'autre « génie des Carpates ».

Les folles de Hitler. Le culte de la personnalité, la fusion de l'individu dans l'Etat propre aux régimes totalitaires eurent un corollaire érotique : l'hystérie. Qu'il s'agisse de Mussolini, qui parade en maillot de bain sur la plage de Riccione, ou de Hitler, plus discret, la citoyenne est devenue amante ou infirmière en puissance. Certaines réclament même un enfant du Führer. A Berlin, l'Archive A de la chancellerie du Reich stocka les milliers de lettres de ces femmes folles de Hitler. « Penses-tu aussi beaucoup à ta Jose ? Oui ? Oui ? Garde-moi bien, mon fidèle amour, je te reste éternellement fidèle et bonne et ne te soucie guère de moi. » Le plus frappant dans le florilège présenté au début de l'ouvrage de Diane Ducret est la familiarité qui émane de ces lettres : « Cher Adi, tu vas sûrement te languir de moi. Je veux t'envoyer une photographie comme symbole de mon amour... De fervents baisers à toi, ma sale bête. » A l'évidence, rien n'arrête une femme au foyer quand est elle amoureuse de son Adi : « Führer chéri, pourquoi être si timide et agir par des voies secrètes ? J'étais hier à 11 h 30 au local de la société de tir du village, mais je ne t'y ai pas vu. Tu cherches une femme, je cherche un homme. Nous pourrions déjà vivre ensemble depuis deux ans si tu n'agissais pas si secrètement. » Autant de déclarations délirantes qui déclenchaient la réponse type de l'administration du Reich : « Le Führer, par principe, ne s'implique dans aucune affaire privée. »

(François-Guillaume Lorrain / Le Point)

*« Femmes de dictateurs », de Diane Ducret (Perrin, 350 p., 21 E).









Clara, Nadia, Jiang Qing..., épouses ou concubines, elles ont partagé la vie et la couche de Mussolini, Staline, Mao... Elles ont été triomphantes et sacrifiées, rappelle Diane Ducret dans Femmes de dictateur.

"La foule, comme les femmes, est faite pour être violée", écrivait Mussolini, toujours volontaire pour soulever le peuple et les jupons. La tyrannie, qui corrompt les valeurs et martyrise les peuples, détraque aussi les sens. Le pouvoir est un aimant, le pouvoir absolu, un aphrodisiaque. Les histoires d'amour avec un tyran ont beau débuter comme des bluettes, elles se terminent au mieux en vaudeville, le plus souvent en tragédie. Diane Ducret en administre la preuve dans sa galerie de Femmes de dictateur, portraits brillants des compagnes de route de mégalomanes du xxe siècle nommés Lénine, Staline, Hitler, Mao... Les petites fiancées des despotes rêvaient de passer à la postérité, elles ont fini dans les poubelles de l'Histoire.

Saintes ou gourgandines, elles ont saccagé leur vie, à l'image de Clara Petacci, violée, battue et pendue par les pieds par des partisans italiens à la fin de la guerre. La fille du médecin personnel de Pie XI avait eu le malheur de croiser, treize ans plus tôt, sur la route d'Ostie une Alfa Romeo décapotable. Le conducteur dissimulé derrière de grosses lunettes de soleil s'appelait Benito Mussolini et la "povera" ignorait tout des affres de la Duce Vita. Le maître de l'Italie fasciste avait en effet gros appétit. Il n'était pas du genre bégueule, plutôt gourmand que gourmet. Paysannes ou bourgeoises, femmes de tête ou têtes en l'air, matrones ou filles enfants, elles passaient toutes par sa couche. Le Romagnol était large d'esprit. Jeune, il penchait pour les cérébrales : Angelica Balabanoff, bourgeoise ukrainienne, l'initie à la révolution et, surtout, Margherita Sarfatti, grande bourgeoise vénitienne racée, s'impose en dircom et stratège. C'est elle qui convaincra un Benito indécis et prêt à se réfugier chez les Helvètes de lancer la marche sur Rome, étape décisive de la prise du pouvoir. Au fil des ans, l'aventurier de l'amour, abonné aux ruptures violentes, se fera popote. Les soucis, sans doute : la guerre en Ethiopie, puis en Grèce et en Albanie... Il n'empêche. L'ancien socialiste-révolutionnaire supporta mal la tyrannie domestique de Rachele, l'ex-jeune serveuse du bar de son père, devenue épouse et mère de ses enfants : un statut en or dans un régime célébrant la famille. Faute de rompre, le Duce s'égaiera en compagnie de jeunes maîtresses. Dont Clara.

