Le curseur du marché s'est irrémédiablement déplacé vers l'est. Hongkong est déjà le troisième centre mondial de ventes publiques après New York et Londres, et devant Paris. " En 2009, le marché des ventes aux enchères s'est transformé, offrant à l'Asie une croissance de 5 %, alors que l'Amérique a perdu 42 % et l'Europe 38 % ", rappelle François Curiel, responsable de la branche Asie de Christie's.
En 2010, environ 25 % de la clientèle globale de Sotheby's était asiatique. Celle-ci n'est plus focalisée sur son patrimoine ancestral, même si l'art classique se taille encore la part du lion. C'est un Chinois qui a acheté une nature morte de Giorgio Morandi pour 1,4 million de livres sterling (1,6 million d'euros), le 9 février, chez Christie's à Londres. Un de ses compatriotes a emporté, en 2010, un diamant en forme de coeur de 28 carats pour 3,7 millions de dollars (2,7 millions d'euros), toujours chez Christie's mais à New York. Sans surprise, les maisons de ventes recrutent massivement des employés sinophones.
Cette montée en puissance des acheteurs asiatiques explique la rapide notoriété acquise par la foire Art HK, dont la quatrième édition se tiendra à Hongkong du 26 au 29 mai. Le salon a rallié les plus grosses pointures internationales, comme Larry Gagosian - qui a inauguré, en janvier, une galerie dans l'ex-colonie britannique - mais aussi David Zwirner et la Galerie Lelong. " Le marché de l'art a toujours suivi la prospérité économique, et Londres ou New York sont bien moins effervescents qu'ils ne l'étaient. Les galeries ont besoin de tenter autre chose ", explique Magnus Renfrew, directeur d'Art HK. La foire a attiré plus de 19 000 visiteurs en 2008 et 46 000 en 2010.
Avantages fiscaux
Cette progression ne doit pas masquer celle, autrement plus spectaculaire, de la Chine continentale. En 2010, la maison de ventes Poly, leader en la matière, a engrangé 1,3 milliard de dollars à Pékin. Mais Hongkong présente deux avantages de poids; son port franc et sa fiscalité amène, alors que la Chine applique une taxe à l'importation de 34 % sur les objets d'art.
Si le Tigre asiatique rugit fortement, d'autres foyers ne sont pas en reste. Sotheby's a ainsi enregistré 32 % de nouveaux acheteurs dans sa vente de calligraphies organisée à Doha, en décembre 2010. " Le marché au Moyen-Orient est celui qui grandit le plus au niveau de Christie's monde. Dans la dernière vente, en octobre, nous avons eu 40 % de nouveaux clients. Le potentiel est énorme ", constate Isabelle de la Bruyère, spécialiste de Christie's à Dubaï. Car, même si l'émirat a été frappé par la crise immobilière, il n'a pas dit son dernier mot. " Dubaï se concentre plus sur le commerce que sur l'immobilier. De toutes les galeries, une seule a fermé ", rappelle Antonia Carver, directrice de la foire Art Dubaï, organisée du 16 au 19 mars. Outre Chantal Crousel, de nouvelles galeries occidentales viendront s'y aventurer, notamment In Situ et Marianne Boesky.
Le gâteau n'est pas encore aussi grand en Inde, bien qu'on joue à l'échelle d'un continent. Depuis la crise, la cote des artistes indiens a chuté. " Les prix ont baissé de 25 %, voire 50 %. On a constaté un rebond du côté des artistes modernes en 2010, mais le contemporain reste lent ", regrette la galeriste de Bombay Shireen Gandhy. Si les tarifs de Subodh Gupta restent stables, ses peintures, elles, n'atteignent pas les niveaux de prix observés aux enchères en 2007.
Malgré tout, quelques collectionneurs sortent du bois, en créant des musées privés, à l'instar de Lekha et Anupam Poddar, et aussi Kiran Nadar. Celle-ci avait surpris son monde en achetant, chez Sotheby's, en juin 2010, un éléphant de Bharti Kher pour 993 250 livres sterling. Les grandes fortunes nationales, comme les Ambani et les Mittal, se mettent au parfum. " Avec chaque vente, ces trois dernières années, nous avons trouvé de nouveaux collectionneurs. Les gens veulent diversifier leurs biens ", indique Yamini Mehta, spécialiste de Christie's.
Un appétit pour l'art palpable lors de l'India Art Summit, en janvier, qui a rassemblé près de 130 000 visiteurs pour le prix d'un ticket de cinéma. " Le marché est neuf, mais nous avons un bagage historique important, remarque Neha Kirpal, directrice de la foire. Les Indiens ont de l'argent. L'art n'a pas reçu autant d'attention, car l'accès en était réduit. Nous évoluons comme un éléphant : lentement, mais sûrement. "
Roxana Azimi
© 2011 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire