vendredi 18 février 2011

Le raffinement selon Vera Wang - Joël Morio

Le Monde - Rendez-vous, samedi, 19 février 2011, p. 26

Chinoise d'origine, américaine de naissance, Vera Wang est pourtant la plus française des créatrices présentes à la Fashion Week de New York, qui a pris fin jeudi 17 février. " La France est mon deuxième pays, plus que la Chine ", lance, dans un français presque parfait, cette belle femme aux longs cheveux noirs. Par amour, tout d'abord : elle fut, dans sa jeunesse, la fiancée de Patrick Péra, un patineur double médaillé de bronze aux Jeux de Grenoble en 1968 et de Sapporo en 1972. Vera Wang fit avec lui la couverture de Paris Match.

Mais cet attachement à la France, et à sa mode, s'exprime surtout par son travail, délicat et exigeant. Lors de sa présentation, mardi 15 février, la créatrice a associé certaines pièces de sportswear avec des robes floues qui jouent toutes les formes de plissés.

Vera Wang utilise peu de noir cette saison, mais des couleurs fumées, poudrées. Elle s'est inspirée de l'esthétique du film britannique Reviens-moi (2007), de Joe Wright, dont l'action se passe dans les années 1930. Elle imagine une Américaine comme Wallis Simpson - pour laquelle Edouard VIII, roi d'Angleterre, a abdiqué afin de pouvoir l'épouser -, fascinée par l'aristocratie anglaise. " Si je devais avoir une muse, ce serait sans doute le mannequin Stella Tennant. Pour une femme, la création est toujours quelque chose de très personnel ", raconte cette mère de deux enfants à la soixantaine rayonnante.

Vera Wang baigne dans la mode depuis plus de quarante ans : " J'ai toujours adoré le travail des couturiers : le mélange de tenues folkloriques avec une touche française et japonaise chez Kenzo, la précision d'une épaule chez Yves Saint Laurent. " Enfant, elle accompagnait déjà sa mère pour les essayages de ses robes chez le couturier français : " Je me souviens encore de l'adresse : 30 bis, rue Spontini. "

Après une année d'études à la Sorbonne, elle souhaite intégrer une école de mode. Mais son père veut qu'elle fasse du droit. Alors, elle rentre aux Etats-Unis. Chez Vogue, elle est embauchée comme assistante, et devient à 23 ans la plus jeune rédactrice de l'histoire du magazine. Elle y reste seize ans.

En 1987, Vera Wang réalise son rêve : dessiner des vêtements et accessoires. Elle est recrutée par Ralph Lauren. Mais c'est finalement son mariage qui va la propulser sur le devant de la scène. Elle cherche une robe de mariée, rien ne lui plaît. " Mon père et moi avons jugé qu'il y avait une opportunité de créer une affaire, car personne ne se souciait des robes de mariée, dans la mode, à l'époque. " Vera Wang se lance en 1990.

Le succès est immédiat. Pourtant, cette réussite est aussi un handicap. " Le côté positif de l'histoire, c'est que cela m'a permis de m'exprimer de façon plus exacerbée qu'avec des pull-overs, des vestes ou des pantalons. Mais je suis devenue la créatrice qui fait des robes de mariée. "

Le style raffiné de la créatrice parvient à séduire les stars. Sharon Stone, Kate Blanchett sont ses premières clientes. En 1994, Vera Wang se fait remarquer en dessinant les costumes de la patineuse Nancy Kerrigan pour les Jeux de Lillehammer. C'est en 2004 que la créatrice lance une véritable collection de prêt-à-porter. Elle signe aussi des modèles plus accessibles pour de grands magasins, une ligne de linge de maison. Vera Wang possède toujours l'intégralité de son entreprise, une exception dans l'univers de la mode.

Son travail, qui a reçu le Prix du designer de l'année en 2005, ne correspond peut-être pas tout à fait à la culture américaine, où il s'agit d'abord de vendre. " Je ressens parfois une certaine frustration aux Etats-Unis. Car ici, on ne retrouve pas toujours l'enthousiasme pour la mode et les bonnes choses de la vie qui existe à Paris, observe-t-elle. Je ne prétends pas faire de l'art, mais je travaille avec mon coeur, sans trop me soucier de ceux qui me conseillent de faire ceci ou cela pour suivre la mode. " A son grand regret, la créatrice n'a pas de boutique à Paris, " mais je cherche ", précise-t-elle. Ses fans français devront, pour le moment, prendre l'Eurostar : elle ouvre, pendant la Fashion Week britannique (qui a commencé le 18 février), une boutique à Londres.

Joël Morio

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