Staline acculera son épouse au suicide

Cherchez la femme. On rêverait d'affiner le portrait d'un tyran, d'expliquer la nature d'un régime politique à partir de la personnalité et des atours - poitrine généreuse pour le Duce, jambes longues pour le Führer - des (mal) heureuses élues. L'exercice est périlleux, mais il est parfois probant. Ainsi, la sauvagerie du Staline privé n'étonnera personne. Le maître du Kremlin acculera au suicide Nadia Allilouïeva, son épouse - qu'il sauva de la noyade à 6 ans et viola dans un train à 18 ans... - après l'avoir, dans un état d'ébriété avancée, agonie d'injures devant toute la nomenklatura. Dans la foulée, il fera déporter au goulag sa belle-soeur, après qu'elle a refusé ses avances. Il terminera ses jours avec une gouvernante rustre et silencieuse : c'est elle qui servit le repas aux invités de Yalta, Churchill et Roosevelt. Dans le même registre paraît évidente la propension de Hitler - Alfi pour les intimes - à semer la mort parmi les femmes qu'il aime - sa nièce Geli, 23 ans - et celles qui l'aiment, même secrètement : la terrible Magdalena Goebbels, l'épouse du ministre de la Propagande du Reich, présente jusqu'à la fin dans le bunker de Berlin. Reste que, comme pour les couples ordinaires, certaines associations sont étranges, voire inexplicables. Pourquoi, Lénine, plutôt séduisant avec ses yeux bridés de Tatar, s'est-il entiché de Nadejda Kroupskaïa - Nadia - une future épouse affublée d'un "physique de hareng", selon la mère de Vladimir Ilitch, il est vrai jalouse et peu charitable ? Mystère - et vertiges - de l'amour.

Diane Ducret ne tire d'ailleurs aucune conclusion, politique ou psychologique, elle trousse (sic) de jolies histoires et "tend un miroir aux femmes", pour démontrer, noir sur blanc, la responsabilité des égéries, maîtresses, épouses de dictateurs dans les drames de l'Histoire. Si les unes pèchent par indifférence (Eva Braun, la compagne de Hitler), d'autres, politiquement engagées, sont directement impliquées. C'est le cas de Jiang Qing, l'une des nombreuses "madame Mao", ancienne starlette renconvertie en mère maquerelle pour apaiser la libido du Grand Timonier et en chasseuse de sorcières pendant la Révolution culturelle ; d'Elena Ceausescu, grande prêtresse du régime policier roumain, etc. Entre secrets d'alcôve et histoire politique, l'auteure a trouvé sa voie. Certains épisodes plus ou moins connus, mais souvent de manière partielle - les frasques de Mussolini et de Staline - acquièrent plus de relief dans cet ensemble.

D'autres sont des révélations : par exemple, la vie sentimentale encombrée d'Antonio de Oliveira Salazar. Le maître du Portugal entre 1933 et 1968 avait un slogan pour sa politique isolationniste : "orgueilleusement seuls". D'évidence, il ne se l'appliquait pas. L'ancien séminariste, jadis troublé par la belle Felismina, officiellement célibataire, ascétique et saturnien, fut un homme couvert de femmes. Jouant la discrétion jusqu'à l'effacement - comportement rarissime chez les dictateurs qui sont enclins à jeter leur ego démesuré à la face du monde - il affirmait que les "bonnes ménagères" ont "beaucoup à faire dans leur maison, ne fût-ce que dans l'apprêt du repas et le soin des vêtements". Cela ne l'empêcha pas de tomber follement amoureux, en 1951, d'une jeune femme libre : une journaliste française nommée Christine Garnier. Mais le Doutor n'en démordra pas : "On peut faire de la politique avec le coeur, mais on ne peut gouverner qu'avec la tête."

(Emmanuel Hecht / L'Express)

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