C'est l'année du Lapin, les tigres n'ont qu'à bien se tenir. Jeune créateur de vidéos d'animation, Wang Bo est l'auteur d'une série de courts-métrages intitulés Journal du petit lapin Kuangkuang. Sa société de production, Hutoon, les diffuse gratuitement sur Internet. Ils racontent les tribulations d'un écolier en Chine dans les années 1980 et sont populaires parmi les jeunes. Le ton est légèrement ironique.
Pour fêter la nouvelle année, qui commence le 3 février, Wang Bo a décidé d'offrir aux fans de Kuangkuang un " hors-série " de son cru. " On allait passer de l'année du Tigre à celle du Lapin, et je réfléchissais au fait que tant de choses m'avaient indigné cette année. J'en ai parlé à mon équipe ", explique-t-il. Le résultat est une satire grinçante de la Chine d'aujourd'hui. Un conte cruel où la vie des lapins, dans un monde de tigres, tourne au cauchemar à mesure que défilent quelques-uns des faits divers de l'année 2010 - et des précédentes. Des camions publicitaires vantent les bienfaits du lait en poudre pour enfants, la tête des bambins explose. Des tigres enragés, au volant de leurs bulldozers, détruisent les jolies maisons des parents éplorés. Un lapin est frappé par des tigres en uniforme et emmené manu militari. Un autre s'immole par le feu. Des références au scandale du lait frelaté et aux démolitions forcées, dont la presse et l'Internet chinois ont largement rendu compte en 2010.
Rôtis vivants
Les écoliers lapins assistent ensuite à un grand discours de dirigeants tigres. " Servir les lapins ! ", " Construisons une forêt harmonieuse ! " proclament les banderoles évoquant le slogan de Mao " Servir le peuple ", et " la société harmonieuse " de Hu Jintao. Mais un incendie se déclenche. Il faut " évacuer les dirigeants ", et tant pis pour les petits lapins rôtis vivants ! Comme en 1994 à Karamay, lors de l'incendie d'une salle de fêtes où périrent 288 enfants - un événement tabou revisité en 2010 dans le documentaire du réalisateur Xu Xin. Les malheurs des lapins, les Chinois ordinaires, sous le joug des tigres, l'Etat-parti et ses complices, se poursuivent jusqu'au jour où les premiers se révoltent et dévorent le château des tigres à pleine dent.
" L'année du Lapin est arrivée. Même les lapins mordent quand on les pousse trop ! " conclut le dessin animé. La censure n'a pas apprécié : le court-métrage a été supprimé des sites chinois de vidéo en ligne. Wang Bo n'a pas été inquiété pour l'instant. Les tigres de la censure ont de nouveaux motifs d'inquiétude : certains grands portails chinois bloquent les recherches à partir du mot " Egypte ". Ce qui se passe place Tahrir évoquerait les événements de Tiananmen. Certes, les tigres chinois distribuent plus de carottes que leurs homologues égyptiens ou tunisiens, font valoir certains sinologues en parlant des succès économiques chinois. Mais en cette année du Lapin, ils pourraient aussi avoir du souci à se faire...
Brice Pedroletti (Pékin, correspondance)
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